Imaginez un instant que vous mesurez 1700 km, soit la distance de Paris à Athènes. À cette échelle, les cellules qui vous habitent mesureraient environ 10 mètres, soit la taille d'un autobus. Imaginez maintenant que vous êtes victime d'une infection virale. Quelle serait la taille d'un virus d'après vous ? Eh bien celui-ci ne mesurerait qu'environ 10 cm !

Les virus
Un casse-tête prometteur


par Stéphanie Charland

Malgré les dimensions microscopiques de ces micro-organismes, leurs mécanismes d'infection demeurent très complexes, et c'est dans ce domaine de recherche que s'étendent les travaux de Pierre Bourgaux, directeur du Département de microbiologie et infectiologie de la Faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke.

Originaire de Belgique, Pierre Bourgaux a d'abord fait des études de médecine à Bruxelles, pour se spécialiser par la suite en microbiologie et en biologie moléculaire. En 1969, il fut engagé par l'Université de Sherbrooke comme professeur et directeur du Département de microbiologie et infectiologie. Dès son arrivé, il poursuivit les recherches qu'il avait entreprises en Californie sous la direction de Renato Dulbecco, lauréat du Prix Nobel de Médecine en 1975. Pierre Bourgaux ainsi que sa principale collaboratrice, son épouse, étaient les tout premiers à occuper les locaux du Département. «Lorsque nous sommes arrivés, le département n'existait que sur papier», raconte Pierre Bourgaux.

Depuis, Pierre Bourgaux s'est bâti une solide réputation dans le domaine de la biologie moléculaire, et ce, en partie grâce aux articles qu'il a publiés dans les journaux scientifiques importants, notamment dans Nature en 1972, et dans Cell en 1984. Les nombreux travaux publiés portent sur le virus du polyome ainsi que sur le mécanisme d'infection qui s'y associe : la recombinaison homologue.

Le succès que connaît Pierre Bourgaux, considéré maintenant comme le père fondateur dans son domaine de recherche, n'étanche pas sa soif de connaissances. Après toutes ces années, il aime toujours résoudre les problèmes «Ce que je préfère de la science, c'est le jeux intellectuel que celle-ci procure». En fait, cette curiosité scientifique, il la transmet aux étudiants et aux étudiantes à la maîtrise et au doctorat qu'il forme depuis plusieurs années. «J'opte pour une formation de qualité en associant toujours mes étudiants et mes étudiantes à des projets intéressants et intellectuellement stimulants».

Qu'est-ce que le virus du polyome et pourquoi s'y intéresser ?

Les recherches de Pierre Bourgaux portent sur un petit virus qui infecte les rongeurs, le virus du polyome de la souris. Ce qui est intéressant avec ce virus, qui est en fait un brin d'ADN, c'est que lorsqu'il infecte une cellule, il va s'intégrer dans l'ADN de celle-ci. La cellule de souris se retrouve maintenant à lire de l'information qu'elle n'avait pas auparavant, c'est-à-dire l'ADN du virus. La cellule contient maintenant deux sources de matériel génétique; c'est un hybride. En résumé, le virus est en quelque sorte un porte-bagages de matériel génétique. Dans le cas présent, le matériel génétique apporté par le virus est nuisible pour les cellules. Supposons un instant que le virus apporte l'ADN manquant à une personne atteinte d'une maladie génétique…

Connaissez-vous la thérapie génique ?

Beaucoup de laboratoires de recherche à travers le monde se concentrent sur le pouvoir du virus du polyome au niveau de la thérapie génique. Celle-ci consiste à aller délivrer les bons gènes pour aller remplacer ceux qui seraient défectueux dans une cellule. Prenons l'exemple d'une personne atteinte de diabète pour qui le gène de l'insuline est déficient. L'insuline ne peut donc plus remplir son rôle, qui est d'alimenter les cellules en énergie. Comme le virus du polyome a la caractéristique d'aller s'intégrer dans l'ADN de la cellule hôte, il pourrait donc être un excellent intermédiaire pour transporter le gène de l'insuline sain, et donc aller remplacer le gène déficient.

D'après Pierre Bourgaux, les études présentement en cours pour la thérapie génique ne sont pas encore au point, car le mécanisme de base du virus du polyome n'est pas entièrement connu. En effet, le virus du polyome contient six gènes. Les trois gènes qui s'expriment de façon précoce sont assez bien connus, alors que les gènes qui s'expriment plus tardivement le sont un peu moins. Ces derniers se nomment VP1, VP2, et VP3. Les spécialistes de la thérapie génique utilisent VP1, car c'est cette protéine qui forme l'enveloppe du virus, mais ils ne connaissent pas les rôles des protéines VP2 et VP3. Pierre Bourgaux ainsi que son équipe tentent d'élucider le rôle de ces protéines qui seraient impliquées dans la régulation de l'expression de l'ADN que porte le virus.

Bref, il reste encore bien des mécanismes cellulaires à comprendre avant de pouvoir utiliser le virus du polyome à des fins thérapeutiques, mais Pierre Bourgaux et son équipe persistent dans cette voie. D'autre part, en voyant les virus comme atout dans la thérapie génique, on en vient presque à les « apprécier », non ?