Parlons sports

Sonia Paquette et Marc Quessy connaissent une carrière sportive exceptionnelle. Sonia Paquette se maintient dans le peloton de tête canadien au 100 mètre haies. Elle a terminé au 8e rang au Championnat mondial universitaire, tenu en Sicile en août 1997, en plus de remporter une médaille de bronze au relais 4 fois 100 m. De son côté, Marc Quessy évolue dans le monde du sport en fauteuil roulant. Il a remporté plusieurs médailles, que ce soit au Championnat du monde ou aux Jeux paralympiques.

Richard Crevier, Paul Deshaies et Pierre Lemieux sont associés au monde du sport depuis de nombreuses années. Entraîneur du Vert & Or en athlétisme, Richard Crevier est reconnu comme l'un des meilleurs de sa profession au Canada. Pour leur part, Paul Deshaies et Pierre Lemieux sont des anciens porte-couleurs du Vert & Or. Paul Deshaies est maintenant professeur à la Faculté d'éducation physique et sportive, tandis que Pierre Lemieux dirige le Service des ressources humaines de l'Université.

SOMMETS a réuni ces cinq fervents amateurs de sport, afin de discuter des valeurs associées au sport, de l'effort, du respect, de l'honnêteté, de la tricherie et des substances illicites.

Propos recueillis par Bruno Levesque

SOMMETS : Avec tout ce que l'on sait aujourd'hui sur le monde du sport, tous les doutes qui planent depuis l'histoire de Ben Johnson, peut-on croire encore que les athlètes peuvent constituer des modèles pour la jeunesse et le sport une belle école de formation?

Paul Deshaies : En soi, la compétition sportive n'est ni mauvaise ni bonne. Le sport demeure avant tout un moyen, un moyen de se valoriser, de se développer et d'acquérir des valeurs. Tout dépend de la façon dont il est utilisé par les parents, par les entraîneurs, par l'ensemble de la structure sportive et par les athlètes eux-mêmes.

Marc Quessy : Ce n'est pas parce que quelques athlètes utilisent des substances interdites pour gagner, que les athlètes ne peuvent plus être pris comme modèles ou incarner des valeurs positives. Il s'agit juste d'aller dans les grandes compétitions pour s'apercevoir jusqu'à quel point les gens qui sont là sont, en très grande majorité, des gens d'une grande valeur.

Richard Crevier : Pour moi, le sport est un moyen d'éducation. J'ai commencé dans l'enseignement avec cette idée et je conserve cette façon de voir les choses maintenant que je suis entraîneur. Je crois fermement que le sport demeure une façon de former la jeunesse et je suis certain que des athlètes comme Sonia Paquette, Marc Quessy sont d'excellents modèles pour les jeunes.

Sonia Paquette : Pour trouver des modèles, il ne faut pas nécessairement que les jeunes se tournent vers des athlètes qui ont réussi des choses extraordinaires comme Sylvie Fréchette ou Annie Pelletier. Je crains que la barre soit très haute pour beaucoup d'entre eux et qu'ils risquent de se décourager. Des athlètes de niveau provincial peuvent aussi être de très bons modèles.

Pierre Lemieux : Les athlètes seront toujours des modèles pour les jeunes, qu'on le veuille ou non. Mais il y a toute sorte d'athlètes, donc toute sorte de modèles, des bons comme des moins bons. Pour ce qui est de la valeur éducative du sport, j'ai une assez longue expérience de travail au sein de services de ressources humaines et je sais que beaucoup de gens vont choisir de préférence une personne qui a fait du sport organisé à un niveau assez élevé. Pour ces gens, si ces anciens athlètes ont pu réussir leurs études tout en pratiquant un sport, c'est un signe qu'ils sont capables de s'organiser, de faire des sacrifices quand il le faut, etc.

SOMMETS : Pourtant, si on prend par exemple la course à pied sur courte distance aux Jeux Olympiques, il est difficile de regarder les trois athlètes sur le podium après une course sans penser qu'ils ont peut-être consommé de ces fameuses substances interdites.

Sonia Paquette : Je ne m'arrête pas vraiment à de telles questions. J'ai peut-être déjà battu une fille qui avait pris des stéroïdes. Ce n'est pas parce qu'un athlète prend des stéroïdes qu'il devient imbattable. Moi, ce que je veux, c'est aller le plus haut possible, c'est tout. Mais il y a une situation qui m'amène à me poser des questions. C'est quand la progression d'un athlète qui pratique son sport depuis plusieurs années s'améliore tout à coup, quand ses meilleurs temps passent de 10,9 s à 10,3 s en quelque mois.

Paul Deshaies : On peut décider de ne pas se poser de question à ce sujet, mais je suis convaincu, peut-être à tort, qu'ils utilisent des moyens artificiels. Par contre, ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas réussir des performances de très haut niveau sans consommer ces substances.

Marc Quessy : C'est presque devenu une blague. Quand le gagnant du 100 m lève le bras en signe de victoire, les gens ne se demandent pas s'il a consommé quelque chose d'illégal, mais quelle sorte il a consommé. Dans mon sport, même s'il est très jeune, les stéroïdes circulent déjà. Les gens savent qui en prend et qui les vend.

Richard Crevier : Je préfère demeurer un peu naïf, parce qu'autrement je vais abandonner. Je persiste à croire qu'il y a encore des champions olympiques propres. Sonia Paquette, dans la troisième plus importante compétition d'athlétisme au monde, le Championnat du monde universitaire, a réussi à participer à la finale et même à monter sur le podium avec une médaille de bronze au relais sans absorber le moindre stéroïde.

Paul Deshaies : Je suis convaincu que la grande majorité des athlètes amateurs, qui s'entraînent beaucoup et qui vont au maximum de leurs possibilités, le font essentiellement parce qu'ils adorent faire ça et ne seront jamais tentés par l'usage de ces substances. Seuls ceux qui atteignent le niveau où ils vont pouvoir monnayer leur talent sportif soit en devenant professionnels, soit en demeurant amateurs dans les quelques disciplines payantes, vont accepter de prendre des stéroïdes. C'est une très petite minorité.

Richard Crevier : Beaucoup d'athlètes qui connaissent une belle carrière au niveau national ne seront jamais parmi les meilleurs au monde, même s'ils utilisaient des stéroïdes. Il n'y a qu'une très mince couche d'athlètes, qui, eux, peuvent avoir des ambitions au plan international. Les stéroïdes anabolisants n'ont rien de magique. Il faut quand même que l'athlète possède des qualités génétiques extraordinaires et s'entraîne pour développer les diverses qualités physiques nécessaires pour obtenir la performance recherchée.

Paul Deshaies : Et c'est difficile de blâmer les gens pour ce choix. On parle de dizaines de millions de dollars. L'enjeu est extrêmement important pour ces personnes. Dans certains cas, c'est leur seul moyen de sortir de la misère.

SOMMETS : En ce sens, est-ce que les athlètes ne sont pas tout simplement à l'image d'une société qui semble privilégier la réussite sans tenir compte des moyens pris pour y arriver?

Paul Deshaies : De nos jours, la performance est très valorisée et ceux qui ne gagnent pas sont vite retombés dans l'oubli. L'attrait de la victoire est extrêmement fort et, dans bien des sports, peut avoir une valeur économique très importante. Pendant la progression d'un athlète, dès les premiers signes encourageants au sein du club régional, jusqu'au moment où il est sélectionné pour faire partie de l'équipe nationale, il y a toute une pression sociale exercée sur lui par la société qui l'entoure. Il reçoit une publicité et une visibilité énorme. La société met beaucoup d'espoir dans ses athlètes.

Marc Quessy : La réaction à cette pression dépend beaucoup de l'éducation qu'a reçu l'athlète. Elle dépend comment l'athlète a appris à vivre avec la victoire et l'échec, comment les gens autour de lui réagissent. Quelqu'un qui trouve une source de motivation dans le fait qu'il soit reconnu dans la rue ne réagira pas de la même façon qu'une personne qui pratique un sport parce qu'il aime ce sport et qu'il est devenu un mode de vie pour elle.

SOMMETS : D'après votre expérience, la consommation de ce type de substance a-t-il augmenté ou diminué depuis 1988 ?

Marc Quessy : Je crois qu'il y a actuellement plus de consommation de ce type de produits qu'en 1988. Et il y en aura encore plus l'année prochaine et l'année d'après.

Sonia Paquette : Moi je pense le contraire, il me semble qu'on en entend beaucoup moins parler qu'auparavant.

Marc Quessy : Tu as peut-être raison pour les athlètes amateurs canadiens, mais globalement je suis certain que la consommation est grandissante.

Richard Crevier : En moyenne, l'ensemble des sportifs amateurs qui font de la compétition aujourd'hui sont aussi honnêtes que les sportifs d'hier. Si un athlète a du plaisir à pratiquer son sport, s'il se valorise en améliorant ses performances, il n'aura pas envie de tricher. Le sport, l'athlétisme du moins, est très lié au système d'éducation. L'athlète commence à faire du sport au primaire et poursuit jusqu'au niveau universitaire. D'un bout à l'autre de ce système, je crois que la très grande majorité des gens sont honnêtes.

Pierre Lemieux : Je suis loin du milieu sportif maintenant et je ne suis plus au courant de ce qui s'y passe. Mais, comme spectateur, je suis convaincu que ces produits vont être de plus en plus consommés et qu'on va en détecter de moins en moins. Je pense que les techniques de masquage de ces substances ont toujours une longueur d'avance sur les techniques de dépistage, tout simplement parce qu'il y a beaucoup plus d'argent investi pour mettre au point de nouveaux produits que dans les outils de dépistage.

Paul Deshaies : Depuis l'histoire de Ben Johnson, les autorités ont enlevé combien de titres de champion olympique ou de champion du monde? Très très peu. Donc les gens qui envisagent d'utiliser ce type de moyens perçoivent qu'ils vont s'en tirer facilement parce qu'ils savent à l'avance quand ils vont subir un test et que, en plus, les techniques de masquage sont devenues très efficaces.

Pierre Lemieux : En plus de ça, ceux qui se font prendre n'ont pas de très grosses sanctions et on les revoit aux Jeux olympiques suivants.

Sonia Paquette : Mais il n'y a pas que les sanctions. L'athlète sait qu'il a triché.

Marc Quessy : C'est ça que je voulais dire quand je disais que ça dépendait de l'éducation de chacun.

Paul Deshaies : Je suis certain qu'il y a des gens qui, en raison de leur éducation, ne pourraient pas accepter de tricher ainsi. L'argent, pour eux, n'exerce pas un attrait suffisant.

Pierre Lemieux : Mais la personne qui en prend, elle, est très capable de vivre avec sa décision.

SOMMETS : Un dernier mot...

Pierre Lemieux : Du temps où je regardais les Jeux olympiques, j'essayais de voir quel était le plus bel athlète ou le meilleur athlète dans tel ou tel sport. J'ai décroché depuis l'affaire de Ben Johnson. Qui est le dernier athlète à avoir battu le record du mille sans recourir au dopage ? C'est impossible pour moi de le savoir. Alors ça ne m'intéresse plus. Maintenant les athlètes les plus méritants à mes yeux sont les athlètes qui, comme Sonia Paquette, arrivent parmi les meilleurs athlètes universitaires au Canada. Là je peux encore me dire que ce sont des athlètes naturels. Mais j'ai constamment des doutes quant aux performances de l'élite internationale.

Richard Crevier : Quand j'ai commencé à entraîner des athlètes susceptibles de faire l'équipe nationale au début des années 80, j'ai tout de suite voulu savoir ce qui se passait avec les stéroïdes et je l'ai su assez rapidement. À ce moment-là, j'ai eu un choix à faire et j'ai décidé que, parce que j'aimais l'athlétisme, je continuerais à jouer mon rôle d'entraîneur comme je l'avais toujours fait, pour les belles valeurs que le sport pouvait apporter aux gens qui le pratiquent. Et il y a beaucoup de gens qui font du sport dans cette optique. Il ne faudrait pas oublier ceux-là et donner toute notre attention à celles et ceux qui trichent.