Au gré des intuitions

À 25 ans, après quelques années sur le marché du travail, Patrick Nicol décide de s'inscrire à l'université. Il choisit l'Université de Sherbrooke pour le régime coopératif. En septembre, il opte pourtant pour le programme de littérature, lors de son inscription, même si cette avenue lui fermait l'accès aux stages la passion l'emporte sur la raison et conscient: " Je n'avais aucun but précis en tête. Dans le fond, je n'ai pas d'ambition, moi, dans la vie. "

par Johanne Bédard

Pas d'ambition, Patrick Nicol ? Pas certain. Peut-être une ou deux qui touchent à la compréhension du monde littéraire, à la pratique d'écriture et à l'enseignement. Il poursuit actuellement des études de troisième cycle en littérature et fait partie du Groupe de recherche en édition littéraire au Québec. " J'essaie de comprendre ce qui fait qu'une œuvre littéraire a ou n'a pas d'impact sur la société ", explique-t-il. Il travaille parallèlement à un projet de roman, pour lequel il souhaite à la fois le même succès que son roman précédent et la poursuite d'une démarche originale d'écrivain. Enfin, comme professeur de cégep, il souhaite donner à ses étudiantes et étudiants des cours à la hauteur de leurs attentes, et même un peu plus.

Sans direction précise

Dans la vie de tous les jours, Patrick Nicol se définit comme une personne économe. Dans son langage à lui, cela signifie qu'il parle très peu pour ne rien dire. Quand il écrit cependant, c'est tout le contraire. Il laisse errer son imagination telle qu'elle se présente, puisque, dans un premier temps, lui-même n'a pas nécessairement idée de la tournure que les événements prendront et, ensuite, parce qu'il nourrit d'abord des ambitions esthétiques : " J'aime écrire uniquement pour faire de la littérature, pour me rapprocher de la poésie, créer des ambiances. Le problème, c'est de savoir quelle histoire je vais raconter autour. Ça, ça me mêle. "
À 20 ans, Patrick Nicol a écrit son premier livre, intitulé Laissons dormir ma liberté confuse. Aujourd'hui il écrit son cinquième livre, pour lequel il a obtenu une bourse du Conseil des arts du Canada. En dépit de son expérience grandissante, l'auteur se définit comme un mauvais conteur : " Je n'ai pas beaucoup de souffle. Je raconte petits morceaux par petits morceaux. Certains chapitres ne dépassent pas plus d'une page, et tout se déroule vite. "
Enfin si le personnage derrière les livres est assez difficile à cerner, il est carrément insondable à travers eux. Il ne s'y confesse point. Il n'y révèle pas non plus ses états d'âme. Un peu comme dans la vie, Patrick Nicol écrit ce qu'il a à écrire, après quoi le silence s'installe. Il met un point à sa phrase. Par contre, il connaît l'art de provoquer.

Le malaise

Son roman Paul Martin est un homme mort a fait coulé beaucoup d'encre dans les médias. Avec un titre provocateur et une histoire située aux limites du réel et de l'imaginaire, Patrick Nicol savait qu'il s'aventurait dans des terrains périlleux : " Le sujet peut nuire à l'auteur, s'il est trop baveux. " Pourtant, son livre a connu un franc succès. Le prix Alfred-DesRochers et les critiques, excellentes en général, ont d'ailleurs fait mousser les ventes de ce livre qui use de sarcasmes, sans malice. L'auteur qualifie d'essentiel le malaise qu'il provoque en utilisant des noms de personnages connus et une histoire plausible : " En créant un malaise, tu rends le lecteur inconfortable, incertain de ce que l'histoire signifie, à quoi elle sert, où elle s'en va. Ça empêche le livre d'être inoffensif. "
Selon lui, l'ambiguïté qu'il laisse planer dans l'esprit des gens rend un livre plus attrayant, plus difficile à oublier pour le lecteur. Si ce dernier, après avoir tourné la page finale du roman est toujours tourmenté par les personnages de l'histoire, alors l'auteur aura atteint son objectif. Mais attention! Patrick Nicol se garde bien de livrer des réponses : " Autrement, tu crées un roman déjà fermé, déjà mort. Tu te limites à ce que les gens vont penser du livre. " D'ailleurs, dans la tête de l'auteur, Paul Martin est un roman toujours vivant.

S'il ne se connaissait pas…

Un tantinet rebelle, un tantinet paresseux, ce mystérieux personnage avoue ne pas être un lecteur structuré. Il peut lire trois ou quatre livres en même temps… mais se il rend difficilement jusqu'au bout. Il avoue en outre ne pas avoir lu tous ses classiques. Lorsqu'il doit choisir un livre, il hésite. Il a des goût variés, il aime le changement. Par contre, la poésie et les récits brefs l'intéressent très peu. Il aime aller chercher ce je ne sais quoi chez un auteur que lui-même ne possède pas. Voire même un style d'écriture à l'antipode du sien. Ce qu'il fait lui, ce n'est pas son genre. S'il ne se connaissait pas, Patrick Nicol ne se lirait pas!

Le professeur

En plus d'écrire, Patrick Nicol enseigne le français au Collège de Sherbrooke. Plus précisément, il enseigne la période classique de la littérature. Il se passionne pour son travail, surtout grâce aux élèves qui, selon lui, ont une intelligence et une faim de savoir extraordinaires. Ce qui rend un cours excitant expose-t-il, c'est quand un élève ose poser une question qui pousse à aller au-delà du cadre théorique prévu par le programme d'enseignement. Malheureusement, cela n'arrive pas aussi souvent qu'il souhaiterait : " Les étudiants manquent de confiance en eux. Ils se contentent d'exécuter mécaniquement ce qu'on leur demande. " Pourtant, Patrick Nicol a la conviction que les études supérieures sont une richesse dont les jeunes devraient profiter au maximum : " Nous, les professeurs, n'utilisons que le dixième de notre savoir en classe. Les étudiants devraient nous exploiter, un peu comme des citrons que l'on presse pour en extirper le jus, ils devraient venir se nourrir de notre savoir. "
Ce qu'il souhaite transmettre à ses élèves, ce n'est ni la connaissance de tous les auteurs classiques, ni la passion de la littérature qui est sienne. En fait, il veut que ses étudiants associent la littérature à de bons moments passés en classe : " Il faut leur laisser une empreinte émotive; le jour où ils auront envie d'ouvrir un livre, il faut qu'ils se souviennent que la littérature peut être intéressante. " Pour laisser de bons souvenirs aux élèves, Patrick Nicol va même jusqu'à faire la lecture en classe : " Avec une oreille attentive, explique-t-il, les jeunes sont davantage en mesure d'apprécier toute la beauté de la prose. "

Bref…

Une fois les questions d'entrevue épuisées, Patrick Nicol redevient " économe ". Peut-être pense-t-il à son prochain livre, ou à Paul Martin, ou alors se concentre-t-il simplement sur l'ambiance du petit bistro du de la rue Wellington dans lequel il sirote un café ? La question paraîtrait probablement trop indiscrète. Alors une fois l'avoir rencontré, on tourne la page et on passe à autre chose, mais quelques fois, ce personnage énigmatique revient nous hanter l'esprit. Il s'est cependant dissout parmi la foule de personnages qui composent le centre-ville de Sherbrooke, laissant vibrer derrière lui tout le mystère de sa disparition.