TÊTES CHERCHEUSES

Enfants à problèmes

Prévenir vaut souvent mieux que guérir

par Stéphanie Quirion

Tous les parents ont eu, un jour ou l'autre, de la difficulté avec leur enfant. Il a réagi bizarrement, s'est énervé pour rien, a boudé ou a piqué une crise. C'est normal. Mais lorsque ces difficultés persistent, il peut être rassurant de savoir qu'il existe des gens vers qui l'on peut se tourner. Marc Bigras est l'une de ces personnes. Cofondateur du Laboratoire d'intervention psychoéducative à l'enfance (LIPE), l'expert en psychologie du développement travaille à mettre au point des solutions visant à régler, voire à prévenir certains désordres de la conduite chez les jeunes, dont l'agressivité et la timidité.

Un laboratoire près des gens

Professeur au Département d'éducation spécialisée, Marc Bigras dirige le laboratoire avec l'aide d'Henri Mercier, professeur au même département. Le centre, en opération depuis septembre 1997, intègre des objectifs de recherche, de formation et de service à la collectivité. On y étudie les relations parents-enfants afin de mieux comprendre les mécanismes familiaux qui favorisent ou non le développement socioaffectif de l'enfant. Situé dans le quartier Est de Sherbrooke, le LIPE est aménagé dans un local de l'école l'Assomption. Marc Bigras explique la nature stratégique de cet emplacement : <<On cherchait à se rapprocher de notre population-cible. Après tout, c'est elle qui bénéficie des services. Le campus universitaire n'aurait pas permis ce contact étroit avec la population, élément essentiel à la réussite du projet.>>

Le LIPE accueille une vingtaine d'enfants âgés de 3 à 6 ans qui sont inhibés, ou, à l'inverse, agressifs. Ces jeunes sont recrutés dans des écoles primaires et par l'intermédiaire des CLSC. Ils sont généralement issus de familles défavorisées et dont les membres ont un niveau de stress élevé parce qu'ils vivent des situations difficiles : séparation, divorce, problèmes de drogue ou d'alcool, violence conjugale ou dépression.

Les rouages de l'intervention

Composée de deux coordonnatrices et de 10 étudiantes et étudiants de 2e et 3e cycles, l'équipe de Marc Bigras effectue le dépistage d'enfants à problèmes, étudie leur comportement dans des circonstances précises, dénote les troubles de la conduite puis recommande aux parents des façons d'agir avec leur enfant pour l'aider à mieux se conduire.

Par le biais de jeux de rôles, on évalue la communication entre parent et enfant et la façon dont chacun réagit aux comportements de l'autre. Ces mises en situation sont filmées et ensuite visionnées par le parent et le psychoéducateur. Le parent peut ainsi revoir ses réactions et en expliquer les motifs. Le psychoéducateur fait alors le point sur la façon dont le parent communique avec son enfant et lui suggère des pistes d'amélioration. Il lui offre un soutien dans sa démarche et l'aide à bâtir un réseau social solide.

Et les résultats?

Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions précises quant aux travaux menés au LIPE. Cependant, de nombreuses études démontrent que chaque dollar investi dans la prévention à l'âge préscolaire permet d'économiser jusqu'à sept dollars en services sociaux à l'âge adulte. Marc Bigras insiste sur la nécessité d'agir auprès d'enfants d'âge préscolaire afin de corriger le plus rapidement possible les désordres de la conduite : << Les interventions précoces ne sont pas parfaites, explique-t-il, mais elles réduisent de façon significative les risques d'aggravation du problème. >>

Répandre la bonne nouvelle

Par l'intermédiaire du LIPE, Marc Bigras se fait missionnaire de la recherche en psychoéducation : << Les étudiantes et étudiants sont davantage attirés par l'aspect intervention. C'est donc mon devoir de leur rappeler qu'il est impossible d'offrir un service de qualité si l'on n'a pas au préalable effectué des recherches devant guider le choix des moyens. >> De toute évidence, le psychoéducateur prêche pour sa paroisse, mais pas dans le désert : il bénéficie de subventions du Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS) et du Fonds pour la formation de chercheurs et l'aide à la recherche (FCAR). Le projet va bon train et le chercheur a des visées expansionnistes. Il envisage recruter des parents de nouveau-nés afin d'étudier l'attachement parent-enfant. Plus encore, il soutient que l'intervention précoce serait profitable même aussi tôt que durant la grossesse, en particulier chez les mères atteintes de maladies mentales.

Si, par les conclusions tirées de ses recherches, Marc Bigras réussit à convaincre le gouvernement d'établir des programmes d'intervention précoce à l'échelle nationale, les adultes de demain parviendront peut-être enfin à bâtir un monde meilleur...