SUMMUM

Organisée par Radio-Canada depuis déjà plusieurs années, la Course destination mon de gagne chaque année de plus nombreux adeptes. Cette grande aventure, qui mène des apprentis reporters aux quatre coins de la planète, a déjà fourni de grands moments de télévision et fait vibrer des ce ntaines de milliers de téléspectatrices et téléspectateurs.

Lors de la saison 1994-1995, l'Université de Sherbrooke était fort bien représentée à la Course destination m onde. François Prévost, un étudiant médecine, et Étienne Leblanc, un diplômé en économique, y ont participé.

Pour participer à la Course, François Prévost a dû prendre une année de relâche dans ses études. Ses films ont su séduire le public, de même que les juges, puisqu'il a terminé la Course au premier rang. De son c&ocir c;té, Étienne Leblanc a reçu son baccalauréat en économie en juin 1994. Il n'a pas chômé longtemps puisque, dès septembre, il s'envolait vers des contrées lointaines. Il a terminé la Course au sixième rang.

Par Marie-Claude Veillette

Un concours... de circonstances

À sa descente de l'avion en sol rwandais, François Pr&eacut e;vost retient sa respiration. Une odeur pestilentielle flotte dans l'air. Des cadavres jonchent les rues. On les enterre dans des fosses communes à l'aide de bulldozers. Un peu plus loin, deux millions de personnes sont entassées dans un ca mp de réfugiés à peine plus grand que deux ou trois terrains de football.

Cet enfer sans espoir, François Prévost l'a vu de ses yeux, bien que Radio-Canada ait interdit l'accès à ce pays. Étudiant en médecine, il a même donné un coup de main aux gens de Médecins sans frontières. <<D'ailleurs, j'ai attrapé le choléra. Je me suis immédiatement traité et en moin s de 24 heures j'étais rétabli.>>

La Course n'a pas été que cauchemar pour François Prévost. Il y a eu des moments de bonheur à tous les instants, particulièreme nt lorsqu'il s'est rendu en Antarctique, terre inexplorée du globe terrestre. Alors qu'il se trouvait à Los Angeles, il a eu vent qu'une équipe de scientifiques partait pour le pôle Sud. Sans perdre un instant, il a mis les voil es vers l'Amérique du Sud, plus précisément à l'extrémité sud de l'Argentine, à la Terre de Feu d'où partaient les scientifiques. <<Je suis arrivé deux jours avant le départ du ba teau et j'ai pu prendre la place de quelqu'un qui s'était désisté.>> Il a saisi l'occasion, et caméra à l'épaule, il a capté sur pellicule des images qui ont fait frissonner plus d'un tél&eacut e;spectateur. <<L'Antarctique, c'est toute une impression. C'est le dernier endroit où peu de gens sont allés et où il y a encore un écosystème presque vierge.>>

En fait, Franç ois Prévost dit aimer la chaleur des gens du froid et les grands espaces où la nature domine encore. Que ce soit à Povungnituk dans l'autre neige, celle du nord du Québec, ou sur le mont Kilimandjaro en Tanzanie, les moments de silence et de grandeur l'ont marqué énormément. <<En Tanzanie, sur le mont Kilimandjaro, à 6000 mètres d'altitude, il est possible de s'isoler et de retrouver la nature à l'état pur. Ce sont des endr oits comme celui-ci qui me permettent de reprendre mon souffle>>, de dire Prévost.

Même si les moments de solitude sont importants pour le gagnant de la Course, le contact humain l'est aussi beaucoup. Ces rencontres deviennent comme un million de petits instants privilégiés où les départs sont parfois déchirants. <<C'est très dur parfois de rencontrer des gens avec qui ont se sent bien et d'avoir à le s quitter au bout de 24 heures.>> Presque partout, il a été reçu avec chaleur et générosité. <<Je suis passé comme un voleur. J'ai posé des questions, tiré des informations, pris d es images et, malgré cela, les gens sont demeurés accueillants.>>

Des souvenirs, François Prévost en a des dizaines en mémoire, lui que son périple a amené à visiter 26 pays dont 18 ont fait l'objet d'un film. Il y a eu entre autres l'Islande, l'Égypte, le Kenya, le Zaïre, la Thaïlande, la Bolivie, l'Équateur, les îles Galapagos, le Pérou, le Brésil et l'inspiration a rarement manqué. Dans plusieurs de ces pays, François Prévost a rencontré des gens beaucoup moins nantis que lui. Les enfants souriaient quand même, chantaient et jouaient de la musique dans les rues. <<On en vient à se demander ce qu'est vraiment la richesse>>, note l'étudiant en médecine.

Si François Prévost n'avait pas vraiment de craintes ou de peurs avant son départ, l'avenir ne l'effarouche gu&eg rave;re plus. <<Si ma vie ne fonctionnait pas ici ou si tout devenait trop compliqué, je sais maintenant qu'il y a d'autres façons de vivre, d'autres possibilités.>>

Des endroits, des momen ts...

On conserve sur pellicule photographique le souvenir des endroits visités, mais les moments particuliers, ceux qui sont souvent indescriptibles, doivent être saisis sur le vif. Pareils à de scinti llants bijoux que l'on enfouit jalousement au fond de soi, les moments de silence ont été pour Étienne Leblanc un véritable cadeau du ciel. <<Le silence que l'on retrouve au coeur de la cordillère des Andes ou celu i du désert...où le silence devient comme un corps physique, un corps qui nous écrase sous son poids.>>

Riche de ses 23 ans, Étienne Leblanc a parcouru pas moins d'une quinzaine de pays : Chine, Vietnam, Jordanie, Italie, Sardaigne, île de Malte, Turquie, Brésil, Bolivie, Guatemala... Autant d'endroits où il avoue avoir appris ce qu'est la notion du temps. <<Ailleurs le temps, c'est le soleil qui se lève et qui se couche.>> Et entre les deux, c'est la poursuite de la course, pas celle de la vie, mais celle de la Course destination monde. Sixième au classement, ce diplômé en économie de l'Université de Sherbrooke s'&ea cute;tait fixé pour l'année 1994 un défi de taille, soit celui de remplir le dossier de participation, alors qu'il était étudiant à Paris. Adepte de la Course depuis plusieurs années, Leblanc a &eacu te;té très surpris de sa sélection parmi les seize finalistes. <<Après avoir déposé mon dossier à la poste, j'étais convaincu que la Course s'arrêtait là.>>

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Sa sélection, il l'attribue à un coup de coeur, à un coup de foudre même, entre lui et l'équipe de sélection. Malgré sa grande fierté d'être parmi ceux qui partaient à la découverte du monde, Leblanc redoutait un peu le fait de devoir s'exposer chaque semaine devant pas moins de 300 000 téléspectatrices et téléspectateurs qui l'épieraient, les yeux rivés à leur poste de télévision. <<La Course, c'est une arme à deux tranchants. Nous bénéficions de beaucoup de visibilité, mais en même temps, si on atteint nos limites très rapidement, c'est comme si on disait à tous ceux qui nous voient et nous écoutent : voici mes limites. Désolé, je suis incapable de faire plus.>> Mais les événements forts en émotion font parfois oublier aux globe-trotters toute l a visibilité dont ils jouissent en tant que concurrents de la Course.

C'est au Pérou, dans les montagnes du plateau péruvien, à 5500 mètres d'altitude, qu'Étienne Leblanc a v&eacut e;cu son premier choc culturel. Pendant pas moins de cinq jours, il a dormi sur des peaux d'alpagas, il s'est nourri de viande d'alpaga et s'est même réchauffé avec les excréments de ces ruminants, voisins du lama. Et de tous le s gens qu'il a rencontrés, Étienne retient l'essentiel. <<Partout dans le monde, les gens sont fondamentalement très bons et très généreux.>> Lorsqu'il est impossible de parler la même langue, le s yeux parlent d'eux-mêmes.

<<Les moments passés avec quelqu'un qui ne parle pas ta langue sont des instants divins. Tu parles avec les yeux, avec l'expression du visage. Contrairement aux occidentaux, il y a b eaucoup de gens, surtout les autochtones que j'ai rencontrés en Amérique du Sud, qui parlent presque uniquement du visage et des yeux. Il faut dire qu'ils ne se parlent déjà pas beaucoup entre eux. Par exemple, ils ne se disent pas bonjour le matin et ne se souhaitent jamais bonne nuit ou bon appétit.>>

Les six mois passés à se balader d'un continent à l'autre en quête d'images, ont en quelque sorte modifié ; certains aspects de sa vie. <<Avant je vivais au rythme d'ici. J'étais impatient. À présent, je suis incapable de me fâcher ou d'être intolérant. Les gens que j'ai rencontrés m'ont appris que si tu te fâches, tu n'es pas avec eux.>> En voyage, il faut faire confiance au hasard, mais les petites mésaventures font aussi partie du voyage. Comme les autres concurrents de la Course, Étienne a eu sa part de tribulations. En Chine, on l'arrête parce qu'il filme dans les rues. Au Vietnam, il passe trois jours au ministère de l'Information où l'on visionne le contenu de ses cassettes. Par la suite, tous les moyens sont bons. <<J'ai dû filmer en c achette, ma caméra dissimulée dans une boîte à chaussures. Chose étonnante, c'est le film pour lequel mes images ont été le plus appréciées. Pourtant, je n'ai jamais regardé dans le vise ur.>>

Et qui peut se vanter d'avoir passé un réveillon de Noël sur une route, en plein milieu de l'Amazonie, à bord d'un autobus dont l'essieu a rendu l'âme? La seule ombre au tableau fut le jour où Leblanc s'est fait voler son canif suisse. À la blague, il affirme : <<C'est la pire chose que tu ne peux pas te faire voler en Asie. Il n'y en a nulle part.>> Toutes ces aventures lui donnent le goût de repartir, m ais pour travailler en Amérique du Sud ou en Afrique. <<Il y a beaucoup à faire en développement international. Aller travailler à l'étranger pour appartenir à un milieu, pour connaître des gens, pour partager leur vie.>>