TETE À TETE

Questionné à propos du métier qu'il comptait exercer plus tard, Robert Jolicoeur, enfant, répondait qu'il voulait faire comme sa mère : aimer les pauvres. Quarante ans plus tard, Robert Jolicoeur est curé de Saint-Charles Garnier, une paroisse comptant 5600 personnes située dans le nord de Sherbrooke.

Le chemin du divin

par Bruno Levesque

Le chemin qui a mené Robert Jolicoeur à la prêtrise trouve son origine au sein de la cellule familiale. Le diplômé en théologie a grandi au sein d'une famille plutôt religieuse du nord de Montréal. Son père avait une petite entreprise de plomberie-chauffage, entreprise à laquelle il aurait bien aimé voir son fils s'associer. <<Mais Jésus avait décidé que je déboucherais des coeurs plutôt que des tuyaux>>, explique le principal intéressé.

Maman Jolicoeur, elle, aimait les pauvres. Pour illustrer ce parti pris de sa mère pour les moins fortunés, Robert Jolicoeur raconte que, dans les années 50, Mickey Mouse était un personnage très populaire auprès des jeunes. Le jeune garçon avait demandé à ses parents de lui offrir un chandail à l'effigie de la souris vedette de Walt Disney, chose qui lui avait été refusée. Devant ce refus, le petit bonhomme avait dû prendre un travail de camelot pour se payer le chandail de ses rêves.

Comme à presque tous les samedis, le petit Robert se retrouve avec sa mère au grenier des pauvres, un organisme de charité pour lequel madame Jolicoeur est bénévole. Un petit gars demande alors à sa mère venue chercher au grenier des vêtements pour vêtir sa famille s'il pourrait, lui aussi, avoir un chandail Mickey Mouse. <<Ma mère m'a dit d'enlever mon chandail et de lui donner, qu'elle me trouverait un autre chandail dans le grenier. J'avais les larmes aux yeux quand j'ai donné le chandail au petit garçon>>, raconte Robert Jolicoeur.

Le diplômé en théologie soutient qu'il a tiré une grande leçon de cet épisode : <<C'est important d'avoir dans la cellule familiale des gens qui travaillent ton coeur de cette façon. Le plus beau message que j'ai retiré de cette histoire, c'est que, quand on donne, on en ressort toujours plus riche. C'est sans doute le plus bel héritage que mes parents m'ont laissé, que de me donner un coeur sensible aux plus pauvres.>>

La littérature, puis l'évangile

Jeune adulte à la fin des années 60, Robert Jolicoeur a développé son goût pour la littérature. Il lisait de tout, particulièrement les auteurs français : Flaubert, Claudel, Malraux, Musset... Il rêvait alors de devenir professeur de littérature française. Il a séjourné en Europe pendant deux ans, dont plusieurs mois à Paris. <<Le soir, j'allais à des pièces de théâtre à la Comédie française. J'étais fou de littérature, raconte Robert Jolicoeur. Le jour, je me rendais au cimetière du Père Lachaise et je m'assoyais sur la tombe de Musset où je lisais ses poèmes à l'ombre du saule pleureur.>>

Peu de temps après, le jeune homme est interpellé par de grandes questions à propos de la vie, de son sens, de la souffrance et de la mort. Pour réfléchir tranquille, il décide d'aller passer quelques jours chez les moines bénédictins de l'Abbaye Saint-Benoit-du-Lac. Il y reste deux ans. <<Un matin, une phrase de l'Évangile m'a frappé, se souvient le diplômé en théologie. Jésus disait que si on voulait être heureux, on devait vendre tout ce que l'on possède et le suivre. Ce matin là, j'ai eu l'impression que c'était une réponse à mes questions, moi qui recherchais le bonheur.>>

Robert Jolicoeur va donc rencontrer Jean-Marie Fortier, alors archevêque du diocèse de Sherbrooke, et, en septembre 1972, il entre au Grand Séminaire et par le fait même à la Faculté de théologie.

À l'Université de Sherbrooke

En 1972, la formation en théologie des grands séminaristes se faisait à la Faculté de théologie de l'Université de Sherbrooke. Robert Jolicoeur a donc étudié à l'Université pendant quelques années, commençant même une maîtrise en théologie après l'obtention de son baccalauréat. <<La Faculté de théologie était un endroit où il était agréable d'aller réfléchir et discuter. Nous avions là des maîtres qui n'avaient pas peur de nous remettre en question et une belle jeunesse intéressée par tout ce qui l'entourait.>>

Même si les questions religieuses l'intéressaient au plus haut point, Robert Jolicoeur a aussi été très actif dans les associations étudiantes. Élu par une voix de majorité à la présidence des l'Association des étudiants en théologie de l'Université de Sherbrooke, il est resté trois ans à la tête de l'association, siégeant non seulement à l'Association fédérative des étudiants de l'Université (AFEUS), mais aussi au conseil d'administration de l'établissement. Il a ainsi eu le plaisir de côtoyer deux recteurs : le regretté Roger Maltais ainsi que son successeur, Yves Martin. Il dit d'ailleurs conserver un excellent souvenir de ces deux personnes.

Un curé à succès

C'est connu, les églises catholiques québécoises ont déjà connu une plus grande popularité. Dans chaque paroisse, ou presque, l'église n'attire plus qu'un petit nombre de fidèles. Pourtant, il faut quasiment réserver d'avance pour pouvoir assister aux offices municipaux que célèbre Robert Jolicoeur.

Le curé de Saint-Charles Garnier a sa petite idée pour expliquer à la fois la désaffectation qu'a connu l'Église et les raisons de son succès. <<Beaucoup de gens ont quitté l'Église depuis le Concile Vatican II, au début des années 60, rappelle-t-il. C'est peut-être parce qu'on avait trop longtemps maintenu les gens dans une sorte d'infantilisme religieux. Quand on leur a proposé de devenir adultes dans leur foi, plusieurs ont préféré s'en aller. Plusieurs se sont tournés vers des sectes religieuses qui continuaient de les exploiter et de les garder dans l'infantilisme.>>

Robert Jolicoeur explique du même souffle que l'Église continue d'annoncer l'évangile, mais qu'elle s'adresse trop au cerveau des gens, en oubliant qu'ils sont aussi faits d'affection, de sentiments et d'émotion. L'Église, selon lui, traverse une crise de langage. <<C'est comme si on ne savait plus parler de Jésus-Christ avec des mots d'aujourd'hui, affirme-t-il, comme si on avait peur du langage du coeur.>>

Le langage du coeur semble être celui qu'a adopté Robert Jolicoeur. En chaire, il souligne souvent l'importance de croire que les gens sont plus beaux que le mal qu'ils peuvent faire. Il rappelle aussi aux gens de se réserver des temps de contemplation, de méditation, de prière et de silence. <<J'essaye aussi de leur dire, plus par ma vie que par mes discours, qu'on est plus heureux lorsqu'on met du divin dans notre vie.>> Et bien sûr, en souvenir de Mickey Mouse, il insiste sur le fait que partager appauvrit très rarement, mais rend toujours plus riche.

Quant à savoir si les églises seront à nouveau pleines dans un avenir prévisible, Robert Jolicoeur n'est pas certain que ce soit souhaitable. <<Il n'est pas nécessaire qu'il y ait des milliards de chrétiens partout dans le monde, explique-t-il. Peut-être que des milliers suffiront, par leur vie et leur témoignage, à donner le goût de l'Évangile.>>

Le mandat de Robert Jolicoeur se termine le 1er août 1999. Suivra une année sabbatique au cours de laquelle il compte aller en Italie et séjourner quelques mois dans l'abbaye où l'abbé Pierre vit présentement. <<J'y vais pour méditer en silence, dit-il, et peut-être risquer deux ou trois petits échanges avec lui, parce que c'est la personne que j'ai le plus rêvé de rencontrer de toute ma vie>>. Après, il ira étudier la psychologie religieuse en Suisse, pour revenir à Sherbrooke et voir, avec son évêque, les projets qu'il pourrait lui offrir pour l'an 2000. <<Moi, j'ai toujours rêvé d'être animateur de pastorale à l'Université. J'avais même postulé sur ce poste en 1978 et ma candidature n'avait pas été retenue.>> Le message est passé. Que les intéressés se le tiennent pour dit.