<<Ce n'est pas du dopage, ce sont des vitamines et des produits naturels!>>

par David Farrar*

Ces paroles, je les ai entendues à quelques reprises dans mon cabinet de consultation. Après quelques explications, nous avons, mon patient et moi, conclu que l'effort, sous la supervision d'un entraîneur éclairé, valait mieux que les poudres et les capsules.

Maintenant considérée comme anodine, une telle situation est la conséquence du monde extrêmement compétitif des Jeux olympiques et autres événements sportifs, autant chez les professionnels que les amateurs. L'usage de substances interdites est un secret de polichinelle. Au plus haut niveau de compétition, certains athlètes ou groupes d'athlètes reçoivent de l'aide pour améliorer leur performance, même si les autorités ont institué plusieurs programmes et contrôles pour valoriser la saine compétition et l'éthique.

À un autre niveau, nettement moins privilégié celui-là, des athlètes moins fortunés et moins informés ont surtout accès à des produits du marché clandestin. Ils partagent les aiguilles et risquent la transmission du sida et de l'hépatite; certains produits d'origine humaine peuvent même transmettre la maladie de Creutzfeldt-Jakob, maladie rendue célèbre par les bovins d'Angleterre.

Le reflet de notre société

Cette situation est à l'image de l'ensemble de la société que nous avons façonnée, où la compétition et la survie balisent la pratique. Les mondes de l'industrie, des finances, de la politique... ne sont pas plus propres. Le monde sportif est sans doute l'un des rares domaines où la tendance est à l'amélioration!

Lorsque vous et moi participons à une activité sportive, nous cherchons à nous dépasser, à exécuter le coup parfait qui, pour l'espace de quelques secondes, nous comble de plaisir. Par la suite, nous en parlons abondamment à tous nos amis pour revivre ce moment d'extase. Les athlètes de carrière investissent tout pour se dépasser et dépasser les autres. Par la suite, ils veulent que tout le monde en parle. C'est leur moment d'extase. Quand Ben Johnson a gagné sa course aux Jeux olympiques de 1988, j'ai vu ma mère se lever de sa chaise si vite qu'il s'agissait en soi d'une performance mémorable. Ben Johnson a couru pour ma mère, pour vos parents, pour le monde entier et pour lui-même. Il était prêt à tout pour nous faire bondir de nos sièges. Et il n'était pas le seul.

Tout est dans le message

La machine humaine se subdivise en systèmes et organes dont les fonctions complémentaires s'harmonisent en répondant aux multiples messages chimiques véhiculés par des substances solubles. Ces substances ciblent des relais qui multiplient la portée et modifient le contenu du message. Ainsi s'active un réseau d'informations en cascade, une forme d'Internet intime et précieux. Ce grand réseau de communication, extrêmement complexe, bombarde d'informations les antennes dans tous les organes jusqu'au niveau cellulaire pour les synchroniser.

L'équilibre optimal, l'homéostasie, est synonyme de bien- être et de santé autant physique que mentale. Lors de l'entraînement, toutes les structures du corps reçoivent de multiples messages d'adaptation et se guérissent en fonction des nouveaux besoins; les performances de l'athlète s'améliorent d'autant. Sur une échelle temporelle plus grande, le message devient génétiquement permanent. Le genre humain évolue.

La plupart des méthodes et des substances utilisées pour le dopage sportif modifient certains de ces messages en les amplifiant sélectivement et hors contexte. À l'inverse, d'autres messages sont rendus silencieux, ce qui permet le dépassement des limites naturelles du corps. En brisant ainsi l'homéostasie, ces substances entraînent une série d'effets secondaires, parfois catastrophiques sur la santé.

Dans la pharmacie

La classe des stimulants sollicite le système nerveux central. La vigilance, le temps de réaction et la force augmentent pendant que la fatigue est réduite. Du même coup, l'athlète éprouve des difficultés de réglage thermique et doit s'accommoder avec de l'irritabilité et de l'insomnie. Testés pour la première fois aux Jeux de Montréal en 1976, les stéroïdes anabolisants, dérivés de l'hormone mâle testostérone, augmentent le nombre et la grosseur des fibres musculaires. L'amélioration de la capacité d'exercice et de la force se combinent malheureusement avec l'apparition, entre autres, d'acné, de gynécomastie (apparition de seins chez l'homme), d'atrophie testiculaire et de maladie cardiovasculaire. Les athlètes féminines doivent vivre avec des effets androgéniques : irrégularités menstruelles, augmentation de la pilosité, hypertrophie du clitoris et atrophie des seins.

La classe des bêta- bloquant diminue la fonction cardiaque et réduit l'anxiété et les tremblements; ces substances intéressent particulièrement les tireurs qui recherchent une plus grande précision et plus de stabilité. Par ailleurs, ces athlètes doivent aussi vivre avec une fonction cardiaque altérée. Pour leur part, les diurétiques façonnent les corps et permettent de réduire le poids de façon très rapide. Ils sont surtout utilisés dans les sports où les athlètes sont classés selon leur poids. Ils permettent à certains de compétitionner dans une classe plus légère que celles où ils se seraient normalement retrouvés. D'autres athlètes utilisent aussi des diurétiques pour augmenter le volume urinaire et masquer d'autres substances par dilution.

Les hormones peptidiques et de croissance ont récemment pris la vedette. Pratiquement impossibles à détecter, ces substances situent leur action à un niveau élevé dans la cascade de message biologique et, par voie de conséquence, accélèrent l'activité de plusieurs types de cellules. Pour la même raison, par épuisement cellulaire, les effets secondaires sont très variés : ostéoporose, maladie coronarienne, impuissance, diabète et de nombreux autres.

Pour optimiser leur effet et tromper les tests de dépistage, tous ces produits dopants doivent être administrés avec soin selon des dosages et un calendrier individualisés et très précis. Certaines techniques, comme le dopage sanguin, requièrent de plus un équipement spécialisé. Visiblement, la plupart n'ont pas accès à cette expertise, d'où des dangers encore plus grands pour la santé des utilisateurs, sans oublier des réorientations de carrière chez certains athlètes...

J'écris pour vous ce texte par un gris samedi de novembre. Par souci d'efficacité et de performance, j'en suis à mon quatrième café. Serait- ce une des formes de dopage quotidien, socialement acceptées?

* Diplômé de l'Université de Sherbrooke, médecin responsable du Service de santé des Services à la vie étudiante pendant plusieurs années, David Farrar jouit, depuis quelques semaines à peine, d'une semi-préretraite. Il partage maintenant sa vie entre ses passions et son travail comme médecin à la Clinique de médecine et sport située au Centre sportif de l'Université de Sherbrooke.