Norme internationale en téléphonie numérique

La parole est à Sherbrooke

par Bruno Levesque

La téléphonie a beaucoup évolué au cours des dernières années. Et il paraît qu'on n'a encore rien vu... ou plutôt rien entendu.

La naissance prochaine de la téléphonie numérique sans fil, projet auquel s'affairent actuellement des multinationales réputées comme Ericsson, Motorola, Nokia, Nortel, viendra bientôt bouleverser le monde du téléphone et... notre vie quotidienne. Bientôt, nul besoin d'être branché au mur pour téléphoner ! Les téléphones n'auront plus de fil et pourront être utilisés presque partout. Si on ajoute à ce phénomène la croissance extraordinairement rapide du réseau Internet, un marché gigantesque s'ouvre actuellement pour les logiciels permettant de numériser la parole humaine.

Petite équipe, grands projets

À Sherbrooke, une petite équipe de chercheurs du Département de génie électrique s'intéresse, depuis la fin des années 60, à la numérisation de la parole. Si les membres de cette équipe ont changé au cours de ces quelques 30 ans, l'objectif fondamental du groupe est demeuré le même : numériser la parole humaine de façon simple, efficace, économique et élégante.

L'équipe sherbrookoise, connue sous le nom de Groupe de recherche en information, signal et ordinateur (GRISO), est composée d'un professeur, Jean-Pierre Adoul, et de quatre chercheurs, Bruno Bessette, Claude Laflamme, Roch Lefebvre et Redwan Salami. Ensemble, ils ont mis au point un logiciel de numérisation de la parole appelé Algebric Code Excited Linear Prediction (ACELP), logiciel qui connaît beaucoup de succès partout à travers le monde. La technologie ACELP permet non seulement de numériser la parole, mais elle la compresse. De cette façon, un plus grand nombre de conversations peuvent circuler simultanément par un même canal. Ce logiciel est en fait un modèle mathématique qui, à partir des dernières séquences décodées, prédit les séquences possibles à venir. Maintes fois éprouvé, le modèle du GRISO offre des possibilités de compression semblables à celles de ses compétiteurs, tout en offrant une qualité sonore supérieure.

La téléphonie constitue un champ d'application tout indiqué pour les découvertes du GRISO. Dans le numéro d'automne 1993 de SOMMETS, Jean-Pierre Adoul signait un article où il expliquait que, pour se comprendre, il fallait que la communauté des gens de télécommunications s'entende sur une norme unique de numérisation. Il affirmait aussi que le groupe de recherche qu'il dirige, en collaboration avec France Telecom, avait de bonnes chances d'obtenir la prochaine norme mondiale pour la téléphonie numérique de l'Union internationale des télécommunications (UIT), l'organisme de l'ONU chargé d'uniformiser les codes internationaux en téléphonie.

La bonne nouvelle a finalement été annoncée en novembre 1995. La technologie ACELP mise au point par le GRISO a été choisie par l'UIT comme norme internationale en numérisation de la parole. Dorénavant, les nouveaux systèmes de téléphonie numérique devront utiliser le logiciel sherbrookois. Dans un proche avenir, des dizaines de firmes partout dans le monde utiliseront la technologie mise au point à Sherbrooke, ce qui ne sera pas sans provoquer d'importantes retombées pour le GRISO.

Loin de se satisfaire d'un seul succès, les chercheurs sherbrookois et leurs partenaires ont aussi obtenu, en association avec divers partenaires, sept autres normes internationales en matière de numérisation de la parole. Si elles font plaisir aux chercheurs sherbrookois, ces réussites sur la scène mondiale ne les empêchent pas de continuer à améliorer leur produit. L'avenir est fort prometteur dans le domaine de la numérisation de la parole. <<Quoiqu'il arrive, la parole sera toujours à la base de la communication humaine>>, signale, fort justement, Jean-Pierre Adoul. D'autres technologies, non encore inventées aujourd'hui, vont un jour faire leur apparition. Et, ce jour-là, le GRISO espère être fin prêt à prendre la parole.