Les clients d'abord

Président et chef de la direction de la Banque Laurentienne du Canada, la 7e banque en importance au pays, Henri- Paul Rousseau croit que les banques se dirigent vers une ère de changements profonds. Et c'est la clientèle que le diplômé de l'Université de Sherbrooke voit au centre de cette révolution!

par Bruno Levesque

Comme la compétition était moins forte, il était probablement plus facile d'être banquier il y a 20 ans, estime Henri- Paul Rousseau. Mais c'était sans doute moins intéressant pour le client.>> Selon le grand patron de la Banque Laurentienne, tout a changé depuis. L'avenir des banques et de l'ensemble des institutions financières est entre les mains de leurs clientes et clients. <<Plusieurs disent que le client est roi, lance- t- il. Moi, je crois qu'il est dieu.>>

Henri- Paul Rousseau est bachelier en économique de l'Université de Sherbrooke, puis titulaire d'une maîtrise et d'un doctorat, également en économique, de l'Université Western Ontario. Sa thèse lui a d'ailleurs valu le prix. T.- M.- Brown, décerné à l'auteur de la meilleure thèse de doctorat en économique publiée à cette université. Outre ces diplômes et ce prix, l'économiste a depuis ce temps acquis une solide expérience tant théorique que pratique.

Il a d'abord été professeur à l'Université du Québec à Montréal de 1973 à 1975, puis à l'Université Laval, de 1975 à 1986, agissant aussi comme conseiller économique auprès des gouvernements provincial et fédéral. Il a par la suite oeuvré pendant six ans à la Banque nationale du Canada, occupant diverses vice- présidences. En 1992, il a accepté la direction de Boréal Assurances, compagnie connue dans le passé sous le nom de Laurentienne Générale, avant d'être nommé président et chef de la direction de la Banque Laurentienne du Canada en février 1994.

Ces 20 ans de carrière valent à Henri- Paul Rousseau la réputation d'un économiste avisé.Il fait partie de la liste des 200 dirigeantes et dirigeants d'entreprises les plus puissants au Canada publiée par le Financial Post magazine.Il a été l'un des six experts consultés par L'actualité pour un dossier portant sur les finances publiques publié en mars 1992. Ses analyses sont souvent justes, ses opinions sont respectées. <<Au début des années 1980, l'activité des banques était encore majoritairement axée autour des transactions, se souvient l'économiste. Avec le temps, l'informatique et le développement technologique ont permis d'autres modes de transfert. Il est maintenant possible d'offrir des services bancaires par téléphone et bientôt ce sera par la télévision, par l'autoroute électronique.>> Le président et chef de la direction de la Banque Laurentienne assure que cette tendance générale aura des répercussions sur le rôle des banques. Le Canada, comme la plupart des pays du monde, s'est doté d'un immense réseau de succursales bancaires pour y réaliser des transactions qui, pour la plupart, peuvent aujourd'hui l'être ailleurs. <<Le principal défi des banques sera de transformer la relation d'hier basée sur les transactions en une relation de service à valeur ajoutée>>, affirme Henri- Paul Rousseau. Selon lui, les gens ne viendront plus à la banque pour encaisser un chèque ou déposer de l'argent, mais pour obtenir des conseils sur la gestion de leur actif, sur les fonds de placement, la fiscalité... Pour la clientèle, la qualité de ces conseils fera toute la différence.

Selon l'ancien professeur d'économie, les banques se sont longtemps définies de la même façon que les entreprises manufacturières,

c'est- à- dire à travers leurs produits. <<Les banquiers étaient experts en hypothèques, experts en dépôts à terme, explique- t- il. Puis, l'univers des banques s'est transformé en un univers de points de service. Depuis six ou sept ans, seul le client compte. En 15 ans, les banques ont été appelées à évoluer dans trois univers différents.>>

Des avantages pour la Banque Laurentienne

Dans un contexte où les banques doivent faire preuve de souplesse, de créativité et de dynamisme pour rejoindre une clientèle de plus en plus exigeante et de moins en moins fidèle, certaines caractéristiques de la Banque Laurentienne pourraient jouer en sa faveur. C'est du moins ce que pense Henri- Paul Rousseau. Les grandes banques canadiennes sont des entreprises intégrées verticalement qui possèdent un grand nombre de succursales et qui ont toujours conçu l'ensemble des produits dont elles ont besoin. Plus petite, la Banque Laurentienne utilise depuis longtemps les services d'autres entreprises pour fabriquer certains produits et services, que ce soit des logiciels de gestion ou encore des fonds mutuels. <<C'est un peu par obligation que nous adoptons cette approche- là. Notre taille nous oblige à être plus imaginatifs et à faire les choses différemment. Nous devons utiliser ce que le marché nous offre.>>

Par exemple, la Banque Laurentienne distribue actuellement 35 fonds mutuels et aucun d'entre eux n'a été complètement fabriqué à l'interne.

Si elle avait décidé d'élaborer les 35 fonds elle- même, Henri- Paul Rousseau estime qu'il lui aurait fallu cinq ou sept ans de travail avant d'avoir la crédibilité nécessaire pour devenir concurrentielle. En optant pour un rôle de distributeur, la Banque a pu faire beaucoup plus vite. <<Pour nous, tout ce qui compte c'est que nos clients aient accès au plus vaste choix possible>>, lance Henri- Paul Rousseau.

La Banque Laurentienne n'a pas opté pour la sous- traitance que pour les fonds mutuels.

Trop petite pour soutenir une énorme équipe pour l'implantation et la gestion de son système informatique, elle s'approvisionne en grande partie auprès d'entreprises externes. En fait, la Banque utilise la sous- traitance pour une vingtaine d'activités. <<Notre objectif, explique le président, c'est de trouver la meilleure façon de fournir à notre clientèle le meilleur produit au meilleur prix possible, peu importe si c'est à l'interne ou à l'externe.>>

Presque 150 ans

La Banque Laurentienne a été fondée à Montréal en 1846. Près de 150 ans plus tard, elle compte 250 succursales, dont 180 au Québec. En 1993, elle a géré un actif total de 9,7 milliards de dollars et généré des revenus nets de 35,6 millions de dollars. Le public détient 43 p. 100 des actions de la Banque, qui est cotée aux bourses de Toronto et de Montréal. Les 57 p. 100 qui restent sont détenus par la Société financière Desjardins- Laurentienne (SFDL), une société elle- même inscrite en bourse et détenue à 80 p. 100 par la Confédération des caisses populaires Desjardins.

<<Quand le Mouvement Desjardins s'est porté acquéreur du Groupe La Laurentienne à la fin de 1993, il a maintenu la Banque comme une entreprise autonome en compétition avec l'ensemble du réseau Desjardins>>, souligne Henri- Paul Rousseau. Celui- ci est même d'avis que Desjardins a tout avantage à posséder une banque. Il explique que, comme la Banque est née à Montréal, 120 des 180 succursales québécoises de la Banque Laurentienne sont situées dans la métropole, marché où il y a déjà beaucoup de compétition. <<Que nous soyons là ou pas ne change pas grand chose à la compétition à laquelle Desjardins doit faire face>>, illustre le président. D'autre part, les 70 succursales situées hors Québec n'entrent pas réellement en compétition avec les Caisses, peu présentes dans les autres provinces, ce qui limite la compétition aux quelque 60 banques disséminées en province.

Entreprises à plus de 80 p. 100 tournée vers les services aux particuliers, la Banque Laurentienne s'est grandement développée depuis quelques années, le plus souvent par des acquisitions.

Le nombre de succursales qu'elle possède est passé de 137 à 250 entre 1991 et 1994. <<Il y a cinq ans, nous étions présents presque uniquement à Montréal, note le président. Maintenant nous couvrons l'ensemble du territoire canadien. Nous avons réussi sept ou huit acquisitions en quelques années, ce qui nous a permis de développer à l'interne, une expertise extraordinaire dans ce domaine. Cette expertise, je l'espère, nous permettra de poursuivre notre croissance.>>

La Banque Laurentienne a, comme les autres, subi les effets de la récession. Mais, selon Henri- Paul Rousseau, elle demeure en bonne position. Pour les 18 prochains mois, elle s'est dotée d'un plan d'action comprenant pour l'essentiel deux grands objectifs. D'abord, la direction veut tirer profit des caractéristiques de souplesse et de flexibilité de la Banque pour se rapprocher davantage de sa clientèle et tenter de lui offrir un plus large éventail de produits à de meilleurs prix. Ensuite, elle veut augmenter son taux de rendement sur l'avoir des actionnaires au niveau de celui de la compétition. <<Nous ne voulons pas nous rapprocher de la concurrence pour le simple plaisir de nous comparer, mais bien parce que nous voulons continuer à émettre des actions, explique l'économiste. Et, si nous voulons que nos actions se vendent bien, elles doivent être aussi intéressantes que celles des autres.>> Pour ce faire, il faut augmenter les profits. La rentabilité du capital des actionnaires et la valeur des actions suivront la même courbe ascendante.

Et tout le monde sera heureux, pourrait- on ajouter! Le président le premier, qui pourra alors poursuivre le développement de la Banque par acquisitions. <<Dans l'intérêt de nos actionnaires et de notre clientèle>>, précise- t- il.