Quand la Commission de santé et de sécurité au travail (CSST) a fait parler d'elle au cours des dernières années, c'était, la plupart du temps, de façon négative. D'un côté, on critiquait sa trop grande générosité, ses coûts prohibitifs et sa mauvaise gestion. De l'autre, on lui reprochait ses délais excessifs et ses procédures tatillonnes. Consciente des critiques dont elle était l'objet, la CSST a procédé, depuis 1992, à une révision complète de son mode de fonctionnement.

La CSST aux soins intensifs

par Bruno Levesque

Vice-présidente aux services, Lynda Durand est très au fait de ce qui s'est passé à la CSST depuis 1990, année où elle a été nommée à ce poste. Diplômée en droit, elle est responsable de quatre directions : les Services juridiques, la Direction des communications, le Service des ressources humaines et le Service des ressources matérielles. Elle siège au comité de direction de l'organisme et, à ce titre, a pris une part active aux travaux et discussions qui ont mené à la restructuration complète des façons de faire au sein de l'entreprise.

L'avocate est arrivée à la CSST alors que l'organisme vivait ses années les plus difficiles. Entre 1985 et 1993, la CSST a connu sept exercices déficitaires sur neuf, pour un déficit accumulé de 3,7 milliards de dollars. Le creux de la vague a été atteint avec un déficit de 792 millions de dollars en 1991.

Un coup de barre était jugé absolument indispensable. Comme l'a même reconnu le président de l'organisme : La seule chose sur laquelle les gens s'entendaient, c'était pour critiquer la CSST.

Les résultats se font déjà sentir, à peine trois ans après que le processus de changement a été entrepris. En 1994, dernière année pour laquelle des chiffres sont disponibles, la CSST a présenté un surplus (environ 125 millions de dollars), une première depuis 1989. En 1995, elle prévoit des surplus de plus ou moins 52 millions. En 1993, la réserve actuarielle pour couvrir les besoins à long terme de la CSST se situait à 55,5 p. 100 du passif. En 1995, elle devrait avoir remonté autour de 63 p. 100. En 1993, le taux moyen de cotisation était de 2,75 $ pour chaque 100 $ de masse salariale des employeurs. En 1996, il se situera à environ 2,50 $.

Opération changement

L'objectif premier de la CSST est d'indemniser les victimes d'accidents de travail. Comme l'explique Lynda Durand : La CSST est un assureur public. Les gens n'ont peut-être pas toujours vu les choses de cette façon, mais la CSST demeure une assurance accident de travail. Comme n'importe quelle personne assurée, les employeurs payent des primes à la CSST qui, en cas d'accident, indemnise les victimes.

Tout cela paraît très simple et on est porté à se demander comment il se fait que la CSST n'a pas su, comme la plupart des compagnies d'assurances, boucler son budget, et comment elle a pu accumuler un déficit de près de quatre milliards de dollars.

Mais Lynda Durand préfère parler de la période qu'elle a connue, celle qu'elle a vécu de l'intérieur, et surtout des moyens qui ont été pris pour renverser la situation : En 1992, la CSST faisait face à de graves problèmes. Tout le monde était mécontent de la CSST. C'est à ce moment là que nous avons entrepris une démarche de réalignement. La CSST a procédé par grandes tables de discussions, une pour chacune de ses grandes fonctions : l'indemnisation des victimes, la réadaptation des personnes accidentées, les liens avec la communauté médicale et la prévention et l'inspection des lieux de travail. Comme la CSST présente un lourd historique de judiciarisation, elle a aussi mis sur pied un comité externe à la CSST pour étudier la déjudiciarisation.

Pour chacune des tables, la CSST a réuni des gens de tous les niveaux de l'organisation. Pas juste du personnel de direction, précise Lynda Durand, mais aussi des gens de première ligne, celles et ceux qui reçoivent les personnes accidentées. Nous nous sommes assis ensemble pour tenter de voir ce qui ne fonctionnait pas et trouver des solutions aux problèmes. Selon la vice-présidente aux services, l'ensemble de l'opération s'est déroulé dans un contexte où l'information circulait librement et où tout le monde pouvait s'exprimer sans crainte de représailles ou de rancune de la part de ses collègues ou de son patron.

Lynda Durand donne un exemple de ce qui a pu être réalisé à la suite de ces discussions : Pour l'indemnisation, les discussions nous ont permis de constater la façon dont les dossiers étaient traités. Nos gens manquaient souvent d'information; la communication n'était pas assez rapide et ouverte avec le monde médical. Il faut dire que le langage utilisé par les médecins pour leurs diagnostics est quelquefois hermétique. Ce langage spécialisé, doublé d'un manque de communication avec les médecins, faisait en sorte que certains dossiers traînaient en longueur. Pendant ce temps-là, la CSST payait et, finalement, les gens constataient qu'ils avaient simplement manqué d'information, que le dossier aurait pu être traité beaucoup plus rapidement. Pour régler ce genre de problème, la CSST a simplement facilité la communication entre son personnel et leurs partenaires et fixé un objectif clair : maintenir le lien d'emploi entre la personne accidentée et l'entreprise et que les décisions finales interviennent en moins d'un an. Ce délai d'un an est important puisque, selon la taille de l'entreprise où elles travaillent, certaines victimes perdent leur droit de retourner à leur travail après 12 mois. Nous avons convenu de traiter la victime comme une personne et de faire en sorte qu'elle puisse rapidement retourner à son travail et, surtout, qu'elle conserve son emploi, ajoute la vice-présidente.

Mais le processus de changement ne s'est pas limité à ce secteur. La totalité des opérations a été passée au peigne fin (ou le sera bientôt). L'ensemble des rapports avec la communauté médicale a été revu. Du côté de la prévention et de l'inspection, une nouvelle approche en trois temps a été adoptée. Il s'agit d'abord de convaincre les employeurs de changer telle ou telle chose et d'expliquer pourquoi, ensuite de les soutenir dans leurs démarches pour améliorer les choses et, finalement, si le besoins s'en fait sentir, de prendre des mesures plus coercitives.

Un autre comité s'est penché sur les communications écrites et la CSST procède actuellement à la révision des modèles de lettres pour en réduire le nombre et les rendre plus simples. Enfin, un comité s'est attaqué au problème de la déjudiciarisation, avec comme objectif de simplifier les procédures de contestation en cas de désaccord de l'une ou l'autre des parties, l'objectif étant bien sûr de rendre une décision finale en moins d'un an. Les recommandations du comité ont été soumises au conseil d'administration de la CSST. Le gouvernement est en train de l'étudier et devrait prendre une décision bientôt.

Le processus n'est pas terminé. Une table de discussion se tient ce mois-ci à propos du financement de la CSST. Son mandat est de poser un diagnostic sur ses façons de faire, dans le but de réorienter ses services aux employeurs.

Par la suite, il restera à s'assurer de poursuivre sur la voie tracée au cours des trois dernières années, termine Lynda Durand. Un changement de culture, un changement des façons de faire doit être soutenu pour que son application se poursuive. Il faut continuer, par nos programmes d'amélioration continue, à surveiller de près l'ensemble de nos méthodes et procédures. D'autre part, nous devons payer nos dettes et assurer une stabilité au régime.

Au-delà de ces problèmes, la mission de la CSST demeure la même : indemniser les accidentés du travail. De plus en plus, l'organisme tente de se coller aux principes de l'assurance, tout en travaillant à la prévention, et en essayant le plus possible d'enrayer les dangers en milieu de travail.

CSST

La CSST est l'organisme auquel le gouvernement du Québec a confié l'administration de son régime de santé et de sécurité au travail. Elle se préoccupe de prévention des lésions professionnelles, tout en jouant le rôle d'assureur public auprès des employeurs et, du même coup, de leurs employées et employés. La CSST est une organisation paritaire dont le conseil d'administration compte huit représentantes et représentants des employeurs, un nombre égal de représentantes et représentants des travailleuses et travailleurs et un président du conseil et chef de la direction.

Les principaux rôles de la CSST sont la promotion de la santé et sécurité au travail et l'assistance aux employeurs, travailleurs et travailleuses dans leurs démarches pour assainir leur milieu de travail et y éliminer les dangers. Elle s'occupe du financement du régime d'assurance en matière de santé et sécurité au travail en percevant les cotisations des entreprises et en gérant les sommes ainsi perçues. Elle s'occupe aussi d'indemniser les victimes et veille à leur réadaptation.

La CSST compte plus de 3500 employées et employés répartis sur tout le territoire du Québec : au siège social, situé à Québec, au centre administratif de Montréal et dans les 21 directions régionales de l'organisme. Les demandes provenant des travailleuses et travailleurs accidentés sont traitées dans les directions régionales.

Le budget annuel de la CSST est de l'ordre de 1,8 milliard de dollars, provenant de 170 000 entreprises. Au total, la commission assure 2,4 millions de travailleuses et travailleurs. Environ 170 000 dossiers sont traités chaque année.