Une vie en santé... publique

par Bruno Levesque

Richard Lessard a reçu son diplôme en 1971. Il faisait partie de la deuxième promotion de médecins formés par la Faculté de médecine de l'Université. À cette époque, rappelle-t-il, la Faculté favorisait l'étude de l'aspect communautaire des problèmes de santé. Elle ne comptait que trois départements, com-parativement à la quinzaine qu'elle renferme aujourd'hui. L'un des ces départements était celui de la Santé communautaire, ce qui indique bien l'importance accordée à une approche bio-psychosociale de la santé.

Tout au long de sa carrière, Richard Lessard est demeuré imprégné de cette orientation qui a teinté les trois premières années de ses études de médecine. En 1974, après 18 mois de pratique de la médecine à Bromptonville, il est à nouveau attiré par la médecine sociale. Une rencontre avec Jean Rochon, l'actuel ministre de la Santé et des Services sociaux, à ce moment-là professeur à l'Université Laval, finit de le convaincre. <<Je lui ai expliqué que j'étais intéressé par la prévention et par l'organisation des services de santé, raconte Richard Lessard. Il m'a conseillé de faire une maîtrise en santé publique.>> Suivant les conseils du professeur, le jeune médecin a quitté son cabinet pour aller faire une maîtrise en santé publique à l'Université d'Hawaï, puis une maîtrise en économique et des études de troisième cycle en organisation des services de la santé à l'Université du Michigan.

Près de 20 ans plus tard, Richard Lessard travaille toujours en santé communautaire. Après avoir enseigné au Département de médecine sociale et préventive à l'Université de Sherbrooke au début des années 1980, il a dirigé le Département de santé communautaire de la Cité de la santé à Laval pendant une dizaine d'années. Il est maintenant directeur de la Direction de la Santé publique à la Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre, poste qu'il occupe depuis 1992.

Créées à la suite de l'adoption de la Loi 120 (mieux connue sous le nom de réforme Côté), les directions de la santé publique ont succédé aux départements de santé communautaire (DSC). <<En me nommant directeur de la santé publique pour la région de Montréal-Centre, on m'a confié le mandat d'unifier les sept DSC de l'île de Montréal au sein de la Direction de la santé publique, explique Richard Lessard. Évidemment, pour moi, cela signifie une plus grosse équipe que celle que je dirigeais à Laval. Le DSC employait environ 50 personnes. Ici nous sommes près de 400.>>

Comme directeur de la santé publique, Richard Lessard est amené à travailler dans les deux secteurs qui le passionnent le plus : la santé publique et l'organisation des soins de santé. Le rôle de l'équipe qu'il dirige consiste à informer la population sur les problèmes de santé, à prévenir les maladies, à protéger la santé publique et à veiller au bien-être de la population. Pour ce faire, la Direction de la santé publique doit réaliser les études nécessaires pour surveiller l'état de santé général des 1,8 million de personnes qui habitent l'île de Montréal. Elle est également responsable du contrôle et de la prévention des épidémies ainsi que de la protection de la santé au travail et de l'intervention d'urgence en cas de sinistre environnemental. <<Avant l'application de la Loi 120, les gens avaient noté un manque de coordination entre les sept DSC du territoire montréalais, explique Richard Lessard. Quelquefois, des règles de santé publique s'appliquaient dans un territoire et pas dans l'autre. En regroupant les équipes au sein de la même direction, nous avons créé des liens beaucoup plus étroits entre des centaines de professionnelles et professionnels de la santé. Cette mise en commun de l'expertise en santé publique ne peut que rapporter des dividendes.>>

La Loi 120 n'a pas touché que Montréal et le secteur de la santé publique. Elle s'est bien sûr appliquée à tout le Québec et à l'ensemble du système québécois de la santé. La province compte dorénavant 18 régies régionales de santé et 15 directions de la santé publique relevant chacune d'une de ces régies. Ces régies régionales succèdent aux conseils régionaux de la santé et des services sociaux. Elles ont pour fonction de planifier, d'organiser, de mettre en oeuvre et d'évaluer, dans leur région, les programmes de santé et de services sociaux élaborés par le ministre. En tenant compte d'objectifs fixés par le ministre pour l'ensemble du Québec, elles élaborent les priorités de santé et de bien-être selon les besoins de la population. Ce sont elles qui allouent les budgets destinés aux établissements situés sur leur territoire.

Pour Richard Lessard, cette régionalisation du réseau de la santé constitue l'aspect le plus important de la réforme Côté. <<Maintenant, dit-il, le pouvoir revient aux régies régionales. Et quand le ministre Rochon demande si nous pouvons aller plus loin en ce sens, je réponds oui . Je crois qu'il sera toujours profitable de responsabiliser les régies quant à l'utilisation des fonds et à l'amélioration de la santé.>>

La régionalisation amorcée avec la Loi 120 prend tout son sens dans le contexte économique actuel. Le réseau de la santé et des services sociaux compte pour le tiers du budget de la province et le gouvernement québécois se tourne évidemment vers ce secteur quand il cherche à économiser. Ainsi, le gouvernement limite l'augmentation annuelle du budget du réseau de la santé à 1 p. 100, contrairement aux 4 ou 5 p. 100 de hausse des années précédentes. <<En clair, cette mesure signifie une baisse de 3 p. 100 de l'augmentation habituelle>>, calcule Richard Lessard. Mais je pense que le gouvernement nous demandera bientôt d'envisager une réelle baisse des budgets de la santé.>>

Est-il possible de diminuer ainsi les coûts du système de santé sans diminuer l'état de santé de la population? <<Cela va sembler paradoxal, avertit le directeur de la santé publique pour Montréal-Centre, mais je crois non seulement possible de diminuer les coûts des services de santé sans nuire à l'état de santé de la population. Je pense même qu'il peut être amélioré. Il suffit que l'argent soit réinvesti dans les déterminants de la santé.>>

<<Si les taux de pauvreté et de chômage diminuent pendant que le taux d'éducation augmente, la santé du public va s'améliorer sans qu'on ait eu à mettre plus d'argent dans le système de santé>>, explique l'ancien professeur. Selon lui, certains facteurs font en sorte qu'une personne sera malade ou pas.

Il est possible, en intervenant avant que les problèmes de santé ne se manifestent, de diminuer l'apparition de problèmes de santé, donc de diminuer la nécessité de consommer des services de santé. <<L'amélioration de la sécurité sur les routes ou un meilleur contrôle des armes à feu ne coûte rien au ministère de la santé, illustre Richard Lessard. Pourtant, ces mesures ont toutes deux un impact positif sur la santé.>>

Le médecin y va d'une seconde suggestion : <<Il est possible de réaliser des économies à l'intérieur du système de santé, en cessant de rendre accessibles des services dont l'efficacité n'a pas été démontrée et en concentrant ses actions autour de ceux considérés comme efficaces.>> Il donne l'exemple des antibiotiques, dont l'efficacité contre les maux de gorge et les otites moyennes n'a pas, selon un article du British Medical Journal, été hors de tout doute démontrée et qui sont abondamment utilisés depuis plus de 20 ans. À l'inverse, il cite un médicament dont l'efficacité a été prouvée chez les gens victimes d'un infarctus et qui n'est pas disponible partout à cause de son coût trop élevé. <<Les choix qui sont fait à l'intérieur même du système de santé ont un impact important sur les coûts de la santé, conclut Richard Lessard. En examinant certains de ces choix, il serait sans aucun doute possible d'augmenter l'efficacité de chaque dollar dépensé.>>

Praticien de longue date en médecine préventive, il ajoute que, dans ce contexte où l'argent sera de plus en plus rare, il faut se demander quelles sont les outils minimaux dont la société doit absolument se doter pour garder la population en santé et s'assurer qu'un contribuable n'ait pas à hypothéquer sa maison pour défrayer les soins dont il a besoin.

C'est sans doute pour cette raison que Richard Lessard a accepté, avec une vingtaine de Canadiennes et Canadiens de tous les milieux, de faire partie du Forum national sur la santé créé par le premier ministre Jean Chrétien en octobre 1994. Le mandat de se Forum est de créer un dialogue entre le gouvernement fédéral, les gouvernements des provinces et territoires et la population canadienne. Entre autres questions, le Forum se penchera sur les priorités en matière de santé, l'impact de la technologie, l'incidence d'une population vieillissante, le financement du système de santé, etc. Expert en organisation des services de santé, Richard Lessard trouve la démarche intéressante. <<Notre mandat consiste à définir le système de santé de demain et à établir ses priorités, explique-t-il. Dans une première étape, nous allons écouter ce que les contribuables ont à dire à propos de leur système de santé. Après coup, nous rédigerons sans doute des recommandations pour le premier ministre.>>

Il est facile de prévoir quel type de réformes recevront l'appui de Richard Lessard : celles qui viseront à améliorer les conditions de vie générales de la population et, par conséquent, les garderont loin des médecins. N'est-ce pas une bonne façon d'économiser en soins de santé?