Jacques Demers habite dans le 7e arrondissement de Paris, près du pont de l'Alma, à mi-chemin entre la tour Eiffel et l'esplanade des Invalides. Plusieurs ambassades logent dans ce secteur relativement calme, typiquement parisien, aux larges avenues bordées d'arbres et d'édifices de pierre de taille. Tous les matins, il parcourt les rues de son quartier pour se rendre à son travail à l'édifice de l'UNESCO.

Un Canadien errant

par Bruno Levesque

Dans la vingtaine, fier et bouillant comme le sont bien des jeunes de cet âge, Jacques Demers a failli abandonner le droit à la suite de ce qu'il estimait être une mauvaise évaluation de la part d'un de ses professeurs. Aujourd'hui, après 32 années passées au service de la diplomatie canadienne, ses réactions sont moins vives dans un monde où la patience et la négociation sont les ingrédients principaux de la réussite.

Jacques Demers ne regrette pas, loin de là, d'avoir étudié en droit. Non seulement a-t-il acquis dans quelques cours des notions de droit international, mais il a fait partie de tous les groupes d'étudiants qui s'intéressaient à ces questions, le Club de relations internationales, par exemple. À l'automne de sa dernière année d'études, le futur avocat décide de participer au concours que tient chaque année le ministère des affaires étrangères du Canada. Il réussit suffisamment bien l'examen pour être par la suite appelé en entrevue et, dès la fin de ses études, se voit offrir un poste dans la diplomatie canadienne.

L'Asie : un choc culturel

La première expérience est toujours marquante, croit Jacques Demers. Parce qu'il connaît bien le français, l'une des langues d'usage dans cette région, et qu'il a étudié en droit, Jacques Demers est envoyé en Asie, à Ventiane au Laos, pour travailler dans une commission internationale de surveillance des accords de paix.. " Je n'étais jamais allé en Asie et ce séjour a été un véritable choc culturel pour moi, se souvient l'avocat. L'Asie, c'est un autre monde ! C'est une philosophie, une religion, un style de vie et une conception des valeurs humaines très différentes des nôtres. Pour moi, c'était comme débarquer sur la lune. "

Après quelque temps au Laos, le ministère des Affaires étrangères envoie le jeune diplomate à Paris suivre une formation à l'École nationale d'administration. " À la fin des années 60, être payé pour être étudiant à Paris était très agréable ", explique Jacques Demers.

Par la suite, Jacques Demers a travaillé quatre ans à l'Ambassade canadienne à Paris, avant d'être muté à Madrid, en Espagne. " J'ai bien aimé l'Espagne qui, à ce moment, vivait une sorte de renaissance après les années de dictature de Franco. En plus, mon travail a Madrid m'a forcé à apprendre l'espagnol, ce qui m'a amené à Mexico ", dit-il Après, il a passé quelques années à Ottawa, avant de se voir nommé Ambassadeur et délégué permanent du Canada auprès de l'UNESCO en 1994.

Monsieur l'Ambassadeur

Jacques Demers est Ambassadeur et Délégué permanent du Canada auprès de l'UNESCO. Relevant du ministère des Affaires étrangères, son rôle consiste promouvoir les intérêts canadiens dans ce forum international. " Le Canada croit à certaines valeurs, note-t-il, et nous voulons que l'UNESCO serve le mieux ces valeurs. Nous intervenons à la fois dans la gestion de l'organisation et dans les programmes de l'organisation. "

L'UNESCO, l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, a pour objectif principal de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité dans le monde en resserrant la collaboration entre les nations par l'éducation, la science, la culture et la communication. Ce faisant, elle cherche à assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous.

L'UNESCO œuvre principalement dans cinq champs : la prospective, l'avancement et le transfert de connaissances, l'élaboration, la révision et l'application de lois internationales, le soutien technique aux pays membres et l'échange d'information. Pays signataire de la convention créant l'UNESCO en 1945, le Canada est aujourd'hui l'une des 186 nations représentées au sein de l'organisme.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'UNESCO n'est pas une agence de développement. Son rôle est de réunir les meilleurs experts dans le monde pour qu'ils réfléchissent à divers sujets, par exemple le clonage et toutes les questions entourant la recherche en biotechnologie. Comme tous les pays n'ont pas les outils qu'il faut pour se donner en même temps une position claire et réfléchie à ce sujet, l'UNESCO réunit des forums de penseurs, de scientifiques, d'experts qui donnent des avis aux gouvernements, qui décrivent des cadres de travail.

L'UNESCO, explique Jacques Demers, fournit des outils, mais à part quelques expériences pilotes visant à intéresser d'autres organismes à investir dans tel ou tel domaine, elle ne fait pas le travail sur le terrain. L'UNESCO est un catalyseur. " C'est ce qu'a fait l'UNESCO en matière d'éducation en réunissant la Commission Delors qui a publié un rapport qui fait autorité et dans lequel on retrouve un tas de choses très intéressantes pour les gouvernements désireux de moderniser leur système d'éducation ", donne Jacques Demers comme illustration de ses propos.

Jacques Demers explique qu'à l'UNESCO, les décisions se prennent davantage par consensus que par vote. "Mon travail est surtout de négocier des solutions qui aboutissent à un consensus ", dit-il. À titre d'exemple du fonctionnement de l'UNESCO, il donne l'exemple d'un souhait du Canada qui, après avoir procédé à des compressions budgétaires importantes voulait que l'UNESCO fasse de même. " À notre point de vue, il fallait les organismes auxquels le Canada contribue se serrent la ceinture aussi, rappelle Jacques Demers. Évidemment si nous demandons le vote sur un budget de croissance nominale zéro, nous nous faisons battre puisque la majorité des pays membres profite des programmes de l'UNESCO. Pour eux, plus le budget de l'UNESCO est élevé, plus les retombées chez eux sont importantes. "

C'est là que le diplomate entre en jeu. Il doit user de stratégie et expliquer que si le Canada désire favoriser un meilleur fonctionnement de l'organisme et s'il souhaite que les ressources dont dispose l'UNESCO soit utilisées de manière efficace, c'est pour éviter que certains pays soient tentés d'arrêter le paiement de leurs cotisations. Employés à bon escient, de tels arguments ont pour effet d'amener le budget à peu près là où le souhaite le Canada.

" Mon travail en est un de rencontres individuelles, de couloirs et de réunions ", résume Jacques Demers.

Le plus souvent, les journées de travail sont longues. Entré tôt au bureau le matin pour lire son courrier et retourner ses appels, il passe le reste de la journée en réunions ou en conférences. Le soir ce sont les réceptions, dîners, lancements, visites, etc., auquel l'Ambassadeur se fait un devoir d'assister afin de maintenir son réseau de contacts et de se tenir au courant de ce qui se passe.

" Mon travail est presque trop intéressant, estime Jacques Demers. J'ai le sentiment de participer à une mission universelle pour le progrès humain et en plus j'ai l'occasion de rencontrer des gens qui sont des monuments comme Yasser Arafat, Jacques Delors et Fédérico Mayor, le président de l'UNESCO, ou encore des trésors d'humanité moins connus et des décideurs canadiens comme le Premier ministre Chrétien, les ministres Copps, Marois, Pettigrew et Axworthy, la juge Ruffo et des collègues de travail éminemment sympathiques et intéressants. "

À l'heure du départ

Le mandat de Jacques Demers à titre d'Ambassadeur du Canada délégué auprès de l'UNESCO tire à sa fin. Il aurait même dû prendre fin l'été dernier, mais l'entrée du Canada au sein du Conseil exécutif de l'organisme a permis à Jacques Demers de rester en poste une année supplémentaire.

Pour l'Ambassadeur du Canada, l'heure est donc propice à la réflexion quant à l'avenir de l'UNESCO. Pour lui, l'UNESCO doit se donner les moyens de répondre de façon pertinente à la recherche de points de repères, de valeurs et d'une anticipation de l'avenir. " L'UNESCO est la seule agence des Nations Unies à avoir un mandat d'orientation éthique et de veille intellectuelle, explique-t-il. Elle doit donc faire appel aux meilleurs esprits de notre temps pour montrer la voie, établir les cadres et points de référence. "

L'UNESCO doit aussi, selon Jacques Demers, aider les sociétés à mettre les choses en perspective, par exemple, en rappelant que le développement n'est pas une entreprise uniquement matérielle, mais aussi une question d'éducation et de culture. " La prospérité et la paix ne se font pas seulement à coup d'accords commerciaux, affirme-t-il. Ainsi, lors des prochaines négociations multilatérales sur le commerce mondial, sous l'égide de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC), nous pourrions bien voir l'UNESCO soulever des questions pertinentes sur le traitement des biens culturels. "

Regrettera-t-il la vie parisienne si jamais son travail l'éloigne de la ville lumière ? "Paris est la plus belle ville que je connaisse, et donc un cadre de vie que j'apprécie tous les jours, répond-il. J'aime particulièrement ses grandes avenues et ses places monumentales, les belles perspectives qui s'ouvrent ici et là, la qualité de son architecture et de son mobilier urbain, le charme de la Seine, l'éclairage soigné de la ville. Mais certaines choses me manquent, particulièrement la famille et les vieux amis, mais aussi l'accès facile à la nature que nous avons chez nous et la splendeur de l'automne canadien. "

À l'approche d'un nouveau défi professionnel, Jacques Demers souhaite que celui-ci lui permette d'utiliser au mieux son expérience de cinq ans dans un poste multilatéral. " Ce pourrait être à l'étranger, dans une autre mission canadienne, ou encore au Canada dans l'administration publique, dans le secteur privé ou encore dans le milieu universitaire ou dans celui des organisations non gouvernementales. Je me penche actuellement sur cette question car mon affectation à Paris se termine au cours de l'été qui vient. "