TÊTES CHERCHEUSES

Ça chauffe dans le Nord

par Bruno Levesque

C'est connu, une grande partie du territoire québécois est quasiment inhabitée. Au nord du 52e parallèle, la densité de la population est plutôt faible. C'est le Grand Nord, terrain des grands espaces, pays de neige et de froid, et royaume de l'épinette noire.

Ce sont ces forêts d'épinettes, et l'effet sur elles des incendies, qui font l'objet des recherches de Marie-Josée Fortin, professeure au Département de biologie de la Faculté des sciences, et d'un collègue de l'Université Laval, Serge Payette.

La chercheuse a reçu une subvention de 55 000 $ étalée sur trois ans pour réaliser une étude sur la dynamique spatiale de la régénération forestière après feu dans le Nord québécois. Elle étudie un secteur forestier situé entre le 55e et le 59e degré de latitude nord, soit quelque 600 kilomètres au nord de Chibougamau, pour tenter de mettre à jour les principaux facteurs qui influencent l'avènement des feux de forêt, leur taille, leur fréquence et la rapidité avec laquelle les forêts brûlées vont se régénérer.

Quand on demande à Marie-Josée Fortin pourquoi elle a choisi un territoire si lointain pour effectuer ses recherches, elle répond que c'est parce que l'intervention humaine y est réduite à sa plus simple expression. <<En cette fin de XXe siècle, explique la biologiste, il n'y a que dans les milieux nordiques où l'on peut vraiment étudier et comprendre les mécanismes qui opèrent sur la dynamique spatiale de la forêt boréale. Ces lieux sont si éloignés que seuls les processus naturels entrent en jeu. L'être humain ne vient pas changer le cours des choses. Il n'y fait ni exploitation forestière, ni lutte contre les feux de forêt.>>

Marie-Josée Fortin explique que la diversité du milieu étudié a également joué lorsqu'est venu le temps de choisir le site d'études. Quelques espèces s'y côtoient, la forêt se transforme selon que l'on se situe au sud ou au nord du site choisi. <<Dans la partie sud du territoire que nous couvrons, le pin gris pousse encore, indique la chercheuse. Au coeur de ce territoire, il n'y a pour ainsi dire que de l'épinette noire. Un peu plus au nord, les épinettes noires ne sont plus des arbres, mais des arbustes bas et rabougris appelés krummholz.>>

Il n'y a pas d'épinettes sans feu

La plupart des gens voient les feux de forêt comme un fléau. Dans le cas des forêts boréales, composées en grande majorité d'épinettes noires, ils sont pourtant un mal nécessaire, selon Marie-Josée Fortin. Ils sont nécessaires à la régénérescence des forêts, à condition qu'ils arrivent juste à temps. <<L'épinette noire, explique-t-elle, est une espèce à cônes semi-sérotineux. Ses cônes sont recouverts d'une sorte de cire, cire qui doit fondre pour que les graines soient libérées.>> Le passage d'un incendie est donc nécessaire pour qu'une forêt puisse se regénérer. Il fait fondre la cire des cônes, les graines ainsi libérées tombent sur le sol et, quelque temps après le passage du feu, de jeunes épinettes commencent à pousser.

Par contre, un incendie qui s'est trop fait attendre peut provoquer des dommages irréversibles. Les très vieilles forêts d'épinettes noires sont en sénescence, c'est-à-dire que leurs graines sont stériles et qu'elles ne se reproduisent plus que par marcottage des tiges ou des racines. Le passage d'un incendie dans une telle forêt ne laisse derrière lui que des cendres et du charbon...

Il n'y a pas de feu sans épinettes

De même que le feu est nécessaire à la survie des épinettes, le feu, lui, a besoin des épinettes comme combustible. Cette double dépendance est à la base des travaux de Marie-Josée Fortin. Elle lui permet par exemple de poser l'hypothèse qu'un réchauffement climatique de cette région entraînerait une augmentation des feux de forêt dans la zone la plus nordique du territoire qu'elle étudie. Plus les arbres grossiraient, plus les forêts deviendraient denses et plus le feu pourrait s'y propager facilement.

Pour ses recherches actuelles, la biologiste s'intéresse surtout à ce qu'elle appelle le régime de feu, c'est-à-dire la fréquence de ces feux sur une même zone. Car ce régime, s'il est trop rapide, ne laisse pas le temps à la forêt de se régénérer. À l'inverse, comme on l'a vu, un régime de feu trop lent peut conduire à un vieillissement de la forêt. Comme les arbres, de la même manière que les humains, voient leur capacité de se reproduire réduite à partir d'un certain âge, un trop grand nombre d'années sans feu pourrait causer la mort d'une forêt.

Tout un programme

Pour mieux comprendre la dynamique spatiale des feux et leur effet sur la régénération des forêts boréales, Marie-Josée Fortin compte d'abord quantifier la superficie et la forme des forêts d'épinettes noires sur le territoire qu'elle a choisi d'étudier. Elle compte par la suite mesurer divers facteurs susceptibles de modifier la réaction des forêts au feu : relation entre la superficie et le périmètre, pente, exposition, élévation.

Par la suite, elle procédera au calcul des probabilités d'incidences et de rotation des feux à partir de la cartographie des feux de 1900 à1957, validera ce modèle statistique avec les données sur les feux de 1958 à1984. En élaborant son modèle statistique, Marie-Josée Fortin quantifiera l'importance relative de chacune des variables étudiées dans le processus de régénération des forêts, ce qui permettra non seulement de mieux comprendre le phénomène, mais aussi d'aider à l'aménagement et à la gestion durable de la forêt boréale.

Les travaux récents effectués dans ce domaine ont maintes fois démontré l'importance de la ressource que constitue la forêt boréale pour le Québec et le Canada. Ce constat et le souci de plus en plus grand de la population pour la protection de son environnement inscrivent les travaux de Marie-Josée Fortin au centre d'un courant de recherche majeur au Canada.

Vignette

Marie-Josée Fortin, professeure au Département de biologie, étudie l'effet des incendies sur les forêts du Nord québécois.