Nous pourrions dire, pour paraphraser Alexandre le Grand, que le soleil ne se couche jamais sur le royaume des diplômées et diplômés de l'Université de Sherbrooke. Quelque 500 de ceux-ci ont en effet choisi de vivre et de travailler à l'étranger.

Un royaume planétaire

par Bruno Levesque

L'Université de Sherbrooke compte plusieurs de ses diplômées et diplômés aux États-Unis. Il y sont en majorité ingénieurs ou médecins. Quelques-uns sont économistes, professeurs, spécialistes de l'informatique ou encore chimistes; les autres sont psychologues, biologistes, bibliothécaires, rédacteurs, prêtres... Il y a même un diplômé en histoire qui pratique la médecine alternative au Nouveau-Mexique !

La France constitue aussi une destination qui séduit bon nombre de diplômées et diplômés sherbrookois. Environ 150 diplômées et diplômés y vivent, un nombre suffisamment élevé pour qu'ils aient senti le besoin, en 1994, de créer une association de diplômés de l'Hexagone. Ils exercent, là aussi, des professions diverses : diplomates, ingénieurs, gestionnaires, travailleuses sociales, professeurs, prêtres, etc.

D'autres ont choisi des destinations plus exotiques telles la Corée du Sud, la Thaïlande, la Grèce, la Turquie, la Suède, la Tanzanie, Haïti, Taiwan, Hong Kong, le Mali, le Rwanda, le Malawi… Ainsi, la diaspora des diplômées et diplômés de l'Université de Sherbrooke s'étend sur tous les continents.

Des gènes de globe-trotter

Ian Davies vit au Luxembourg. Né dans le Nord de l'Afrique de l'union d'une mère française et d'un père gallois. Il a grandi à Montréal, étudié à Sherbrooke puis à Victoria. Il a œuvré quelque temps pour le gouvernement de la Colombie-Britannique, avant de prendre la direction de l'Europe où, depuis environ un an, il est conseiller pour la Cour des comptes européenne.

Diplômé en service social, Ian Davies a fréquenté l'Université de Sherbrooke au début des années 70. Il est venu étudier à l'Université de Sherbrooke, parce que le Département de service social, même s'il venait tout juste d'ouvrir ses portes, avait déjà la réputation d'être un lieu de formation ouvert et dynamique. C'est d'ailleurs une époque de sa vie dont qu'il se remémore avec un plaisir non dissimulé : " J'y ai vécu l'époque du Département parallèle, une époque où tout était remis en question, non seulement dans les universités, mais dans toutes les sociétés occidentales. " Il se souvient aussi de son travail de discothécaire à l'Antre II : " C'était l'époque de Led Zeppelin et de Pink Floyd, mais aussi de Robert Charlebois, Louise Forestier et Raoul Duguay. Sa chanson La bittt à Tibi obtenait toujours beaucoup de succès auprès des étudiants. "

Malgré que son travail en finances publiques semblent à mille lieues de ses études - et même s'il avoue aujourd'hui avoir quelquefois passé plus de temps à préparer ses soirées musicales que ses examens - Ian Davies assure que sa formation en service social est celle qui lui est le plus utile. Même s'il est conseiller spécialisé en finances publiques, il travaille non seulement avec des chiffres, mais d'abord avec des gens, des représentants de plusieurs pays et de nombreuses organisations. Ce qu'il a appris à Sherbrooke l'aide énormément dans tout cet écheveau social et politique.

Ian Davies a commencé sa carrière dans le domaine des services sociaux, d'abord à Sherbrooke, puis à Montréal. Après quinze ans à œuvrer dans ce secteur, il a suivi sa compagne à Victoria. Il a profité de cet important changement de cap pour retourner aux études et faire une maîtrise et un doctorat en finances publiques à l'Université de Victoria.

Il a ensuite travaillé pour l'Assemblée législative de Colombie-Britannique, avant d'être invité à œuvrer pour la Commission européenne (CE) à Bruxelles en tant que conseiller auprès du contrôleur financier de la CE. Il est conseiller auprès de la Cour des comptes européenne (CCE) depuis environ un an.

La CCE est un peu l'équivalent du vérificateur général du Canada. Sa tâche principale est de contrôler les finances de l'Union européenne et d'identifier les domaines où la gestion peut être améliorée. Organe de contrôle externe, la Cour assiste le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne dans l'exercice de leur fonction de contrôle de l'exécution du budget. La Cour des comptes européenne a son siège à Luxembourg. Une belle ville tranquille, selon le conseiller auprès de la CCE. Peut-être même un peu trop calme pour un jeune célibataire, mais idéale pour le père de famille que Ian Davies est devenu.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Ian Davies est un homme qui bouge beaucoup. La dernière fois que SOMMETS l'a contacté, c'est chez lui, au Luxembourg. Il a par la suite laissé le message suivant dans notre boîte vocale : " J'apprécierais que vous me rappeliez aujourd'hui parce que je pars demain pour la Crête ". La semaine précédente, Ian Davies était à Ottawa pour un contrat avec le gouvernement canadien. Luxembourg - Canada - Luxembourg - Grèce, voilà l'itinéraire que Ian Davies a parcouru en quelque dix jours. À ce rythme, il y a fort à parier qu'il est le diplômé de service social ayant le plus de kilométrage au compteur.

À Cali, via CARTEL

Grégoire Leclerc est un autre diplômé qui a pris goût à l'exotisme très jeune, ayant passé neuf ans de son enfance et de son adolescence au Togo et en Algérie. Depuis 1996, il travaille pour le Centre international pour l'agriculture tropicale (CIAT), un centre de recherche situé entre les villes de Cali et de Palmira, en Colombie.

Le CIAT est un de 16 centres de recherche formant le Consultative Group for International Agricultural Research, financé par les pays membres, différents bailleurs de fonds comme la Banque Mondiale et la Banque Interaméricaine pour le Développement (BID) et des fondations privées comme les fondations Kellog, Rockafeller et Ford. Sa mission est de contribuer, avec ses partenaires, à la disparition de la pauvreté à travers l'application de la science au développement de technologies. En plus de la division de ressources génétiques, qui s'appliquer à développer de nouvelles variétés de riz, de fèves, de pâturages et de manioc mieux adaptées aux conditions difficiles dans lesquelles vivent les populations pauvres des pays tropicaux, le CIAT comporte une division de ressources naturelles, qui regroupe des projets de recherche sur la gestion de l'utilisation du sol, la conservation des sols, les agro-entreprises rurales, les systèmes de production et la recherche participative. C'est dans cette dernière division qu'œuvre Grégoire Leclerc, triple diplômé de l'Université de Sherbrooke, un baccalauréat et un doctorat en physique entrecoupé par une maîtrise en radiobiologie.

Grégoire Leclerc n'est pas seul en Colombie. Sa petite famille y vit aussi .

" Qui se ressemble s'assemble ", dit le proverbe. Et c'est vrai dans le cas de Grégoire Leclerc et de sa conjointe, Nathalie Beaulieu, elle aussi trois fois diplômée de l'Université de Sherbrooke (bachelière et maître en génie civil, docteure en télédétection) et passionnée par le développement international. C'est d'ailleurs avec un but bien précis en tête que Nathalie Beaulieu a opté pour la profession d'ingénieur : construire des puits et des systèmes d'approvisionnement en eau potable pour l'Afrique.

En 1992, Nathalie Beaulieu et Grégoire Leclerc ont quitté Sherbrooke pour le Costa Rica, elle pour y faire le travail de terrain pour son doctorat, lui à titre de stagiaire postdoctoral au Centre d'applications et de recherches en télédétection (CARTEL). Là-bas, ils ont travaillé pendant quatre ans avec plusieurs organismes et organisations non gouvernementales, avant de se voir offrir chacun un poste au CIAT.

Grégoire Leclerc y est Senior Scientist depuis 1997. Il a contribué à monter ce qui est reconnu comme l'un des meilleurs laboratoires de systèmes d'information géographique en Amérique Latine. Il travaille en ce moment à développer des méthodes d'analyse de données à différentes échelles, dans le but de pouvoir extrapoler les connaissances locales à d'autres régions. Cette année, par exemple, le laboratoire que dirige Grégoire Leclerc mène un projet de caractérisation de la pauvreté rurale et y applique ces méthodes d'analyse de données pour extrapoler les indicateurs de pauvreté obtenus à partir de l'analyse des perceptions locales.

De son côté, Nathalie Beaulieu est Research Fellow. En ce moment, elle coordonne la contribution du groupe de gestion des terres au niveau de l'entente entre le CIAT et le Ministère de l'agriculture et de développement rural de la Colombie. " Nous travaillons en collaboration avec le groupe de conservation des sols et celui des agro-entreprises rurales dans un projet commun intitulé Exploration des opportunités d'utilisation des terres et de développement rural pour l'Orénoque colombienne ", explique-t-elle.

Quant à la vie de tous les jours, la chercheuse, le chercheur et leurs deux enfants ne semblent plus s'étonner des différences culturelles et de la est très semblable à celle qu'on vivrait au Québec, explique la diplômée en télédétection. On travaille fort, les enfants vont à l'école, ils ont leurs amis et leurs activités. " Les seules différences qu'ils notent sont la circulation automobile, qu'ils qualifient de divertissante, et la sécuritéNous vivons dans un quartier résidentiel plutôt clame, façon de vivre des Colombiennes et Colombiens. " L'école est à trois coins de rues de chez nous, mais nous ne laissons jamais nos enfants de neuf et douze ans y aller seuls ", donne Nathalie Beaulieu comme exemple. Grégoire Leclerc explique par la situation sociale au pays ce souci constant de sécurité : " Il y a plus de 20 p. 100 de chômage et les pauvres ne gagnent que 200 $ par mois. "

En attendant que les problèmes sociopolitiques se règlent, Nathalie Beaulieu, Grégoire Leclerc et leurs collègues du CIAT ont encore bien du pain sur la planche et voient, avec un sourire au coin des lèvres, grandir leurs enfants dans un contexte fort différent de ce qu'ils auraient connus au Canada. " Je ne crois pas que mes enfants auraient pu manger de coquerelles de mer comme ils l'ont fait l'an dernier lors d'un séjour dans le Nord Ouest du pays, ni jouer au poker avec du vrai argent avec leurs nouveaux amis ! ", conclut Grégoire Leclerc.

En Afrique depuis le début des années 70

Serge Dubé, lui, vit en Afrique depuis le début des années 70. Docteur en chimie de l'Université de Sherbrooke depuis 1972, il a enseigné à l'Université du Rwanda de 1973 à 1984, avant d'entrer au service du Centre de recherches pour le développement international (CRDI), une société d'état canadienne ayant pour objectif d'aider les chercheurs et les collectivités des pays en voie de développement à trouver des solutions aux problèmes sociaux, économiques et environnementaux auxquels ils sont confrontés.

Pour le CRDI, Serge Dubé a passé sept ans au bureau de Dakar au Sénégal, avant de se rendre à Nairobi, au Kenya, sur la côte Est africaine où il est administrateur de programmes au bureau du CRDI à Nairobi. À ce titre, il aide des chercheurs des pays d'Afrique orientale à développer des projets et à obtenir le financement nécessaire à sa réalisation auprès du CRDI dans le cadre de deux programmes, l'un sur l'utilisation rationnelle de la biodiversité et l'autre sur l'innovation et la technologie pour les petites et moyennes entreprises.

Voici, en guise d'exemples, quelques-uns des projets en cours actuellement. Un projet vise à aider les populations de la République de Maurice, notamment les mères de famille, à mieux faire face aux problèmes de santé mineurs par une utilisation plus rationnelle des plantes médicinales. En Guinée, un autre projet cherche à améliorer les techniques artisanales d'extraction de la teinture, une activité qui représente près de 15 p. 100 de toute la production du pays.

Les projets du CRDI sont tous menés par des chercheurs des pays en voie de développement et visent à régler des problèmes locaux importants, parfois avec l'aide de chercheurs d'autres pays. Le rôle de Serge Dubé est de soutenir les chercheurs, de les aider à structurer leur projet et, une fois le financement du CRDI reçu, à assurer le suivi du projet. Ce travaille l'amène bien évidemment à beaucoup voyager, l'équivalent d'une semaine par mois.

Le reste du temps, il est à Nairobi où il habite à cinq minutes des bureaux du CRDI, dans les collines qui surplombent le centre-ville. Serge Dubé explique que Nairobi est une grosse métropole d'environ quatre millions d'habitants et que, comme la plupart des capitales africaines, cette ville souffre d'une surpopulation d'un sous-investissement chroniques, ce qui entraîne des problèmes pour le maintien des infrastructures, dont les écoles, et l'approvisionnement en eau et électricité. Là aussi, la situation économique et politique difficile que traverse le pays entraîne des problèmes de violence et de criminalité importants. "J'habite, dit-il, une maison normale à peu près comme celle que j'habiterais à Sherbrooke. Si vous y veniez, la seule différence que vous noteriez serait probablement l'importance des mesures de sécurité. Notre terrain est entouré d'une clôture avec grille de sécurité à l'entrée. Un gardien est présent chez nous 24 heures sur 24. Nous avons des lumières qui s'allument dès qu'elles perçoivent un mouvement. Toutes les fenêtres et les portes sont munies de grilles d'acier et reliées à un système d'alarme. Nous avons des boutons de panique dans chaque pièce de la maison, et une porte d'acier en haut de l'escalier qui mène aux chambres à coucher. "

Le Kenya, explique Serge Dubé, est un pays où se côtoient de nombreuses ethnies entretenant des relations plus ou moins tendues depuis des siècles dans certains cas. Il y a donc une tradition de violence au Kenya auquel les étrangers doivent s'adapter. Malgré cette omniprésente violence qui a même fait chuter les revenus de l'industrie touristique (la principale source de devises du pays), les Kenyans sont, dit-il " des gens agréables à fréquenter ".

Selon le représentant du CRDI, le Kenya est un pays magnifique jouissant, particulièrement dans la région de Nairobi, d'un climat exceptionnel. Il ne pleut jamais à Nairobi, sauf quelques gouttes en novembre et quelques averses en avril. Le soleil brille les trois quarts du temps, la température le jour tourne autour des 25 ° C. Si son travail, qui l'occupe 12 heures par jour, ne lui laisse que rarement l'occasion de le visiter, Serge Dubé insiste pour mentionner le parc de Nairobi. " Une des caractéristiques intéressantes de Nairobi est la présence, quasiment au centre-ville, d'un parc d'une centaine de kilomètres carrés ", signale-t-il, en précisant qu'il s'agit bien d'un parc et non d'un zoo et qu'on y retrouve tous les animaux d'Afrique sauf des éléphants.

Des bananes mexicaines et des crevettes thaïlandaises

Comme elle vit et travaille à Genève en Suisse, Gabrielle Marceau ne rencontre pas souvent d'éléphants, mais ses fonctions à l'Organisation mondiale du commerce l'amène à traiter des dossiers parfois très exotiques. Par exemple, l'Équateur, les États-Unis, le Guatemala, le Honduras et le Mexique se plaignent de certaines mesures que la Communauté européenne applique à l'importation des bananes. Ou alors ce sont l'Inde, la Malaisie, le Pakistan et la Thaïlande qui se plaignent au sujet d'une interdiction d'importer des crevettes et des produits à base de crevettes en provenance de ces pays imposée par les États-Unis. Moins exotiques, ce sont les États-Unis qui estiment incorrectes certaines mesures adoptées par le Canada pour protéger le marché canadien des magazines et des revues.

Gabrielle Marceau a reçu son baccalauréat en droit en 1982. Pendant ses études à Sherbrooke, elle prend contact avec le monde du droit comparé et celui du droit international public, des mondes qui la fascinent aussitôt. " C'est aussi à Sherbrooke que j'ai fait la connaissance de Bernard Colas, un confrère de classe qui, quelques années plus tard, m'a véritablement initiée au droit international économique et m'a encouragée à continuer mes études. "

Après avoir quitté Sherbrooke, Gabrielle Marceau est retournée à Québec, sa ville natale, où elle a travaillé pendant cinq ans chez Joli-Cœur Lacasse, un cabinet d'avocats. Elle a par la suite fait une maîtrise en droit puis un doctorat au London School of Economics.

Depuis 1994, Gabrielle Marceau l'Organisation mondiale du commerce, l'organisme international qui fixe les règles régissant le commerce international. À titre de conseillère au service juridique, elle assiste et informe les arbitres lorsqu'ils entendent des litiges entre pays aux termes de l'accord de l'OMC : frais de douanes jugés excessifs, cas de dumping, etc. À Genève, où est situé le siège social de l'OMC, Gabrielle Marceau fait partie d'un groupe de quelque 500 personnes qui s'occupe de l'administration des accords commerciaux de l'OMC, fixe un cadre pour les négociations commerciales, règle les différends commerciaux, assure le suivi des politiques commerciales nationales et fournit de l'assistance technique et de la formation pour les pays en développement.

Créé en 1995, l'OMC succède au GATT (General Agreement for Tariffs and Trade) à la suite de ce qu'on a appelé l'Uruguay Round.