Directrice générale d'Héma-Québec, Francine Décary a assuré avec brio la transition de la Croix-Rouge vers Héma-Québec, profitant de ce changement pour injecter, tant aux donneurs qu'aux receveurs, une bonne dose de confiance en leur système de collecte et de distribution du sang.

Croix-Rouge et Héma-Québec

Comme deux gouttes d'eau


par Bruno Levesque

Mêmes locaux, même personnel, mêmes bénévoles et même directrice générale en la personne de Francine Décary, diplômée du MBA pour cadres en exercice en 1996, la Croix-Rouge et Héma-Québec se ressemblent tellement qu'on en vient à se demander ce qui a motivé le Gouvernement du Québec à créer Héma-Québec au printemps 1998.

«Il est vrai qu'il n'y a pas de changement pour les donneurs de sang. Il font affaires avec le même personnel, explique Francine Décary. Il y a par contre tout un changement de mentalité. D'abord le conseil d'administration est composé de gens œuvrant dans le domaine du sang, donneurs, malades, médecins, scientifiques, etc. Ensuite, le sang constitue notre unique préoccupation, ce qui n'était pas le cas avec la Croix-Rouge. »

Depuis l'automne 1999, Héma-Québec s'occupe donc des collectes de sang, du traitement du sang et de sa distribution dans les hôpitaux. Organisme sans but lucratif, il est aussi responsable des relations avec les Services canadiens du sang et de la conformité de la qualité des produits offerts avec les normes canadiennes.

Il en a coûté quelque 19 million de dollars au trésor québécois pour l'acquisition des actifs de la Croix-Rouge par Héma-Québec. Depuis, les dons de sang ont recommencé à augmenter. Selon Francine Décary, un ensemble de facteurs peuvent expliquer ces hausses : des campagnes d'information pour le public, des équipes bien implantées dans toutes les régions et une campagne de publicité qui frappe et fait réfléchir, du type la petite Lucie huit ans déjà 40 fois transfusée qui nous demande de donner.

Le circuit sanguin

Forte de son expérience, bien branchée sur le réseau des hôpitaux Héma-Québec est capable d'évaluer quels seront les besoins des hôpitaux québécois au cours des prochains mois. Héma-Québec sait par exemple que, par année, elle aura besoin de 175 000 sacs de sang pour alimenter les hôpitaux québécois en globules rouges. Pour avoir 175 000 sacs de sang, il faut recruter environ 260 000 personnes, ce qui représente 1800 collectes. « Disons que vous voulez organiser une collecte à l'Université de Sherbrooke, vous n'avez qu'à téléphoner à Héma-Québec et une conseillère va vous poser une série de questions pour vérifier si votre collecte a les caractéristiques lui permettant de recueillir suffisamment de sang pour que l'effort d'organisation en vaille la peine, explique Francine Décary. Si l'évaluation indique que ça vaut la peine de se déplacer, cette employée va rencontrer la personne responsable de la future clinique de sang et lui remettre le guide du parfait organisateur de collecte. « Nos gens vont vous soutenir dans l'organisation de la collecte, assure la directrice générale. Le jour de votre collecte, les employés d'Héma-Québec arrivent en camion. Nous faisons fait en moyenne 5 ou 6 collectes par jour. Le sang prélevé s'en va dans nos laboratoires.»

Pour l'essentiel, le sang est constitué d'éléments liquides, le plasma, et d'éléments solides, les globules rouges et les plaquettes. Héma-Québec les sépare d'abord par centrifugation. Une fois les tests faits et la qualité vérifiée, ces sacs sont envoyés à l'inventaire. C'est là qu'arrivent les commandes des hôpitaux. Le Québec est autosuffisant en matière de produits frais, plasma, globules rouges, plaquettes, qui ne peuvent se conserver qu'une certaine période. Il en fournit même aux autres provinces.

Pour d'autres produits, appelés produits de fractionnement, la Société canadienne du sang et Héma-Québec ont un contrat avec la compagnie Bayer. Héma-Québec fournit du plasma à partir duquel Bayer fabrique certains produits en bouteilles comme l'albumine et l'hémo-globuline. Pour ces produits, le Canada n'est pas autosuffisant. La moitié des besoins canadiens sont comblés par des produits américains.

De MD à MBA

Fille aînée d'un père médecin, la voie vers la médecine de Francine Décary était toute tracée. Après ses études de médecine, la jeune femme s'est spécialisée en hématologie , et est allée deux ans à New York poursuivre des études spécialisées en transfusion, puis cinq ans en Hollande, années pendant lesquelles, elle s'est consacrée à la recherche et aux activités de laboratoire.

Revenue à Montréal en 1977, bardée de diplômes, Francine Décary n'a en fait qu'un seul employeur potentiel : la Croix-Rouge. Pendant dix ans, elle y fait de la recherche-développement en immunohématologie. En 1987, le poste de directeur du bureau de Montréal s'ouvre et elle l'obtient, malgré son peu d'expérience en gestion.

Il est souvent difficile pour les chercheuses et chercheurs de laisser tomber la recherche. À son arrivée à la direction du Centre, Francine Décary avait d'ailleurs conservé quelques activités de recherche. Elle s'est cependant vite aperçue qu'il lui était impossible de demeurer à jour dans le domaine scientifique avec le petit nombre d'heures qu'elle pouvait lui consacrer.

Pour compenser, Francine Décary est restée très près du département de recherche-développement d'Héma-Québec. « J'aime beaucoup de temps à autres m'asseoir avec nos équipes scientifiques et discuter de leurs recherches, raconte-t-elle. L'aspect intellectuel me stimule encore beaucoup, même si la gestion aussi comporte des défis intellectuels. »

Sur les bancs d'école

Après quelques années à la direction de la division de l'Est du Canada de la Croix-Rouge, Francine Décary juge utile d'aller suivre des cours de gestion. Elle s'inscrit donc au MBA pour cadres en exercice de l'Université de Sherbrooke, dont les cours se donnent la fin de semaine au Centre de Longueuil.

Pour elle qui avait étudié en médecine et en recherche, le cours a duré trois ans. La première année, elle a suivi des cours de mise à niveau où elle a appris la base dans les domaines de la finance, du marketing, de la comptabilité et du management. L'année suivante, Francine Décary et ses compagnons de classe se sont joints à un autre groupe constitués principalement d'administrateurs et d'ingénieurs, qui n'avaient pas eu à suivre ces cours de base.

« J'ai trouvé merveilleux le fait de pouvoir étudier ainsi la gestion tout en demeurant à son travail, affirme la directrice générale d'Héma-Québec. Pendant que vous écoutez le professeur parler ou que vous discutez avec vos collègues, vous vous référez constamment à ce que vous vivez dans votre bureau. Je me souviens que je prenais des notes pour le cours mais que, juste à côté, j'avais une autre tablette où j'écrivais les choses que je voulais appliquer au bureau. Je revenais le lundi matin et je disais aux gens que j'avais appris telle ou telle chose en fin de semaine que nous allions tenter d'appliquer au bureau. »

« C'est sûr qu'il y avait des domaines où ce que j'apprenais était moins applicable à un organisme comme la Croix-Rouge. Je pense aux cours de finance qui m'ont été plus utiles pour mes affaires personnelles que pour le travail. Mais, dans l'ensemble, ç'a été extraordinaire. Faire mon MBA m'a permis de faire des réflexions de toute sorte sur l'organisation, la gestion et le fonctionnement d'un organisme comme la Croix-Rouge, conclut-elle. Je me suis rendu compte que, même si nous sommes un organisme sans but lucratif, nous avons des objectifs à rencontrer dans le travail que nous faisons comme fournisseur de produits sanguins, que nos actionnaires à nous, c'est le public. »

Une conclusion rassurante pour tous, surtout celles et ceux qui donnent ou reçoivent du sang.