TÊTES CHERCHEUSES

Au royaume de l'infiniment petit

par Odile Lamy et Bruno Levesque

Professeur au Département de génie électrique et génie informatique, Jacques Beauvais cherche des moyens de diminuer la taille de circuits intégrés et de diodes déjà microscopiques. En 1997, il a mis au point une méthode permettant de tracer des lignes métalliques de 50 nanomètres de large, soit cinq fois plus étroites que ce qu'on était capable de faire jusqu'à ce moment.

En électronique et en optoélectronique, l'heure est à la miniaturisation. Plus c'est petit, plus c'est efficace. Aujourd'hui, une puce de deux centimètres carrés peut contenir jusqu'à 10 millions de transistors et une diode de trois dixièmes de millimètre de large, être traversée par une série de faisceaux lasers transportant de l'information. Pour avoir une idée de la petitesse et de la complexité des circuits intégrés modernes, il suffit d'imaginer l'Amérique du Nord concentrée sur une carte routière grande comme un timbre-poste.

Physicien et ingénieur, Jacques Beauvais est tout à fait à l'aise dans ce monde de l'infiniment petit. Fort d'une compétence en recherche fondamentale et en recherche appliquée, il n'hésite pas à porter plusieurs chapeaux en travaillant sur des projets relevant à la fois de la physique et de l'ingénierie. "À l'échelle du nanomètre [un millionième de millimètre], il est très difficile de tracer une ligne entre la physique, le génie électrique, le génie informatique et l'informatique", explique Jacques Beauvais.

À cheval sur une frontière microscopique
Dans ce monde si petit que les frontières entre disciplines s'estompent, Jacques Beauvais dirige le Groupe de microélectronique de Sherbrooke (GMS). Les activités du GMS s'intègrent également à celles du Centre de recherche en physique du solide (CRPS) de la Faculté des sciences, où il fait partie d'une équipe qui s'intéresse aux semi-conducteurs.

Le chercheur a aussi la responsabilité des salles blanches situées au Département de génie électrique et génie informatique de la Faculté de génie. Ce laboratoire d'une superficie de 160 m2 est, en réalité, une salle à empoussièrement contrôlé dotée d'un imposant système de filtration de l'air pour offrir l'environnement sain indispensable à la fabrication de pièces électroniques ultrapetites. Comme l'illustre le maître de ces lieux aseptisés, il ne faut qu'une particule de poussière d'un demi-micron pour démolir un dispositif qui ne mesure qu'un dixième de micron !

Tous les projets que mène Jacques Beauvais s'insèrent à l'intérieur d'un troisième groupe, inclus dans le CRPS, le Groupe de recherche sur les matériaux pour composants et microstructures (MCM).

Un grand chercheur qui voit tout petit
Au sein du MCM, Jacques Beauvais est responsable du laboratoire d'optoélectronique et de fabrication de structures submicroniques. Ses connaissances tant théoriques qu'appliquées sur les matériaux avancés amène le physici en-ingénieur à travailler sur deux niveaux de miniaturisation : la microélectronique et l'optoélectronique.

Du côté microélectronique, il oeuvre sur ce qu'il nomme des nanostructures, c'est-à-dire des structures électroniques à l'échelle du nanomètre. Construits à partir des composés semi-conducteurs III-V, ces dispositifs possèdent un important potentiel d'applications dans les circuits intégrés. Ainsi, l'équipe de Jacques Beauvais étudie et caractérise des transistors aussi petits que 250 nanomètres, destinés aux nouveaux ordinateurs, et fabrique les modèles de microprocesseurs exigés par l'industrie.

La réalisation de puces de cette dimension exige des techniques de lithographie sophistiquées, comme le système à faisceau d'électrons du MCM situé dans les salles blanches. Ce procédé lithographique mis au point par Jacques Beauvais et deux étudiants, Dominique Drouin et Éric Lavallée, a valu à ses inventeurs de se classer parmi les dix découvertes de l'année 1997 au concours organisé par la revue Québec Science.

À l'aide d'un microscope électronique à faisceau d'électrons contrôlé par ordinateur et pouvant grossir jusqu'à 300 000 fois, ils ont trouvé comment tracer des lignes métalliques d'une largeur de 50 nanomètres. Cette nouvelle méthode donne des tracés cinq fois plus fins que ceux obtenus par les techniques de lithographie à moyens optiques utilisées habituellement ou, si vous préférez, 1000 à 2000 fois plus petits qu'un cheveu !

La physique appliquée à la microélectronique
Pour maximiser la performance des composants afin de produire des dispositifs de plus en plus compétitifs, les chercheurs doivent aussi se pencher sur les phénomènes physiques qui accompagnent la fabrication des nanostructures. Ceci requiert une collaboration étroite entre les différents laboratoires du MCM, le CRPS, le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) et l'Institut canadien de recherches avancées (ICRA).

Par exemple, pour observer le comportement collectif des électrons dans les microstructures, Jacques Beauvais travaille avec René Côté, professeur au Département de physique et théoricien des effets quantiques. Ils examinent comment les électrons réagissent lorsqu'on les fait passer dans un fil dont la largeur est aussi petite que leur propre longueur d'ondeº déjà minuscule.

Sur un fil de lumière
Technique permettant la transmission d'information à l'aide de dispositifs qui, comme les diodes, allient l'émission ou la captation de faisceaux lumineux et l'électronique, l'optoélectronique fait aussi l'objet de l'attention de Jacques Beauvais et de son équipe. Un de leurs objectifs est la fabrication de structures à fils quantiques pour produire, à partir d'un matériau semi-conducteur à arséniure de gallium, des diodes laser plus robustes et plus efficaces que les lasers à gaz. " La diode laser est un dispositif optoélectronique d'à peu près un demi-millimètre de long et trois dixièmes de millimètre de large, explique le spécialiste des matériaux avancés. Il suffit ensuite de faire circuler de l'électricité entre les deux électrodes de ces diodes pour qu'elles émettent de la lumière. " Et cette lumière-là peut véhiculer de l'information à un débit très rapide entre des points éloignés au moyen de la fibre optique, sorte de minituyau empli de verre dans lequel la lumière se réfléchit à 100 p. 100.

Dans le but d'augmenter la capacité de transmission de la fibre optique et la performance des diodes laser, Jacques Beauvais collabore avec Denis Morris, professeur au Département de physique et responsable du laboratoire de spectroscopies femtoseconde du MCM, et avec des anciens collègues de l'Université de Glasgow. Ensemble, ils cherchent à développer une méthode qui consiste à déposer des couches excessivement minces de semi-conducteurs pour former des grilles submicroniques destinées à emprisonner les électrons. " Comme les électrons ne sont plus capables de se promener partout, on peut utiliser moins de courant pour émettre de la lumière, ce qui contribue à accroître la stabilité thermique de la diode et à la rendre plus efficace ", explique le manipulateur d'électrons.

De l'électron au photon
Jacques Beauvais s'intéresse aussi à la photonique, un champ d'applications qui, à la différence de l'électronique dont l'unité de base est l'électron, est fondé sur l'énergie des photons, particules fondamentales de la lumière. En collaboration avec des chercheurs du CNRC, il élabore une technique de fabrication de composants photoniques complexes qui suscite un grand intérêt dans l'industrie optoélectronique. En réalisant des circuits intégrés avec des photons plutôt qu'avec des électrons, il sera possible de faire tenir plusieurs diodes laser sur une même puce. " Au lieu de souder ensemble une grande quantité de transistors montés séparément, nous sommes capables de passer à bien plus petit et d'être bien plus efficaces en mettant tout sur un même morceau de silicium ", précise Jacques Beauvais. Un tel circuit photonique, qui intègre dans une même fibre optique toute une série de lasers opérant à des longueurs d'onde légèrement différentes et modulées individuellement, permettra encore d'accroître la vitesse de propagation des informations et leur quantité.

L'utilisation des électrons pour imprimer des circuits destinés aux microprocesseurs ou des photons pour l'amélioration des dispositifs optoélectroniques accorde donc une bonne longueur d'avance à Jacques Beauvais dans la course à la miniaturisation. Malgré tout, ce dernier s'interroge sur les futures générations de composants. " Quand un transistor devient de la grosseur d'un atome, il y a une limite ", s'exclame-t-il. Mais compte tenu d'un passé déjà glorieux pour un jeune chercheur, il y a fort à parier que Jacques Beauvais saura adapter ses règles de conception pour dépasser les limites fondamentales qu'il entrevoit aujourd'hui. À quand les puces à l'échelle picométrique ?