Les syndicats

Intervenir en faveur de l'emploi

par Mario Précourt*

Beau temps, mauvais temps, l'anti-syndicalisme a toujours existé. Ce n'est donc pas d'aujourd'hui que des employeurs affichent une opposition farouche au syndicalisme. Le mouvement syndical n'a jamais gagné les concours de popularité et les syndicats sont souvent considérés comme étant des empêcheurs de danser en rond. Fort heureusement, pourrait-on dire, car leur opposition est plus souvent qu'autrement le déclencheur d'un questionnement, d'une réflexion, d'une action qui permet d'avancer dans le sens du progrès social, celui qui voit à ce que les intérêts de la majorité soient pris en compte.

Déferlant régulièrement sur les syndicats, la vague néolibérale qui frappe le pays depuis plus de dix ans a fait des ravages. Et pas seulement sur l'image des syndicats! Malgré les promesses de prospérité, les politiques néolibérales des gouvernements conservateurs et libéraux, à Ottawa comme à Québec, se sont avérées une vaste opération politique accordant des privilèges à une minorité. Sur le plan économique et social elles ont constitué un échec lamentable pour la majorité. Le chômage n'a cessé de se hisser à de nouveaux sommets, les déficits publics vont dans le même sens, le fardeau de la dette handicape de plus en plus nos programmes sociaux et nos services publics.

La lutte à l'inflation a guidé aveuglément l'ensemble de la politique économique canadienne, engendrant faillites, mises à pied, endettement privé et public et deux graves récessions en moins de dix ans.

À droite toute!

Encore aujourd'hui, la lutte obsessive du fédéral à l'égard du déficit place dans la mire de Paul Martin les personnes qui sont le plus en situation de précarité au pays : les travailleuses et les travailleurs à statut précaire, les bénéficiaires d'aide sociale, les femmes et les jeunes en particulier. Un virage important s'est effectué dans la gestion de l'économie et la conception de l'État. Un virage à droite, carrément. Un virage qui a réduit la marge de manoeuvre des gouvernements et aussi celle de la population.

Les effets pervers des politiques néolibérales se répercutent sur le mouvement syndical. L'insécurité économique grandissante touche les travailleuses et travailleurs. L'exclusion du marché du travail fait partie de la réalité. Des travailleuses et travailleurs syndiqués perdent leur emploi comme les non-syndiqués. Ils vivent la précarité, connaissent la pauvreté, côtoient quotidiennement des personnes sans emploi.

Le contexte économique rend difficile l'exercice d'activités syndicales fondamentales, telles la négociation et la syndicalisation. Les membres des syndicats vivent plusieurs frustrations, ce qui questionne aussi l'utilité de l'action syndicale.

Les syndicats et le mouvement syndical saisissent très bien la nature et la mesure des changements. La mondialisation constitue un changement structurel majeur et incontournable. Elle a bouleversé les cadres habituels de référence sur le marché du travail. Une récente enquête, menée par la CSN et l'Université Laval auprès de 934 syndicats affiliés à la CSN, révèle que ce sont souvent les syndicats qui revendiquent des changements dans l'organisation du travail pour obliger les employeurs à rester concurrentiels. Parfois aussi, les syndicats s'opposent aux changements préconisés par leur employeur parce qu'ils vont à l'encontre des intérêts des membres qu'ils représentent.

Le coeur du débat

Pour le monde syndical, la situation est claire. Il faut concilier les intérêts communs malgré des objectifs divergents. Pour les syndicats, maintenir, protéger et développer l'emploi demeure l'objectif prioritaire. De leur côté, les entreprises ont un objectif en tête : maximiser leurs profits. En dépit de ces objectifs divergents, est-il possible que les entreprises et les syndicats s'entendent sur quelques points essentiels sur la base d'intérêts communs?

Au-delà de toute considération d'ordre idéologique, une question se pose : peut-on, sans réagir, laisser se poursuivre la destruction des compétences et des qualifications accumulées et se gaspiller les richesses matérielles investies dans les entreprises? Notre société peut-elle se permettre une telle destruction des richesses sociales et économiques?

Face au défi de la mondialisation, aux prises avec une devise surévaluée et confrontées aux dispositions de l'accord de libre-échange, un très grand nombre d'entreprises ont opté pour une solution de facilité : la réduction de leurs coûts salariaux par des mises à pied souvent massives (souvent appelées restructuration) et le gel ou la diminution des salaires. Elles y avaient d'ailleurs été fortement encouragées par les deux niveaux de gouvernement, qui avaient choisi de réduire leurs coûts salariaux pour améliorer le rendement de l'appareil gouvernemental.

La réduction de la masse salariale constitue une stratégie à courte vue, qui dessert les intérêts à plus long terme des entreprises, pour deux raisons. La première en est une de perspective. Il peut arriver qu'une stratégie qui semble profitable pour une entreprise s'avère contreproductive lorsque toutes les entreprises l'adoptent. C'est le cas de la stratégie de réduction des masses salariales. Les tenants de la conquête des nouveaux marchés - par la détérioration des conditions de travail de leur personnel ou par des réductions massives d'emploi - oublient trop facilement que le Québec n'exporte qu'environ 25 p. 100 de ce qu'il produit, le reste étant vendu aux entreprises et aux consommateurs québécois. La diminution du pouvoir d'achat des ménages québécois, que ce soit à cause du développement des formes précaires d'emplois, de mises à pied, de gel ou de diminution des salaires, ne peut qu'affecter la situation de la majorité des entreprises en réduisant la demande pour leurs produits et services.

La deuxième raison, c'est que cette stratégie peut inciter les entreprises à remettre à plus tard l'adoption de mesures qui pourraient, de manière décisive, améliorer leur capacité concurrentielle : transformation de l'organisation du travail, investissement dans la formation de la main-d'oeuvre, dans le développement de nouveaux produits et services ou dans la recherche-développement.

Certaines recherches concluent qu'un très grand nombre d'entreprises qui se restructurent en faisant des mises à pied massives n'atteignent pas les résultats escomptés. La revue Fortune a fait état, en janvier 1994, d'une enquête menée auprès de 450 entreprises américaines qui avaient procédé à des restructurations importantes au cours des années 1991 et 1992. Seulement 60 p. 100 de ces entreprises ont réussi à réduire leurs coûts. Et moins de la moitié ont augmenté leurs bénéfices. Parmi les entreprises qui ont procédé à des restructurations pour améliorer leur productivité, le tiers seulement ont réussi.

L'emploi

Les attitudes, qu'il faut parfois changer, et les mentalités, qu'il faut aussi faire évoluer, représentent trop souvent des obstacles dans la recherche de solutions aux problèmes qui nous préoccupent et qui, même, nous frappent de plein fouet.

À cet égard, les organisations syndicales, forcées par les événements et condamnées à trouver des solutions, ont dû à maintes reprises prendre le taureau par les cornes. Même s'il arrive que les problèmes résultent de débats et de remises en question, les syndicats ne se défilent pas de leurs responsabilités.

Par contre, il arrive encore trop souvent de rencontrer chez des employeurs des attitudes héritées d'une époque où on n'avait pas encore pris conscience de la formidable richesse qui se trouve dans l'intelligence du monde. Près de la moitié des 934 syndicats affiliés à la CSN, qui ont répondu à l'enquête menée par la CSN et l'Université Laval, disent ne pas avoir accès aux états financiers des entreprises où travaillent leurs membres. Plus de 50 p. 100 des répondants affirment que l'employeur ne les consulte pas avant de procéder à une réorganisation du travail. La majorité dit que les employeurs ne font pas participer les organisations syndicales dans le processus de réorganisation. De façon générale, 47,5 % des syndicats sont d'avis que les employeurs ne font pas confiance à leurs employées et employés.

Les employeurs ne se résignent trop souvent à faire appel aux travailleurs et à faire preuve de transparence économique que le jour où le syndic vient cogner à leur porte. Encore une fois, ce sont les entreprises qui sont en cause et les emplois qui sont en danger.

Les expériences malheureuses doivent servir à quelque chose. Il faut en tirer profit. Le bilan du laisser-aller des dernières années et du retrait programmé de l'État de l'activité économique doit être clair. En se soumettant aveuglément aux lois du marché, l'économie québécoise se retrouve au bord du précipice. Il faut d'abord cesser de vouloir réduire la capacité d'intervention de l'État et agir de sorte que son rôle soit valorisé. L'État doit agir de concert avec l'ensemble des intervenants économiques et sociaux. Pour ce faire, il doit avoir les moyens d'assumer ses responsabilités et pouvoir mettre en place un ensemble de conditions qui permettront ensuite à des milliers de décideurs de tous les horizons de travailler à des stratégies productrices d'emplois.

Ce pourrait être pour déterminer une stratégie industrielle ou pour mettre en place des mesures favorisant la reconversion des secteurs économiques en déclin. Ou encore pour financer des programmes de soutien aux entreprises et aux travailleuses et travailleurs, afin qu'ils absorbent mieux les changements nécessaires.

La CSN croit que seule une plus grande solidarité sociale permettra de reprendre l'offensive sur les grands enjeux auxquels est confrontée la société québécoise. Seule une plus grande solidarité sociale permettra de trouver des solutions concrètes pour bâtir le Québec de demain. Dans ce sens, des alliances syndicales, comme viennent de conclure la CSN et la FTQ en signant un protocole de solidarité, peuvent faire la différence dans les choix politiques, sociaux et économiques.

* Économiste à la Confédération des syndicats nationaux, Mario Précourt a étudié à l'Université de Sherbrooke à la fin des années 70. Il y a obtenu un baccalauréat en économique en 1979.