Chaque jour ou presque, que ce soit à la radio, à la télé ou dans les journaux, des spécialistes en économique viennent parler de la politique monétaire canadienne, des taux d'intérêt ou du rôle de la Banque du Canada. Qu'en est-il au juste de cette banque? Quel rôle joue-t-elle dans la fixation des taux d'intérêt et de la valeur du dollar canadien? SOMMETS a demandé à un expert d'éclairer notre lanterne.

La Banque du Canada

Moins sorcier qu'il n'y paraît

par Yvan Fontaine*

Contrairement à ce que plusieurs croient, la Banque du Canada n'est pas un établissement commercial. Elle n'effectue pas d'opérations bancaires courantes comme les dépôts et retraits des particuliers et des entreprises. Elle est plutôt le pivot du système financier canadien et possède plusieurs responsabilités, dont la principale est de formuler la politique monétaire et de la mettre en oeuvre.

La politique monétaire de la Banque du Canada vise la réduction du taux d'inflation et, ultimement, la stabilisation des prix. Cette politique table sur le fait que ces objectifs, une fois atteints, permettront à l'économie canadienne de mieux fonctionner et d'être plus efficace, ce qui devrait favoriser l'emploi et hausser le niveau de vie général des Canadiennes et Canadiens.

Cette politique monétaire a bien sûr un effet direct sur l'économie. Elle se fait sentir sur les taux d'intérêt à très court terme, notamment sur les taux au jour le jour et, par la suite, sur les autres taux et sur le taux de change. Les changements des taux d'intérêt ou du taux de change ont des effets sur la demande dans l'économie. Une hausse des taux d'intérêt ou une augmentation du taux de change ralentit la croissance de l'activité économique, alors qu'une baisse de taux ou une dépréciation de la devise a pour effet de la stimuler. Pour tenir compte de ces deux éléments, la Banque suit ce qu'elle appelle l'indice des conditions monétaires, un indice qui tient compte des variations des taux d'intérêt et de change. Présentement, le ratio est de trois pour un en faveur des taux d'intérêt, c'est-à-dire que toute diminution d'un point de pourcentage des taux d'intérêt a un impact similaire à une dépréciation de trois points de pourcentage du taux de change sur la croissance économique canadienne.

À la suite d'une annonce conjointe du gouvernement fédéral et de la Banque du Canada au début de 1991, la politique monétaire vise la réduction et ensuite le contrôle du taux d'inflation à l'intérieur d'une fourchette présentement située entre 1,5 et 3,5 p. 100 et, à partir de la fin 1995, entre 1 et 3 p. 100. Lorsque le taux d'inflation se situe en bas de la fourchette et qu'il n'y a aucune pression imminente - ce qui a été le cas depuis trois ans - la politique monétaire pourra alors être accommodante, c'est-à-dire orientée de façon à favoriser la croissance économique. À l'inverse, lorsque les pressions inflationnistes sont manifestes - comme ce fut le cas de 1988 à 1991 - la Banque optera pour une politique monétaire dite restrictive, c'est-à-dire orientée de façon à restreindre quelque peu la croissance et ainsi à mieux contrôler ces pressions. Lorsque surviendront des écarts inacceptables dans l'évolution du taux d'inflation, la Banque réagira de façon à ramener ce dernier sur la trajectoire indiquée.

Un choix plutôt restreint

Les instruments que possède la Banque afin d'orienter la politique monétaire se résument à peu de choses : la modification de son bilan par l'augmentation ou la réduction de ses actifs. La Banque Centrale contrôle le volume des encaisses de règlement utilisées par les banques et les institutions parabancaires. En augmentant ses actifs, la Banque se trouve à accroître l'offre d'encaisses de règlement par rapport à la demande. Ceci crée des pressions à la baisse sur les taux au jour le jour qui influencent à leur tour les taux du marché monétaire dans la même direction. Une diminution de ses actifs a l'effet inverse : l'offre d'encaisse diminue et les pressions sur les taux d'intérêt sont à la hausse. C'est de cette façon que la Banque peut orienter les taux à court terme dans la direction désirée.

Il est possible que d'autres facteurs d'offre et de demande influencent les taux à très court terme de façon contraire à l'objectif souhaité. La Banque peut alors, au cours d'une séance donnée, ajouter ou retirer des liquidités du système financier en intervenant directement avec les participants afin de garder les taux à l'intérieur de la fourchette souhaitée. Lorsqu'elle ajoute des liquidités, la Banque se trouve à réduire les besoins des courtiers en fonds au jour le jour, ce qui a pour effet de diminuer les pressions haussières sur les taux d'intérêt. Inversement, lorsque les taux se relâchent, la Banque atténue ces pressions vers le bas en permettant aux banques à charte de lui prêter des fonds à un jour. La Banque peut également intervenir pour influencer les autres taux du marché monétaire en achetant ou en vendant des bons du Trésor. En plus d'affecter la liquidité du système, la vente ou l'achat de bons du Trésor envoie un message très clair quant à l'ampleur du mouvement de taux d'intérêt souhaité.

Déjà difficile, la conduite de la politique monétaire est limitée par des facteurs externes. La globalisation des marchés a fait en sorte que les politiques monétaires des autres pays peuvent avoir un impact direct sur la situation canadienne. Les hausses de taux survenues depuis février 1994 aux États-Unis constituent l'exemple le plus frappant. La situation budgétaire canadienne difficile et la situation politique du Québec sont d'autres facteurs-clés. Dernièrement, l'importance de ces facteurs a fait en sorte que les marchés financiers doutent de la capacité de la Banque du Canada de maintenir les marchés canadiens à l'abri de ces influences étrangères. Dans ces temps de turbulence, la Banque agit de façon à ce que les investisseurs gardent confiance en la valeur du dollar canadien, orientant les taux d'intérêt de façon à favoriser la stabilisation des marchés.

Les décisions d'intervention de la Banque sont prises à partir du siège social à Ottawa. Le suivi des conditions de marché locales et internationales et la réalisation des interventions sont cependant effectués à partir des agences de Toronto et Montréal. Les membres du bureau de Montréal agissent donc comme tampon entre la communauté financière québécoise et la Banque du Canada. D'un côté, ils s'efforcent de fournir renseignements et explications sur le fonctionnement de la Banque, sur les objectifs de la politique monétaire canadienne et sur les autres facteurs qui influencent ses décisions aux participants du marché. De l'autre, ils tentent de recueillir des renseignements auprès des participants à propos de leurs activités et leurs vues sur les marchés financiers, afin d'aider Ottawa à prendre les meilleures décisions concernant la politique monétaire et aussi en tant qu'agent financier du gouvernement.

* Bachelier en économique depuis 1985, titulaire d'une maîtrise en administration depuis 1988 et Chartered Financial Analyst (CFA), Yvan Fontaine est analyste principal au bureau de Montréal du Département des valeurs de la Banque du Canada.