Faites vos jeux!

par Bruno Levesque

Président des opérations de la Société des casinos du Québec, Vincent Trudel est titulaire d'un M.B.A., obtenu en 1980. Étudiant inscrit au régime coopératif, il a fait son premier stage chez Imperial Tobacco, où il a fait la connaissance de David Clark. Celui-ci l'a embauché à nouveau pour son troisième et dernier stage coopératif, cette fois chez Loto-Québec. Quelques années plus tard, les chemins des deux hommes se sont à nouveau croisés, quand Vincent Trudel est devenu l'adjoint de Clark, alors directeur du marketing chez Loto-Québec. Ce sont eux qui, dès 1991, ont entrepris le travail exploratoire sur un projet de casino. Le 1er avril 1993, quand le gouvernement a créé la Société des casinos, il a du même coup nommé Vincent Trudel à sa tête.

Neuf mois plus tard, les portes du Casino de Montréal s'ouvraient. <<Nous avions respecté les délais et le budget prévus, réussissant même à économiser 3 millions sur un budget total de 95 millions de dollars>>, tient à préciser Vincent Trudel.

De vives réactions

Mais avant même que ses portes s'ouvrent, le 9 octobre 1993, le Casino de Montréal avait déjà fait coulé beaucoup d'encre et provoqué de vives réactions. Plusieurs craignaient une augmentation de la cri-minalité. Certains ont évoqué ces joueurs compulsifs qui sacrifient tout, famille et carrière, à cause du jeu. D'autres se sont interrogés sur le rôle du gouvernement dans cette histoire. Après tout, les profits des casinos, comme ceux de l'ensemble de Loto-Québec, sont versés dans les coffres de la province. Est-il éthique, se demandaient-ils, que le gouvernement tire profit du trop grand goût des contribuables pour le jeu pour renflouer une caisse dégarnie?

Presque deux ans après son ouverture, le Casino de Montréal et, depuis le 24 juin 1994, son petit frère de Pointe-au-Pic font encore parler d'eux. Même le casino de Hull, encore à l'étape de projet, fait jaser. Contrairement à l'habitude quand il s'agit d'une société publique, ce n'est pas l'insuccès de l'entreprise qui inquiète, mais son succès. Le Casino de Montréal a reçu 4,5 millions de visiteuses et de visiteurs au cours de sa première année d'existence, ce qui est de loin supérieur à toutes les prédictions. On attendait en moyenne 5000 personnes par jour, on en reçoit le double. La direction du Casino a dû procéder à des agrandissements. Des tables de jeux et des machines à sous ont été rajoutées. L'achalandage a entraîné le remplacement pré-maturé des tapis de jeux et de nombre de pièces d'équipement. À Pointe-au-Pic, une moyenne quotidienne de 4000 à 5000 personnes ont franchi les portes du nouveau casino cet été, dépassant de loin les plus extravagantes prédictions. Entre le 9 octobre 1993 et le 8 octobre 1994, la Société des casinos du Québec a versé 160 millions de dollars dans le fonds consolidé de la province.

Mais ces chiffres ne rassurent pas tout le monde. Pour certains, le Casino de Montréal n'attire pas la bonne clientèle. La plupart des gens qui le fréquentent vivent à Montréal, alors que seuls les touristes apportent un profit réel. Il est fréquenté par une clientèle à faible revenu qui consacre une partie importante de ses déjà trop maigres revenus à sa passion du jeu. Les files d'attente sont trop longues. Le stationnement est trop loin. Et caetera.

Selon Vincent Trudel, une bonne part de ces affirmations tiennent davantage du mythe que de la réalité. Selon lui, il n'y a de files d'attente que la fin de semaine. Et, encore-là, elles sont plutôt occasionnelles. Il n'adhère pas non plus à la thèse de l'État profiteur des faiblesses de ses citoyennes et citoyens. Les Québécoises et Québécois jouaient déjà, avant même l'ouverture du Casino de Montréal. Il cite des chiffres selon lesquels la population québécoise a dépensé 135 millions de dollars dans les casinos américains en 1992. De plus, l'Ontario et l'État de New York projetaient l'ouverture de casinos sur leur territoire, ce qui aurait sans doute fait augmenter ce chiffre. En ouvrant des casinos sur le territoire québécois, l'État n'a fait que récupérer des sommes autrement perdues. En 1993, le montant des dépenses des Québécoises et Québécois dans les casinos américains avait déjà beaucoup diminué.

<<La population préférait que ce soit le gouvernement qui contrôle les salons de jeux, ajoute Vincent Trudel. Des sondages réalisés avant l'ouverture du casino indiquaient que plus de 65 p. 100 de la population québécoise était favorable à l'implantation d'un casino, surtout s'il était géré par une société d'État.>>

Un casino pour la classe moyenne

Vincent Trudel décrit ainsi la clientèle du Casino de Montréal : <<Une étude de la maison de sondage SOM montre qu'elle se recrute plutôt parmi des gens dont les revenus sont moyens ou moyens supérieurs et dont le niveau d'éducation est plus élevé que la moyenne. Plus de la moitié de nos revenus provient de joueuses et de joueurs qui gagnent 60 0000 $ et plus. Il n'y a que 9 p. 100 des clients du casino qui gagnent moins de 20 000 $ par année, alors que ce groupe représente 16 p. 100 de la population québécoise. Il y a donc une sous-représentation de ces gens, tandis que les mieux nantis sont surreprésentés.>>

Et le président de la Société des casinos insiste pour remettre les pendules à l'heure quant à l'impact des casinos sur le tourisme. Au cours de la première année, 4,5 millions de personnes ont franchi les portes du casino. <<De ce nombre, 900 000 provenaient de l'extérieur de la région montréalaise, dont 345 000 de l'extérieur du Québec, explique Vincent Trudel. Ces 345 000 personnes ont généré 232 millions de dollars en dépenses de toutes sortes dans l'économie montréalaise. Dans un sondage, 40 p. 100 de ces touristes ont dit qu'ils ne seraient pas venus à Montréal s'il n'y avait pas eu de casino.>> Il poursuit : <<Même si de tels chiffres ne sont pas encore disponibles quant à l'impact du Casino de Charlevoix, nous savons que le taux d'occupation des chambres dans la région a augmenté de 23 p. 100 depuis son ouverture. Bien sûr, d'autres facteurs comme la reprise économique et le faible taux de change du dollar canadien ont pu jouer un rôle, mais le président de l'association touristique de la région affirme que c'est en grande partie grâce au Casino.>>

Reprise du tourisme, taux de satisfaction élevé de la clientèle (96 p. 100 se dit satisfaite ou très satisfaite), contribution importante au Trésor québécois, les casinos québécois ont tout pour plaire aux contribuables. De plus, personne n'a noté quelque hausse de la criminalité que ce soit. Pourtant, le Casino continue d'être la cible de critiques. Pourquoi une si mauvaise presse? Sans doute les journalistes ont-ils du mal à se faire à l'idée que l'État soit tenancier de salles de jeu. Marcel Adam, dans un article paru dans La Presse du 31 août 1993, rappelait que Bing Crosby avait refusé des ponts d'or pour aller chanter à Las Vegas parce qu'il se faisait un cas de conscience de la possibilité qu'une admiratrice ou un admirateur attiré par lui se ruine à cause du jeu. <<Cet excessif scrupule, écrit le chroniqueur, fait paraître particulièrement honteuse l'attitude du gouvernement du Québec qui a fait une vertu d'un vice après s'être substitué au monde interlope pour exploiter à son avantage et avec la même âpreté au gain le goût du jeu, en étatisant les loteries et en créant les casinos.>> Le gouvernement, comme l'écrit Marcel Adam, est-il en train de se transformer en véritable bandit ou, comme semble le penser Vincent Trudel, il adapte simplement son activité aux valeurs en cours dans la société québécoise d'aujourd'hui? À vous de faire vos jeux!