TREMPLIN

Un médecin en ex-Yougoslavie

par Bruno Levesque

Sylvain Ladouceur n'a surtout pas l'air d'un aventurier. Il est discret, parle doucement, semble très calme, voire un peu timide. Il n'a rien de commun avec ces héros tapageurs et indisciplinés que présentent les films américains. Diplômé en médecine en 1992, spécialiste de la médecine familiale, ce lieutenant de l'armée canadienne s'est pourtant retrouvé au coeur du conflit opposant Serbes et Croates dans l'ancienne Yougoslavie.

En 1995, quand l'armée canadienne a envoyé un bataillon en ex-Yougoslavie, dans le cadre d'une opération de surveillance et d'aide humanitaire de l'Organisation des nations unies (ONU), Sylvain Ladouceur était du voyage. Il est demeuré six mois dans le camp de Kambat, près du petit village de Rastevic, en Croatie. Le mandat du contingent canadien était, en collaboration avec des contingents provenant d'autres pays, de surveiller une zone démilitarisée située entre une enclave occupée par les Serbes en territoire croate et le reste de la Croatie. Les soldats de l'ONU devaient aussi assurer la protection des gens - presque exclusivement des vieillards, des femmes et des enfants - qui vivaient dans cette zone et leur offrir l'aide humanitaire dont il avait besoin.

Objet de convoitise de part et d'autre, cette bande de quelques kilomètres de terrain était à l'époque une véritable zone de haute tension. Des escarmouches éclataient à tout moment et le sifflement des balles constituait une sorte de fond sonore habituel. Les soldats des deux camps étaient omniprésents et chaque livraison d'équipement, chaque déplacement de soldats de l'ONU faisait l'objet d'une surveillance étroite.

En septembre 1995, malgré la présence des forces de l'ONU, l'armée croate a même reconquis le territoire que les Serbes avaient envahi quelques mois auparavant. L'armée croate est passée par la zone de séparation, obligeant les soldats de l'ONU à demeurer à l'intérieur de leurs bunkers pendant plusieurs jours.

Comment arrive-t-on à supporter pareil climat? <<On essaye de ne pas trop penser aux dangers que l'on court, explique Sylvain Ladouceur. De cette façon, on arrive presque à s'habituer. Par exemple, quand nous sommes arrivés, le bruit des balles nous faisait peur, raconte Sylvain Ladouceur. Vers la fin, nous faisions notre jogging quotidien autour du camp.>>

Exercer la médecine dans un tel contexte n'était pas chose facile. À plusieurs reprises, Sylvain Ladouceur a dû imaginer des solutions inédites et utiliser des moyens de fortune pour soigner ses patients, qu'il s'agisse de soldats ou de personnes habitant un des villages de la zone de séparation. Il s'est parfois senti bien loin des salles de classe de la Faculté de médecine et, surtout, des cliniques et hôpitaux québécois. <<Comme équipement, nous n'avions pas grand-chose>>, se souvient-il.

Des engagements contradictoires

Sylvain Ladouceur était étudiant à la Faculté de médecine quand il a eu l'idée de s'engager dans l'armée canadienne. Célibataire, pas trop riche, il voyait dans cet engagement la possibilité de se faire payer ses études. De plus, l'idée d'aller exercer la médecine à l'étranger lui souriait. Il avait le goût de vivre ce genre d'aventure. Il a même postulé pour faire partie du groupe de Canadiens qui a séjourné au Rwanda en 1994. <<C'était quelques mois seulement après la fin de mes études, raconte-t-il. Heureusement, un médecin de l'armée a jugé que je n'avais pas assez d'expérience pour aller là-bas.>>

L'année suivante, quand l'offre de partir pour l'ex-Yougoslavie s'est présentée, le jeune médecin s'est de nouveau porté volontaire. Cependant, il s'était entre-temps marié et son épouse avait déjà donné naissance à leur premier enfant.

Ces nouveaux engagements ont donné une perspective différente au séjour de Sylvain Ladouceur en ex-Yougoslavie. Ainsi, quand on lui demande ce qui lui a paru le plus difficile là-bas, il n'évoque ni la tension, ni les balles qui sifflent, ni les conditions difficiles dans lesquelles il devait exercer la médecine. Il parle plutôt des familles divisées par la guerre qu'il a vues et de sa propre petite famille restée au Québec.

Plus d'un an après son retour, il n'y a plus qu'un endroit où Sylvain Ladouceur a envie de jouer les héros, c'est chez lui, auprès de son épouse et de ses enfants. Il a vu, en ex-Yougoslavie, combien une famille pouvait être fragile et semble bien décidé à profiter pleinement du privilège qu'il a de vivre tranquille avec les siens.