Le transistor
De la chanson yéyé à la bourse virtuelle
Source de l'évolution fulgurante de l'électronique et par la suite de l'informatique, le transistor est non seulement omniprésent dans notre vie quotidienne, mais il a entraîné les physiciens et les ingénieurs dans une course folle vers la miniaturisation qui, des circuits intégrés aux microprocesseurs, a conduit à la naissance de la microélectronique et de la nanoélectronique.
par Bruno Levesque
Ils étaient très populaires dans les années 60, ces petits appareils
de radio à piles appelés " transistors ". Les jeunes surtout ne
s'en séparaient à peu près jamais et écoutaient les chansons à la mode autant à
la plage qu'à la ville.
Mis à part quelques bricoleurs férus d'électronique, peu de gens à cette époque
se souciaient du fonctionnement de ces petits appareils. Ils contenaient pourtant un
dispositif qui avait permis à ses inventeurs de remporter le prix Nobel de physique en
1956, une invention qui allait complètement changer nos vies : le transistor, un
composant électronique capable d'amplifier, de contrôler et de générer des
signaux électriques.
" Changer nos vies ! Il exagère ", direz vous. Pourtant, le transistor est
l'élément de base de toute l'électronique. On le retrouve partout :
ordinateurs, téléphones, téléviseurs, automobiles, satellites et même dans les
laveuses, les sécheuses et les fours à micro-ondes
Il est peu de domaines où le
transistor n'a pas été utilisé. Il est rapide, fiable, peu énergivore et surtout
petit, d'où sa grande utilité. Si le premier transistor, un prototype mis au point
par l'équipe de William Shockley dans les laboratoires de Bell en 1947, mesurait
près de 10 centimètres de haut, les puces d'aujourd'hui contiennent un million
de transistors sur quelques millimètres carrés.
De plus en plus petit
Même rapide, l'évolution de la microélectronique ne s'est
pas faite en un jour. Si l'invention du transistor remonte à la fin de 1947, ce
n'est qu'en 1951 que William Shockley a pu présenter au monde un transistor
fiable. Construit en germanium, un métal plus dispendieux que l'or, le transistor
n'a pas connu un succès commercial immédiat. Il a fallu attendre les premiers
transistors en silicium pour assister à un véritable engouement.
La microélectronique était née. Le plus souvent encouragés par les militaires, des
chercheurs se sont intéressés à la possibilité d'intégrer plusieurs composants
électroniques sur une même plaque de matériau semi-conducteur. Des entreprises comme
Texas Instrument et Intel ont été les premières à commercialiser ce que nous nommons
aujourd'hui des " puces ".
L'ordinateur à l'université
On connaît la suite. Les puces ont révolutionné l'informatique.
Les découvertes faites en microélectroniques ont contribué à rendre les ordinateurs
plus petits, plus puissants, plus fiables, plus rapides et moins coûteux. Jadis
réservés aux spécialistes de l'informatique, les ordinateurs sont maintenant
partout et servent à de multiples usages.
" Les conséquences de l'apparition des ordinateurs en tant que machines de calcul et
de traitement de l'information en général ont été énormes, juge David Sénéchal,
professeur au Département de physique. Mais ce n'est que relativement récemment que
l'ordinateur a eu un impact généralisé sur les sciences, en raison de son coût
maintenant très bas et de ses possibilités beaucoup plus grandes. Aujourd'hui, avec
5000 $, on peut acheter davantage de puissance qu'avec un million de dollars il y a
15 ans. "
Dans tous les domaines scientifiques, cette puissance des ordinateurs récents s'est
vite révélée un levier extraordinaire. La quantité de données traitées et le nombre
d'opérations mathématiques rendues possibles par les superordinateurs ont permis à
des chercheuses et chercheurs de procéder à des calculs ou d'inventer des modèles
mathématiques qu'ils n'auraient même pas oser imaginer il y a 20 ou 30 ans.
" Les premiers modèles utilisés en macroéconomie datent des années 50, rappelle
Mario Fortin, professeur au Département d'économique. Pour les appliquer, les
étudiants de cette époque devaient passer des jours complets à faire des calculs
statistiques. Aujourd'hui, avec un bon ordinateur, les mêmes calculs se font en une
fraction de seconde. " Mario Fortin explique que les ordinateurs ont permis aux
économistes de beaucoup améliorer la qualité des modèles statistiques qu'ils
utilisent et donc la conformité de ceux-ci avec la réalité. " Il n'y a
presque rien de ce qui a été publié il y a 30 ans que les revues
d'aujourd'hui accepteraient de publier ", lance-t-il pour illustrer
jusqu'à quel point la macroéconomie a fait des pas de géant.
Les avancées scientifiques permises par la grande puissance de calcul des ordinateurs
modernes ne se limitent évidemment pas aux seules sciences économiques. Les sciences
sociales et administratives, l'histoire, la linguistique, etc. bénéficient de cette
puissance de traitement permise par l'ordinateur. En guise d'exemple, le Centre
d'analyse et de traitement informatique du français québécois du Département des
lettres et communications a constitué une banque de données comptant 20 millions de mots
dont près de 10 p. 100 ont été analysés.
Les exemples abondent aussi du côté des sciences, de la médecine et du génie. Là
aussi, les possibilités de simulation accrues ont permis des changements d'échelle de
perception associés à des champs de recherche nouveaux et ont permis de tester des
hypothèses autrement impossibles à vérifier. En physique et en chimie théoriques, par
exemple, des chercheurs utilisent des méthodes statistiques nécessitant des puissances
de calcul colossales pour simuler des phénomènes qui, autrement, ne pourraient pas être
étudiés.
Il est difficile d'imaginer comment, sans ordinateur, des scientifiques auraient pu
avoir l'idée de lancer le projet HUGO (pour Human Genome Organisation), qui
vise à obtenir un portrait complet du génome humain, ce qui veut dire identifier les
quelque 60 000 gènes de l'être humain et établir pour chacun la
séquence exacte des trois milliards de paires de bases réparties sur les 23 paires de
chromosomes.
Dans d'autres types de recherche, notamment en écologie et en géographie, les
recherches nécessitent une abondante récolte d'information (souvent par
télédétection) et le traitement rapide de cette information.
En plus d'avoir donné un nouvel élan à la recherche scientifique,
l'ordinateur est aussi devenu, grâce à Internet, un outil de communication de
premier plan qui a permis non seulement un resserrement des liens au sein de la
communauté scientifique mondiale, mais aussi la multiplication des contacts entre le
corps professoral et les étudiantes et étudiants. De plus en plus de professeures et
professeurs, dans chacune des facultés de l'Université de Sherbrooke, utilisent
l'informatique pour transmettre ou recevoir de l'information : travaux,
corrigés, articles à lire, notes de cours, etc. D'autres utilisent carrément leur
ordinateur pour donner des cours ou des parties de cours ou encore pour montrer des
exemples ou donner des exercices pratiques à faire à leurs classes.
L'ordinateur arrive en ville
Si la puissance de calcul grandissante des ordinateurs a eu un impact
majeur sur la recherche scientifique et l'enseignement, son prix, de plus en plus
accessible, a aussi eu un effet considérable sur la vie économique des citoyennes et
citoyens de même que des gens d'affaires. Le phénomène de mondialisation des
marchés que nous connaissons depuis quelques années n'aurait jamais été possible
sans l'informatique et tous les moyens de communications qui en découle.
L'accès aux bourses, la vente et l'achat d'actions ont complètement
changé depuis l'avènement de l'informatique. Fini la criée et les milliers de
petits papiers sur les parquets ! Les courtiers peuvent vendre et acheter toute sorte de
produits sans bouger de leur bureau. Certains logiciels disponibles gratuitement sur
Internet permettent même de jouer à la bourse virtuelle, d'acheter des actions de
telle et telle compagnie et de suivre l'évolution de son portefeuille.
Jadis réservés à des spécialistes uvrant au sein de grandes corporations,
l'ordinateur est aussi devenu un outil de gestion indispensable pour nombre
d'entreprises. Gestion d'inventaire, comptes clients, facturation, comptabilité
et contrôle budgétaire, toutes ses opérations de gestion se font maintenant par
ordinateur.
" Un des changements les plus importants qu'ont connu les ordinateurs,
c'est que, grâce à des logiciels conviviaux, les gens n'ont plus besoin
d'être des experts pour utiliser un ordinateur, estime Jean Desrochers, professeur
au Département de finances. Les dirigeants de petites entreprises parviennent à tenir
une comptabilité de base très respectable à l'aide des logiciels
d'aujourd'hui. En plus de les faire économiser sur les frais de comptabilité,
ça leur permet de mieux connaître leur entreprise et de prendre des décisions plus
éclairées.
À l'école, au travail, à la maison, l'ordinateur est devenu au cours des
quinze dernières années un outil indispensable pour une grande partie de la population.
De plus en plus rapide et petits, ils prennent de plus en plus de place dans nos vies.
Pendant ce temps, partout dans le monde dans les laboratoires des universités, des
chercheuses et chercheurs préparent les ordinateurs de demain en inventant des moyens de
miniaturiser davantage les puces. Il est difficile pour l'instant de prévoir
jusqu'où les semi-conducteurs iront sur cette route qui, en 50 ans, nous a fait
passer des transistors et de leurs chansons yéyé aux microprocesseurs et à la bourse
virtuelle.
Même les Olympiques
L'un des tournants de l'histoire sportive du dernier
demi-siècle a été la première télédiffusion des Jeux olympiques en 1960. Jusque-là,
l'athlétisme et l'olympisme étaient demeuré la chasse gardée des athlètes,
des officiels, des spécialistes et de quelques milliers d'amateurs passionnés.
La présentation des Jeux olympiques de Rome à la télévision a grandement contribué à
populariser le sport amateur. Les Jeux n'ont plus jamais été les mêmes par la
suite. Depuis, la liste des disciplines olympiques n'a fait qu'allonger. Les
télédiffuseurs payent maintenant des centaines de millions de dollars pour obtenir le
droit de télédiffuser les Jeux. Les commanditaires sont omniprésents. Les athlètes
sont devenus de véritables vedettes et, dans certaines disciplines, de véritables
entreprises capables de générer des millions de dollars de profit. On dit que les Jeux
olympiques d'Atlanta en 1996 ont été vus dans 214 pays. Neuf personnes sur dix sur
la planète ont vu une partie des Jeux d'Atlanta à la télévision !
Si l'argent versé par les télédiffuseurs aux comités organisateurs des grandes
compétitions a modifié la façon dont ces rencontres sportives sont organisés, la
technologie, notamment l'électronique, a sans aucun doute accéléré le processus
de démocratisation. La miniaturisation des caméras, la prolifération des appareils de
télévision, la possibilité de transmettre des ondes par satellites, par câbles puis
par fibres optiques ont fait en sorte qu'il est possible de voir dans son
téléviseur, en direct, les événements sportifs peu importe où ils se déroulent.