TÊTES CHERCHEUSES

Sur la route du calcium avec Ghassan Bkaily

par Odile Lamy

C'est bien connu, le calcium est bon pour la santé. Toutefois, une surcharge de calcium dans les cellules peut avoir de lourdes conséquences comme le démontrent les recherches de Ghassan Bkaily, directeur du Département d'anatomie et de biologie cellulaire de la Faculté de médecine.

Après une maîtrise et un doctorat à l'Université de Sherbrooke, Ghassan Bkaily s'est spécialisé dans la pathologie des muscles vasculaires, cardiaques et squelettiques. Aujourd'hui, ce Sherbrookois d'adoption originaire du Liban jouit d'un grand prestige, ne serait-ce que grâce à son appartenance à deux des trois Groupes CRM de la Faculté de médecine. Chercheur au sein du Groupe CRM en physiopathologie et pharmacologie de la cardiomyopathie héréditaire, il dirige aussi un Groupe CRM qui se penche sur les interactions entre les systèmes cardiovasculaire et immunitaire ainsi que sur le rôle du calcium dans les processus de développement fœtal, de vieillissement et d'activation du système immunitaire. Son équipe se compose de cinq scientifiques provenant des départements de Pharmacologie, d'Immunologie, d'Anatomie et de biologie cellulaire de l'Université de Sherbrooke et d'un chercheur de l'Université de Montréal.

Se définissant comme un spécialiste du calcium, Ghassan Bkaily pousse plus loin l'étude de cet élément en vérifiant comment le calcium intracellulaire présent à l'intérieur du noyau des cellules (calcium nucléaire) ou à l'extérieur (calcium cytosolique) agit dans certaines maladies cardiovasculaires et dans le cycle cellulaire.

Le père du canal calcique de type R

Les différents projets de Ghassan Bkaily sont reliés à un même canal – le canal calcique de type R – qu'il a découvert avec son équipe de recherche, il y a cinq ans. Cette découverte s'est vite révélée intéressante, puisque ce canal intervient directement lors de l'entrée du calcium dans les cellules. " La concentration extracellulaire du calcium est la même partout dans l'organisme, précise le chercheur. Un taux normal ou non de calcium intracellulaire et nucléaire dépend des mécanismes qui laissent entrer le calcium à l'intérieur de la cellule. Et le plus important de ces mécanismes est, d'après nous, le fameux canal R. "

Dans plusieurs maladies, il y a une stimulation anormale de ces canaux qui provoque une augmentation de calcium à l'intérieur de la cellule. Dans le cas de l'artériosclérose, l'élévation du taux de calcium entraîne une hypertrophie des muscles lisses vasculaires, ce qui accroît la rigidité des vaisseaux sanguins. Cette perte d'élasticité fait progressivement obstruction au passage du sang et se traduit par une hausse de la tension artérielle.

Pour le cancer, qui est une division cellulaire incontrôlée, l'élévation du taux de calcium a lieu au niveau du noyau des cellules. En étudiant les variations de la concentration en calcium à cet endroit, Ghassan Bkaily cherche à diminuer, voire à inhiber, la pulsation calcique au niveau nucléaire pour arrêter la prolifération des cellules cancéreuses. " Mais il faut toucher la surstimulation du calcium et non la stimulation basale qui est nécessaire à la vie ", explique le spécialiste. Il est alors primordial de développer des médicaments capables de n'agir que sur la surexcitation, c'est-à-dire lorsque le canal calcique de type R est ouvert au maximum et laisse entrer le calcium à plein régime, ce qui est néfaste à l'équilibre physiologique. Des négociations sont d'ailleurs actuellement en cours en vue de créer une entreprise qui pourrait financer les premières étapes menant à la mise au point d'un nouveau médicament anticalcique.

Le calcium : catalyseur ou bombe à retardement ?

Malgré les critiques qui, en 1993, qualifiaient de " trop simple " la découverte de Ghassan Bkaily, le canal calcique de type R permet maintenant de mieux comprendre le rôle du calcium dans l'organisme. Si en temps normal, le calcium active notre métabolisme, son augmentation intracellulaire, sous l'excitation notamment des canaux calciques de type R, peut devenir une véritable bombe à retardement. En effet, la vie est régulée par quelques substances, dont le calcium et le sodium, entre autres. " Toute la vie est homéostasie, fait remarquer Ghassan Bkaily. C'est le déséquilibre maintenu trop longtemps qui entraîne les pathologies. "

Par exemple, cette instabilité des composants vitaux sous l'influence de la surcharge calcique se révèle catastrophique pour les cellules hautement différenciées, comme celles du cœur. Ces cellules, qui ne peuvent se renouveler une fois matures, courent alors tout droit à leur mort. Quand le calcium intracellulaire demeure trop longtemps très élevé, les cellules qui ont gardé le potentiel de se multiplier vont, elles, se diviser pour abaisser le taux de calcium à l'intérieur de leur noyau. Toutefois, cette solution reste temporaire, puisque le canal R, toujours suractivé, imprègne de nouveau fortement le noyau des cellules en calcium jusqu'à une nouvelle division, et ainsi de suite, un scénario qui risque de mener à un cancer.

Fort de sa découverte du canal calcique de type R et bien soutenu financièrement par les Groupes CRM, qui représentent chacun une subvention annuelle d'environ 500 000 $, Ghassan Bkaily continue de s'investir à fond dans des recherches fondamentales qui, un jour, contribueront à la prévention et au traitement de maladies incurables. Car même si, au dire du chercheur, " la nature est simple et très bien organisée; c'est nous qui compliquons les choses et il faut plutôt se fier à son instinct et à son imagination ", les secrets du corps humain nécessiteront toujours des scientifiques de haut niveau pour élucider les mécanismes responsables des états pathologiques spécifiques, tels la régulation du taux de calcium, et pour mettre au point des traitements appropriés.