par Manon Aubé
S'il est un domaine où les découvertes se font à une vitesse fulgurante,
c'est bien la santé. Le dernier siècle aura été témoin de nombreuses
découvertes de toutes sortes et la recherche médicale en témoigne. C'est en
biologie que s'est faite la découverte du siècle qui allait bouleverser le monde
médical. Dans les années 50, l'Américain James Watson et le Britannique Francis
Crick ont percé à jour le mystère de la structure de l'ADN, l'acide
désoxyribonucléique, une molécule qui sert de support à l'hérédité et
forme le code génétique de chaque cellule.
En avril 1953, la découverte de cette structure, laquelle a d'ailleurs permis à
Watson et Crick de mériter le prix Nobel de médecine en 1962, répond à deux questions.
Premièrement, comment se transmet la vie dans les molécules de l'être vivant et,
deuxièmement, comment se transmettent les gènes entre chaque génération. Ces
premières réponses devaient soulever d'autres questions sur le sujet.
Ainsi, près d'un demi-siècle plus tard, le nombre de recherches et de découvertes
entourant l'ADN est stupéfiant. L'héritage génétique constitue maintenant un
univers de sens qui fournit aux chercheurs une multitude d'informations pour lire et
comprendre le fonctionnement du vivant. On compte plus de 100 000 personnes à travers le
monde qui travaillent sur les gènes humains. Les chercheurs de la Faculté de médecine
de l'Université de Sherbrooke n'y échappent pas et se sont d'ailleurs
taillés une place de choix parmi les meneurs à l'échelle mondiale. Qu'on
pense à Benoît Chabot et Raymund Wellinger, chercheurs au Département de microbiologie
et infectiologie de l'Université de Sherbrooke, dont les travaux sont reconnus par
la revue Québec Science comme l'une des dix découvertes scientifiques de
l'année 1998 au Québec. Benoît Chabot et Raymond Wellinger étudient certaines
protéines qui agissent sur les cellules cancéreuses. Ces deux chercheurs font partie de
la dizaine qui, à la Faculté de médecine, s'intéressent aux multiples facette de
l'ADN. Entre autres, Darel Hunting, du Département de médecine nucléaire et
radiobiologie, travaille sur la stabilité de l'ADN dans ses recherches sur le cancer
et le vieillissement; les produits de la transcription de l'ADN intéressent
Jean-Pierre Perreault du Département de biochimie; Claude Asselin, professeur au
Département d'anatomie et de biologie cellulaire, étudie les facteurs qui
contrôlent l'ADN dans les maladies inflammatoires de l'intestin (voir autre
article sur les travaux de Claude Asselin).
D'autres travaux se réalisent d'un point de vue plus clinique, comme ceux de
Bernard Lemieux, professeur au Département de pédiatrie et spécialiste en neurologie.
Ses recherches portent, entre autres, sur le dépistage des maladies métaboliques
héréditaires, lesquelles sont responsables de la moitié des problèmes neurologiques
infantiles. Alors que les hôpitaux québécois se servent d'échantillons sanguins
pour dépister les maladies héréditaires, Bernard Lemieux conduit ses recherches sur les
maladies héréditaires à partir des prélèvements d'urine. Composée d'acides
organiques, lesquels entrent dans la composition de l'ADN, l'urine offre de
nouvelles possibilités en ce qui a trait au dépistage des maladies héréditaires.
C'est pourquoi, en 1972, Bernard Lemieux a lancé le premier programme urinaire pour
le dépistage des maladies héréditaires chez les enfants. Ce programme permet d'en
savoir davantage sur la mutation génétique de l'ADN; lorsqu'un gène
problématique est identifié, les chercheurs peuvent reconnaître le défaut. La
connaissance du type de mutation impliqué permet de savoir quel enzyme ne fonctionne pas.
Dans bien des cas, une simple diète suffit : les aliments contenant l'enzyme
déficient sont retirés de l'alimentation de l'enfant et remplacés par autre
chose. Selon Bernard Lemieux, « l'ADN a ouvert la porte à l'étymologie de
plusieurs maladies neurologiques ».
Au cours des 50 dernières années, la découverte fondamentale a fait
place aux applications très concrètes. L'ADN étant à la source de plusieurs
maladies comme le cancer et le sida, les recherches se sont étendues à ces réalités.
Vers 1985, Bernard Lemieux a orienté ses recherches vers le neuroblastome, tumeur située
au cerveau et considérée comme étant la plus fréquente chez les enfants de moins de
cinq ans : un cas sur 7000. Cette tumeur évolue selon trois scénarios
possibles : elle régresse, c'est-à-dire qu'elle disparaît
d'elle-même; elle mature et devient alors un ganglion inoffensif; ou bien elle
devient cancéreuse. Diagnostiquée avant l'âge d'un an, le pronostic est
meilleur : 80 à 85 p. 100 de chance de guérison. Après un an, les chances tombent à 20
p. 100, d'où l'importance d'un dépistage précoce. À la suite de cette
constatation et avec la collaboration des autres centres hospitaliers universitaires,
l'idée est venue de lancer un programme québécois de dépistage du neuroblastome.
L'étude, menée entre le 1er avril 1989 et le 31 mars 1994, visait les
nouveau-nés et demandait la coopération des parents qui devaient collecter l'urine
du bébé sur un papier buvard, quelques semaines après la naissance, et l'envoyer
au laboratoire pour fin d'analyse. Encore une fois, le programme urinaire pour le
dépistage des maladies héréditaires mis en place par Bernard Lemieux est essentiel au
bon fonctionnement de cette recherche, puisque le neuroblaste est détecté par la
sécrétion d'acides métaboliques qu'on dépiste dans l'urine. Cette
recherche, échelonnée sur une période de cinq ans, a permis, d'une part, d'y
voir plus clair sur le neuroblastome et, d'autre part, de développer la recherche
sur le plan moléculaire. La collecte d'urine chez les nouveau-nés s'est
d'ailleurs poursuivie afin d'aider au dépistage d'autres maladies. Il
s'agit ici de quelques exemples de recherches ayant trait à l'ADN, mais il en
existe une multitude d'autres vue l'importance du rôle de l'ADN dans le
corps humain.
Malgré le fait que plusieurs questions ont trouvé réponses grâce à ces recherches,
l'ADN offre encore de nombreux champs exploratoires. À l'aube de l'an
2000, le projet du génome humain en représente un bel exemple. Lancé en 1986 aux
États-Unis, ce projet, en collaboration avec une cinquantaine de pays membres, vise à
identifier les 70 000 gènes de l'humain. Les enjeux médicaux sont considérables et
le déchiffrage complet devrait être complété en 2003. Au Québec comme ailleurs, les
chercheurs attendent avec impatience le résultat de ces recherches qui proposera de
nouvelles perspectives, mais le manque notable de généticiens au Québec risque de les
ralentir. Au dire de Bernard Lemieux, " les Centres de recherche, comme celui de la
Faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke, ont un besoin urgent de
généticiens et espèrent recruter de nouveaux chercheurs ". Alors, avis à ceux qui
veulent faire partie des recherches du troisième millénaire : l'ADN vous
attend !
Un brin d'ADN
L'ADN est un acide nucléique, ainsi nommé puisqu'il se
retrouve dans les noyaux des cellules, décrit comme une molécule organique qui contient
du carbone, de l'hydrogène, de l'oxygène, de l'azote et du phosphore. Une
molécule d'ADN comporte une base azotée qui se divise en quatre, à savoir
l'adénine (A), la thymine (T), la cytosine (C) et la guanine (G). On remarque
également un pentose, soit le désoxyribose, un sucre à cinq atomes de carbone qui se
fixe à chaque base et un groupement phosphate. Le support d'un brin d'ADN est
formé de groupements phosphate et de pentoses en alternance.
Dans le modèle à double hélice de Watson et Crick, l'ADN ressemble à une échelle
de corde enroulée. Les deux brins d'ADN de l'hélice peuvent se séparer, comme
ceux d'une corde, puis se réunir en joignant les bases complémentaires : A est
toujours opposé à T et C à G. Lorsque les deux brins se séparent, les deux moitiés
portent chacune la totalité de l'information nécessaire à la fabrication d'un
brin complémentaire, lequel peut reconstituer une copie de la molécule originale.
Beaucoup d'importance est accordée à cette reconstitution puisque lorsqu'une
mutation survient (les bases ne se joignent pas correctement), le nouveau brin, porteur de
la mutation, est recopié répétitivement, d'où l'apparition de la maladie
génétique.