Les cracks de l'impôt

par Bruno Levesque

Les fiscalistes se passionnent pour des choses qui n'intéressent habituellement pas le commun des mortels, pour qui la fiscalité serait plutôt d'un ennui... mortel. Pourtant, si une grande partie de la population n'a développé aucune passion pour l'impôt, les gouvernements qu'elle élit semblent, eux, porter un grand intérêt aux contribuables et à leur portefeuille. D'où l'intérêt pour la fiscalité de Marie Jacques, professeure à la Faculté d'administration, et de Gilles Larin, professeur au Département d'économique.

En 1993, le seul gouvernement du Québec a récolté 24 milliards de dollars en impôts, dont 70 p. 100 auprès des gens de la classe moyenne. Pendant ce temps, à l'Université de Sherbrooke, une centaine d'étudiantes et d'étudiants, bacheliers en administration, en droit ou en économique, sont inscrits à la maîtrise en fiscalité, où ils reçoivent une formation de la part de professeures et de professeurs provenant de ces trois disciplines. <<Il s'agit d'un programme unique au Canada, affirme Gilles Larin. D'ailleurs, 90 p. 100 des gens qui travaillent à la politique fiscale au ministère des Finances du Québec et un bon nombre de leurs collègues de la Direction de la législation au ministère du Revenu sont diplômés de la maîtrise en fiscalité.>> Est-ce suffisant pour garantir que le Québec possède un bon système de taxation?

<<La définition d'un bon système est d'abord politique, répond Gilles Larin. Le rôle des fiscalistes est de faire en sorte que les valeurs politiques des gouvernements se reflètent dans leur fiscalité, pas de décider quelles valeurs il faut privilégier.>>

L'impôt minimum de remplacement

Marie Jacques et Gilles Larin étudient la fiscalité depuis de nombreuses années. Un de leurs objectifs serait de contribuer, par leurs recherches, à améliorer le système fiscal canadien et québécois. Voilà pourquoi ils scrutent la loi de l'impôt à la recherche de mesures inefficaces ou trop complexes.

C'est dans cet esprit qu'ils se sont penchés sur l'impôt minimum de remplacement, une mesure instaurée il y a une dizaine d'années. <<L'idée derrière cette mesure, explique Marie Jacques, était de récupérer une partie des sommes perdues par les gouvernements à cause des abris fiscaux. À partir du principe que les abris fiscaux sont généralement utilisés par des contribuables plutôt fortunés, les gouvernements se sont dit qu'il serait juste que ces gens payent malgré tout un minimum d'impôt. Mais, pour que la mesure ne soit pas trop critiquée, les gouvernements ont laissé aux contribuables la possibilité de se faire rembourser l'impôt ainsi payé au cours des années subséquentes.>>

L'impôt minimum de remplacement est-il une mesure efficace? Est-ce que les 10 ou 12 millions de dollars recueillis par le gouvernement québécois auprès des 3000 contribuables touchés par cette mesure sont effectivement récupérés par le gouvernement? Quelle partie des contribuables touchés demandent un remboursement? Ce sont ces questions qu'avaient en tête Marie Jacques et Gilles Larin quand ils se sont lancés dans une recherche sur l'impôt minimum de remplacement au Québec.

La seule façon pour eux d'obtenir l'information dont ils avaient besoin était d'avoir accès aux déclarations de revenus personnelles. Le gouvernement du Québec leur a permis cet accès, s'assurant bien sûr au préalable que les données seraient anonymes et que la confidentialité des contribuables ne serait pas mise en cause. <<Il faut dire que le gouvernement était très intéressé par les résultats de notre recherche>>, lance Gilles Larin pour expliquer cette excellente collaboration.

Marie Jacques, Gilles Larin et leur équipe ont étudié les déclarations de revenus québécoises des 1529 contribuables qui, en 1988, avaient payé de l'impôt minimum de remplacement pour la première fois. Ils ont analysé les déclarations de ces gens en 1988, 1989, 1990 et 1991. <<Pendant ces quatre années, les trois quarts des personnes touchées avaient récupéré au moins 92 p. 100 de l'impôt minimum payé en 1988, révèle Gilles Larin. Il est facile d'imaginer quelle somme aura été récupérée au bout de sept ans, soit à la limite permise des demandes de remboursement. De plus, nous avons pu noter que les contribuables aux revenus les plus élevés étaient ceux qui récupéraient leur argent le plus rapidement.>>

Les contribuables qui avaient un bon comptable ou un sens de l'économie le moindrement développé se sont rapidement organisés pour utiliser juste ce qu'il fallait d'abris fiscaux pour pouvoir se faire rembourser l'ensemble des sommes qu'ils avaient payées. Si l'on considère son objectif de départ qui était de faire payer les contribuables les plus habiles à profiter de certains abris fiscaux, l'impôt minimum de remplacement est loin d'être un modèle d'efficacité.

Cette recherche et l'ensemble des études qu'ils ont réalisées sur la fiscalité québécoise mènent Marie Jacques et Gilles Larin à des questionnements plus généraux à propos des abris fiscaux. Généralement utilisés par des gens qui ont beaucoup d'argent, ces mesures ne semblent pas toutes atteindre les objectifs annoncés. Marie Jacques donne l'exemple des régimes enregistrés d'épargne-retraite (REÉR) et de l'exonération pour gains en capital, deux mesures qui, comme elles sont structurées présentement, avantagent de façon excessive certains contribuables dont les revenus sont plus élevés que la moyenne.

Et l'effet de telles mesures sur l'économie n'est pas toujours évident! L'exonération pour gains en capital à la suite de vente d'actions de sociétés canadiennes est une mesure qui devait inci-ter les gens d'affaires à prendre plus de risques. <<Le plus souvent, les gens qui ont bénéficié de cette exonération possédaient les compagnies depuis 30 ou 40 ans, souligne Marie Jacques. Ils ont profité de l'occasion pour vendre et mettre le gain en capital exonéré d'impôt dans leur coffre. Cette mesure n'a rien généré d'autre. Pourtant, elle a coûté cher aux gouvernements.>>

Gilles Larin va plus loin. Selon lui, beaucoup d'études ont démontré que les abris fiscaux sont perçus par les investisseurs comme une prime. <<Jamais les gens d'affaires ne prendront une décision d'affaires en se basant sur des abris fiscaux, dit-il. Ils font leurs calculs sans tenir compte des abris fiscaux, puis prennent leur décision. Tant mieux pour eux si l'abri fiscal vient s'ajouter.>>

Alors la question se pose : À quoi au juste servent ces mesures si elles n'ont pas d'effet sur l'économie ni sur la prise de décision des chefs d'entreprise? Et si, comme le dit Gilles Larin, la fiscalité est le reflet des visées politiques des gouvernements, quelles sont donc ces visées?

Un siècle d'édition

Une équipe de recherche dirigée par Jacques Michon, professeur au Département des lettres et communications, travaille depuis quelques années à l'écriture de l'histoire de l'édition québécoise. En plus de Jacques Michon, cette équipe compte Hervé Dupuis, Richard Giguère et Pierre Hébert, tous trois professeurs de littérature, Suzanne Pouliot, professeure au Département d'enseignement au préscolaire et au primaire de la Faculté d'éducation, Yvan Cloutier, qui enseigne la philosophie au Collège de Sherbrooke, et une douzaine d'étudiantes et d'étudiants de 2e et 3e cycles.

L'objectif que s'est fixé le Groupe de recherche sur l'édition littéraire au Québec (GRÉLQ) est d'écrire l'histoire de l'édition au Québec au XXe siècle, ouvrage qui couvrira cinq grandes périodes. En ce moment, les recherches pour le premier volume, qui traite de la période allant de 1900 à 1919, sont presque terminées et une première ébauche a été écrite. <<Cette période aura sans doute été la plus difficile à couvrir, explique Jacques Michon. Nous ne la connaissions pas très bien au départ, ce qui fait que nous ne savions pas vers quoi nous diriger. Il a fallu remonter l'histoire jusqu'au milieu du XIXe siècle pour bien comprendre les enjeux et voir dans quelle direction évoluait le métier d'éditeur.>>

L'apparition de l'illustration dans les livres littéraires à la fin du XIXe et au début du XXe siècle a attiré l'attention des chercheuses et chercheurs du GRÉLQ. Les techniques d'impression permettant pour la première fois de reproduire facilement des illustrations, il était de bon ton, à cette époque, d'utiliser l'illustration à profusion. <<Le Canada chanté d'Albert Ferland est un bon exemple, raconte Jacques Michon. On y trouve des illustrations toutes les deux pages, que ce soit des dessins de l'auteur ou des photographies.>>

Le début du siècle est aussi l'époque où apparaissent, dans le paysage littéraire, des personnages qui, sans être des éditeurs commerciaux, rassemblent les textes, les corrigent, les réécrivent et les préparent pour la publication. Jacques Michon cite l'exemple de Louvigny de Montigny qui a édité Maria Chapdelaine de Louis Hémon.

<<Les 20 premières années du siècle constituent une période de transition entre le XIXe siècle, pendant lequel ce sont les libraires et les imprimeurs qui ont joué le rôle tenu aujourd'hui par les éditeurs, et la période que nous étudions présentement et qui fera l'objet du deuxième volume de l'histoire de l'édition, celle qui va de 1920 à 1939. C'est pendant cette période qu'apparaît la figure de l'éditeur comme entrepreneur indépendant de la librairie et de l'imprimerie, qui se donne une fonction dans la transmission des idées et de la littérature.>> Le chercheur donne l'exemple d'Albert Lévesque, à qui le GRÉLQ a déjà consacré un livre, qui a décidé en 1926 d'être éditeur et d'en faire son premier métier. <<Pour nous, cette période devrait être beaucoup plus facile à étudier, note Jacques Michon. D'abord parce que nous la connaissons mieux, ensuite parce que tout le travail de division des tâches, de mise en forme et de structuration du premier volume va nous servir d'exemple pour les autres.>>

Le boum de l'édition

Après la période 1920-1939, le GRÉLQ étudiera la période 1940-1959. Cette période, qui en est une d'essor puis de déclin, commence avec la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, une loi permettait aux maisons d'édition québécoises de publier les auteurs français, en raison de l'occupation de la France et surtout de la censure serrée qu'exerçait l'Allemagne sur tout ce que publiaient les maisons d'édition françaises. Cette permission a eu l'effet d'une bombe dans le monde québécois de l'édition et un grand nombre d'entreprises d'édition ont alors vu le jour à Montréal. Une vingtaine d'années plus tard, la plupart de ces maisons avaient dû battre en retraite, cédant la place à un nouveau type de maisons d'édition nées avec le début de la Révolution tranquille et l'arrivée massive des subventions gouvernementales à l'édition.

<<Nous n'avons pas encore établi de limites précises pour les deux derniers volumes de notre histoire de l'édition, note Jacques Michon. Mais il est fort probable que le quatrième couvre la période allant de 1960 à 1975, année qui marque le début d'une crise dans le monde de l'édition.>> Le dernier volume, lui, débutera avec l'arrivée des gros éditeurs, tels Québec/Amérique, Stanké et Libre Expression, qui vont créer une toute nouvelle dynamique dans l'édition québécoise. Et quand cette période se terminera-t-elle? <<Nous avons encore pour plusieurs années de travail devant nous, constate Jacques Michon. Nous ne serons sans doute pas très loin de l'an 2000 quand le dernier volume va paraître.>>

Le GRÉLQ aura alors écrit l'histoire de l'édition québécoise au XXe siècle, une histoire des plus importantes maisons d'édition, de leurs critères de sélection, de leurs auteurs principaux, de leur stratégie littéraire et commerciale. Dirigé par Jacques Michon, ce groupe de chercheuses et de chercheurs aura écrit l'histoire d'un acteur souvent oublié, situé au coeur de la transaction littéraire et dont le rôle s'est transformé à travers le siècle.