Les accords de commerces internationaux

Plus près de nous qu'on le croit

par Roma Dauphin

Qu'ils se nomment GATT, AMI, ALÉNA, les accords internationaux signés entre eux par les gouvernements nationaux demeurent de grands mystères pour la majorité d'entre nous. Il s'agit de dossiers difficilement compréhensibles pour les profanes, mais leur champ d'application semble à mille lieues de nos préoccupations quotidiennes. Pourtant, ces pactes ont un effet direct sur nos vies et nos porte-feuilles.

La première chose que j'explique à mes étudiantes et étudiants dans le cours d'introduction à l'économie mondiale, c'est la distinction entre les accords bilatéraux, régionaux et multilatéraux. Cette distinction est importante parce que les effets de ces différents types d'accords sur l'économie sont parfois fort différents. Comme son nom l'indique, un accord bilatéral se signe entre deux pays. L'accord canado-américain de libre-échange signé à la fin des années 80 est un exemple d'accord bilatéral. Ce genre d'accord stimule généralement les investissements directs étrangers (IDE). Ils sont souvent conclus à la suite de négociations commerciales dans des secteurs précis, par exemple pour la circulation du bois d'œuvre entre le Canada et les États-Unis.

En général, les accords bilatéraux sont tous de nature protectionniste et font donc l'objet de critiques. Ils n'entraînent presque jamais de baisses de prix pour les consommateurs, et les sommes que les entreprises n'ont plus à payer en droit de douane sont plutôt ajoutés à la marge de profit des entreprises. En principe, un déplacement de production vers le pays le plus productif pour la fabrication d'un produit visé par l'accord devrait suivre son entrée en vigueur. Cependant, ces hausses de production sont souvent contrebalancées par des baisses dans d'autres pays qui ne sont pas des partenaires dans cet accord. En conséquence, l'effet d'un accord bilatéral sur la production mondiale est ambigu.

Bilatéralisme à trois ou à quatre…

En invitant le Mexique à entrer à son tour dans la ronde des négociations après l'adoption de l'Accord canado-américain de libre-échange, les États-Unis et le Canada ont commencé à faire du bilatéralisme… à trois et même à quatre quand le Chili s'est par la suite joint aux négociations qui ont conduit à l'Accord nord-américain de libre-échange. On appelle accord régional ce type d'accord commercial international signé par un groupe de pays d'une région du globe. Ces accords sont en général un mélange de libre-échange et de protectionnisme et débouchent souvent sur l'intégration économique et politique des pays de la région. Ils ont en gros les même effets sur l'économie que les accords bilatéraux .

Dans son état actuel, le régionalisme en Amérique du Nord est à un état embryonnaire par rapport à celui qui se construit en Europe depuis 1958, et qui est devenu aujourd'hui l'Union économique européenne.

Les accords multilatéraux

Les accords multilatéraux font régulièrement les manchettes des bulletins de nouvelles et les gens ont l'impression qu'il s'agit d'un phénomène nouveau. Pourtant, le multilatéralisme est né dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les premiers pas vers un système financier international furent assurés par la signature des accords de Bretton Woods en 1944, avec la création du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Sur le plan du commerce international, le General Agreement on Tarifs and Trade (GATT) a quant à lui vu le jour en 1948, quand 23 pays ont signé le protocole d'accord sur les réductions tarifaires. En 1994, alors que le GATT comprenait 116 pays, le nom du GATT fut modifié pou l'Organisation mondiale du Commerce (OMC).

Le multilatéralisme vise le libre-échange, la croissance de la production mondiale et l'accroissement de l'interdépendance entre pays. Il vise à inclure l'ensemble des pays de la planète. Il va de soi que ce cadre de négociations est plus exigeant; il est plus difficile de s'entendre entre 120 pays qu'entre deux.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis avaient une nette position hégémonique au plan du commerce mondial et financier. Pour éviter un retour au chaos des années 1930, il fallait établir un code de règle de conduite tant dans le domaine financier que commercial.

Les deux obligations de base pour les pays membres de l'OMC sont les suivants :

- La non-discrimination entre partenaires commerciaux, ce qui conduit aux principes du traitement national (pas de discrimination envers les pays étrangers) et de la nation la plus favorisée (tout pays recevant une concession tarifaire doit en retour en offrir une à ce pays.

- La réciprocité des concessions tarifaires, qui signifie que tout pays recevant une concession tarifaire doit en offrir une en retour au pays offrant la première.

Le principe de la non-discrimination du GATT-OMC représente un principe auquel adhèrent aisément les plus forts des pays membres du GATT. Cependant, il existe des dérogations à ce principe La première dérogation fut adoptée dans la décennie 1950 pour permettre à six pays d'Europe de former un marché commun. Cet amendement qui définissait les règles où une zone de libre-échange devenait possible, va amener une multiplication d'accords régionaux, notamment en Europe de l'Ouest, en Amérique latine et en Afrique.

Une deuxième vague d'accords régionaux suivra dans la décennie 1980. Cette deuxième vague a semble-t-il été encouragée par les difficultés d'aboutir à des accords dans le cadre de l'OMC, difficultés liées à l'accroissement du nombre de pays membres de l'OMC, à la perte d'hégémonie des États-Unis et leur force compétitive moindre. Il est a noter que cette perte de compétitivité est justement attribuable à l'adoption de barrières non tarifaires de par le monde et par l'élimination quasi complète des droits de douane.

Cette perception d'une OMC essoufflée a généré un regain d'intérêt pour les accords régionaux durant les dix dernières années. Les États-Unis, qui étaient les plus ardents défenseurs du multilatéralisme, ont été converti au régionalisme avec la formation de l'ALÉNA. Les pays de l'Asie de l'Est, qui se reposaient également sur le multilatéralisme, ont également décidé de faire de l'ANASE une zone de libre-échange.

La question se pose à savoir quelle est la relation entre multilatéralisme et régionalisme. C'est ainsi que l'on évoque la possibilité que le monde se divise en blocs commerciaux (la triade avec les États-Unis, d'Europe et le Japon à la tête de chaque bloc). Dans cette éventualité, deux questions sont importantes : les blocs vont-ils garder des liens commerciaux entre eux ou au contraire se replier sur eux-mêmes et devenir des forteresses protectionnistes ? Deuxièmement, jusqu'à quel point y aura-t-il intégration au sein de chaque bloc ?

Des blocs commerciaux non coopératifs où le pays dominant accapare les principaux bénéfices du libre-échange intérieur est probablement le pire scénario a envisager pour le monde.

L'accord multilatéral à venir (AMI) sur les investissements directs à l'étranger (IDE)

Ce projet d'accord émane de l'organisation pour la coopération et le développement économique le code en vue de guider les firmes multinationales (FMN) voudrait rendre caduque les plus de 1000 accords bilatéraux signés par les pays industrialisés entre eux et, d'autre part, entre les pays en voie de développement et les pays industrialisés. Pour les pays industrialisés, les règles du code envisagé semblent être bien reçues, tant par les pays qui ont beaucoup de FMN que par les pays d'accueil des IDE. La dernière étape prévue avant une ratification consiste à soumettre le projet aux pays en voie de développement et d'entreprendre une négociation dans le cadre de l'OMC.



Chronologie du régionalisme :
accords commerciaux régionaux

1957: Traité de Rome, 6 pays de l'Europe de l'Ouest.
1959: Association Européenne de libre-échange, 7 pays de l'Europe de l'Ouest.
1960: Association latino-américaine de libre-échange, 7 pays d'Amérique du Sud
Marché commun de l'Amérique centrale, 5 pays.
1977: Association des nations d'Asie du Sud-Est, 5 pays d'Asie
1989: Accord de libre-échange Canada-États-Unis, 2 pays
1991: Pacte andin, 5 pays Mercosur, 4 pays
1992: ALÉNA (Canada, États-Unis, Mexique)

1998:

Espace économique européen réunissant les pays du Traité de Rome, ceux de l'Association européenne de libre-échange, 15 pays.

Les grands accords régionaux à venir

  • La zone hémisphérique des Amériques : pays de l'Amérique du Nord, Centrale et du Sud, échéance 2005
  • La coopération économique de l'Asie-Pacifique, 19 pays, échéance 2010, dont le Japon, la Chine, les États-Unis, le Canada et l'Australie.

* Professeur au Département d'économique de la Faculté des lettres et sciences humaines, Roma Dauphin a publié abondamment dans des revues savantes et des périodiques spécialisés, en plus d'agir à titre d'expert auprès du Gouvernement du Québec, du Gouvernement du Canada, de la Banque Mondiale et du Gouvernement du Sénégal. Il est l'auteur des livres Économie du Québec, une économie à la remorque de ses groupes, Les effets de la libéralisation des échanges sur l'économie canadienne, Les textiles canadiens : une politique plus rationnelle et Options économiques du Québec.