Le chimiste André Bandrauk ne manipule ni éprouvette, ni solvant, ni microscope, ni thermomètre. Pourtant, il repousse sans cesse les limites du savoir en chimie. Avec des superordinateurs, comme celui acheté récemment par l'Université de Sherbrooke grâce à une subvention de 3,5 millions de dollars de la Fondation canadienne pour l'innovation, il modélise des expériences qui, dans un laboratoire traditionnel, nécessiteraient des mois de travail et présenteraient une plus grande marge d'erreur.

La chimie sans éprouvette

par Sophie Vincent

Si certains arrivent à prédire l'avenir, le temps qu'il fera ou l'issue d'une élection, le professeur-chercheur en chimie théorique André Bandrauk réussit pour sa part à prédire, avec grande précision, le comportement des molécules et de leurs composantes. Ces prédictions n'ont cependant rien d'ésotériques, et sont rendues possibles grâce à des calculs extrêmement complexes effectués avec l'aide d'ordinateurs dont la puissance se mesure en giga-flops, et qui peuvent effectuer plus de 100 milliards d'opérations numériques par seconde !

Révolution scientifique

Il y a quelques mois, le Centre d'application de calcul parallèle de l'Université de Sherbrooke (CACPUS), dirigé par André Bandrauk, a réussi à prédire le comportement d'un électron en présence de deux protons, une découverte qui vient révolutionner la conception que se faisait la communauté scientifique du proton, et qui a été récemment retenue au nombre des dix découvertes de l'année du magazine Québec Science. L'Université de Sherbrooke a d'ailleurs fait bonne figure à ce concours cette année, puisque la découverte d'une nouvelle méthode de coloration du titane a valu le même honneur à un autre chimiste de l'Université, Gregory Jerkiewicz.

L'équipe d'André Bandrauk a pu précisément déterminer le mouvement des protons d'une molécule durant une réaction chimique, en simulant mathématiquement des impulsions laser ultrarapides, ce qui n'avait jamais été réalisé à ce jour.

« Ce qui a mené à cette découverte, c'est que nous avons développé un algorithme numérique qui nous a permis de prédire la nature du proton. À ce jour, les scientifiques concevaient le proton comme une particule. Notre découverte démontre qu'il faut plutôt le considérer comme une onde », explique André Bandrauk.

Par cette découverte, le chercheur du Département de chimie détruit la représentation universelle de l'atome illustrée par un proton sphérique autour duquel se trouvent les électrons en orbite.

Les travaux d'André Bandrauk causent bien des remous dans la communauté scientifique internationale, puisque ses conclusions remettent en question des modèles établis de longue date. « J'ai été l'un des premiers chimistes au monde à établir des modèles à partir de lasers ultrarapides. En 1981, j'ai été hué dans un congrès aux États-Unis, alors que mes calculs démontraient qu'il était possible de créer de nouvelles molécules avec des lasers intenses. Huit ans plus tard, une équipe de recherche américaine a prouvé en laboratoire ce que j'avais avancé », raconte-t-il.

La crédibilité d'André Bandrauk auprès de la communauté scientifique internationale est maintenant bien établie. Sa dernière découverte a été publiée dans la revue américaine Physical Review Letters, l'une des plus prestigieuses revues scientifiques dans le domaine de la physique et de la chimie. Il est également invité à tenir des conférences à travers le monde, principalement au Japon, où les scientifiques s'intéressent particulièrement à la chimie computationnelle.

L'infiniment petit

Pour le commun des mortels, une seconde est un laps de temps très court. Dans la perspective des travaux d'André Bandrauk, une seconde apparaît comme une éternité. Il faut dire que pour réussir à «photographier» un proton, on doit utiliser une impulsion laser de quatre femtosecondes (un femtoseconde équivalant à 10-15 seconde). Si la tendance se maintient, le chercheur et son équipe réussiront, dans un proche avenir, à simuler une impulsion laser mesurable en attosecondes (10 -18 seconde), ce qui permettra de visualiser les électrons.

« Notre rêve ultime serait de pouvoir en arriver à manipuler et à modifier les molécules de la même façon qu'on réussit actuellement à manipuler les gènes. De cette façon, on pourrait traiter plus précisément encore les irrégularités dans les cellules », explique le chimiste.

La manipulation moléculaire constitue d'ailleurs un tout nouveau domaine de recherche. Cette nouvelle discipline fera l'objet d'un symposium organisé par André Bandrauk et deux autres collègues lors de Pacifichem 2000, un congrès qui se tiendra en décembre à Hawaii et qui attirera environ 5000 chercheuses et chercheurs de l'ensemble des sociétés de chimie du Pacifique.