Lyne et Pierre sortent de classe après leur cours. Elle est emballée, lui, découragé. <<Je ne comprends rien de ce que le prof raconte, se plaint-il. Ça n'a aucun rapport avec mes autres cours. En plus, je ne sais même pas à quoi ça va me servir dans la vie! Je ne serai jamais prêt pour l'examen de la semaine prochaine, je pense que je vais abandonner le cours.>>

En quelques mots, Pierre vient d'établir le programme des pédagogues universitaires pour les prochaines années. Pourquoi Pierre ne comprend-il pas ce qui lui est enseigné? Comment se fait-il qu'il ne voit pas clairement les liens entre les différents cours de son programme d'études? Quelle relation devrait exister entre la formation qu'il reçoit et le monde du travail où il évoluera demain? Les examens doivent-ils être de simples outils de sanction ou servir à évaluer si le message est bien passé? Professeur à la Faculté d'éducation et spécialiste de la pédagogie, Guy Boudreau a accepté de jeter un coup d'oeil dans sa boule de cristal...

Enseignement au premier cycle

Une préoccupation de tous les instants

par Guy Boudreau

La principale clientèle des universités est constituée des étudiantes et des étudiants de premier cycle. Il revient à l'université de former des professionnelles et professionnels dont la compétence se mesure non seulement par la maîtrise de connaissances directement reliées à leur domaine d'intervention, mais aussi par leur capacité d'accéder à la réflexion nécessaire pour mettre en pratique les compétences et les savoirs acquis dans une perspective sociale, culturelle et intellectuelle.

Une grande part de la tâche des professeures et professeurs d'université est de bien préparer les jeunes à leur vie professionnelle. Pour y arriver, ils ont élaboré des programmes et mis au point des stratégies de formation qui assurent la construction des savoirs et des compétences. Ces stratégies ont souvent le défaut d'être appliquées à tout le monde sans distinction, même si les étudiantes et les étudiants ne disposent pas, à leur arrivée à l'université, d'un registre identique de connaissances. L'un des principaux défis actuels et futurs de la formation initiale à l'université consiste précisément à s'enquérir de ces caractéristiques individuelles pour apporter une certaine variété pédagogique, de manière à rejoindre chacun de ceux et celles qui sont assis dans la classe. Pour cela, les personnes qui leur enseignent devront connaître les disparités entre individus et savoir comment adapter leur enseignement à ces différences. Seule la recherche permettra de répondre à ce type de questions. Il est grand temps de s'y intéresser.

<<Ça n'a aucun rapport avec mes autres cours>>

Les programmes de premier cycle doivent couvrir des champs de connaissance variés qui obligent à une certaine subdivision des savoirs en cours, crédits, heures de cours, etc. Trop souvent, l'étudiante ou l'étudiant est soumis à une formation où les cours s'enchaînent sans que les liens entre eux soient vraiment explicités. Il faudrait s'assurer que les étudiantes et les étudiants établissent des liens entre les diverses composantes de leur formation.

La poursuite d'un tel objectif, qui devrait être au coeur de toute formation de premier cycle, oblige à revoir les programmes d'études et les pratiques pédagogiques de formation. Chaque programme devrait accorder une place encore plus grande aux activités d'intégration des savoirs. Les membres du corps professoral devraient tenir compte, dans leur enseignement, des connaissances acquises dans d'autres cours par leurs étudiantes et étudiants de même que de celles qu'ils acquerront dans les cours subséquents. Tout comme la présence d'équipes de recherche s'est intensifiée à l'université, il faudrait, dans un proche avenir, favoriser l'émergence d'équipes ou de collectifs d'enseignement au sein desquels il serait question de pédagogie universitaire et d'intégration des savoirs et des compétences.

S'il est important de créer des activités d'intégration des savoirs dans les programmes de premier cycle, il faut aussi vérifier si le contenu est bien compris par tous. Un ensemble de facteurs peuvent expliquer qu'un message passe ou ne passe pas. Non seulement faut-il s'enquérir des capacités cognitives des étudiantes et des étudiants, de leur motivation, de leur méthode de travail, mais aussi des stratégies pédagogiques mises en place pour assurer l'apprentissage. En cours de trimestre, le professeur ou la professeure devrait être en mesure de fournir aux étudiantes et étudiants des rétroactions qui leur permettent d'évaluer leur niveau de connaissance et de compétence. La seule sanction des notes ne permet guère d'amorcer un travail de réflexion avec les étudiantes et les étudiants. Transformer l'évaluation pour en faire un instrument d'apprentissage et non plus un simple outil de sanction représente sans aucun doute une réorientation majeure des programmes de premier cycle.

<<Je ne sais même pas à quoi ça va me servir dans la vie!>>

La majorité des programmes de formation de premier cycle universitaire conduisent nos diplômées et nos diplômés vers l'exercice d'une profession. L'arrimage entre les objectifs de formation et les réalités des milieux de travail doit être assuré. Il ne s'agit pas de subordonner la formation universitaire aux contingences des divers terrains professionnels, ni d'imposer la seule perspective universitaire à nos collègues de la pratique professionnelle. Il faut plutôt créer des lieux de concertation où tous les angles de l'action sociale, professionnelle et culturelle sont abordés dans le but ultime de donner une formation dont les aspects théoriques indispensables sont mis en application pour répondre aux besoins de notre société.

Malgré leur grande qualité, malgré qu'ils seront sans cesse améliorés pour mieux répondre aux exigences de la société de demain, les programmes de baccalauréat, quel que soit le domaine de formation, demeurent des programmes de formation initiale. Pourtant, dans l'esprit de plusieurs, un diplôme de premier cycle confère à son titulaire la compétence ultime et définitive. Penser de cette façon, c'est oublier que tous les domaines de connaissance évoluent à un rythme accéléré. Cette situation oblige les universités à prévoir des programmes de formation continue, dont la mission est de mettre à jour les connaissances des titulaires d'un diplôme de premier cycle. Ces programmes devront s'inscrire dans la culture universitaire comme le prolongement obligatoire à toute formation initiale. De leur côté, les étudiantes et étudiants doivent être amenés à concevoir et à admettre que leur formation se sera jamais définitive et que, dès leur entrée à l'université, ils s'engagent dans un processus permanent de formation qui devrait faire partie intégrante de leur projet de carrière.

Titulaire d'un baccalauréat et d'une maîtrise en orthopédagogie de l'Université de Sherbrooke, Guy Boudreau détient aussi un doctorat en psychologie de l'Université de Toulouse-Le Mirail. Professeur à la Faculté d'éducation depuis 1973, il est aussi vice-doyen depuis 1993.