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Liaison, 5 juillet 2007
L'art de trouver un monde à soi
JOSÉE BEAUDOIN
Dans l'esprit de Raymund Wellinger, sitôt une réponse trouvée, trois
autres questions se posent. Au moins. Aussi, quand je lui annonce un peu
naïvement que sa quête sera donc sans fin, il me rétorque en souriant :
«Mais n'est-ce pas fantastique?» Visiblement, les questions le motivent
autant que les réponses, cela dit en admettant qu'il ait besoin de
motivation… «Comme chercheur, je crois qu'on n'a pas vraiment besoin de
motivation; on est passionné. Quand la nature nous révèle une chose à
laquelle on n'avait pas pensé, c'est formidable! On veut aller plus loin.
Toujours.»
Originaire de Suisse, Raymund Wellinger a obtenu son Ph.D. en biologie
moléculaire de l'Institut suisse pour les recherches expérimentales en
cancer rattaché à l'Université de Lausanne en 1986. Il a ensuite effectué
des études postdoctorales au centre de recherche sur le cancer Fred
Hutchinson à Seattle. Et qu'est-ce qui l'a mené à l'Université de Sherbrooke
où il est aujourd'hui professeur au Département de microbiologie et
d'infectiologie? Un savant mélange de latitude intellectuelle et de
possibilités de financement pour mener à bien ses recherches. Preuve qu'il a
fait le bon choix, la chimie opère depuis 13 ans maintenant.
Un peu, beaucoup, passionnément…
Difficile d'isoler le gène scientifique qui a tracé la voie du professeur
Wellinger. Toutefois, le goût de la passion lui a été insufflé tout jeune
par un professeur de niveau secondaire qui était complètement transporté…
par les abeilles! «Il pouvait nous raconter ses histoires d'abeilles pendant
des heures. Le reste du monde, c'était secondaire ou tertiaire, mais les
abeilles… alors là! Même en étant jeune adolescent, j'étais impressionné de
le voir si passionné. Je voyais que lui, il avait trouvé son monde.»
Son monde, c'est dans la recherche que Raymund Wellinger l'a trouvé.
D'ailleurs, si je ne l'avais pas prévenu d'emblée que cet article se voulait
plus sympathique que scientifique, il aurait pu me parler pendant des heures
des télomères, ces structures d'ADN situées à l'extrémité des chromosomes.
Les télomères, ce sont ses abeilles à lui.
On peut comparer les télomères aux lacets des souliers qui, chaque fois
qu'on les utilise, s'abîment un peu. À la fin, ils se déchirent et
deviennent inutilisables. C'est similaire avec les télomères qui sont
essentiels pour la stabilité des chromosomes. Les cellules normales de notre
corps se divisent à plusieurs reprises tout au long de notre vie, provoquant
chaque fois un raccourcissement des télomères. À un moment donné, ces
derniers n'exercent plus leurs fonctions de capuchon et c'est le début d'une
instabilité génétique qui peut mener au cancer, entre autres.
À l'époque où le professeur Wellinger a commencé à s'intéresser à ces
mécanismes, dans les années 80, la problématique était plus académique que
clinique. Aujourd'hui, les résultats de ses études pourraient apporter des
indices sur la compréhension des phénomènes qui permettent aux cellules
cancéreuses de rester quasiment immortelles tandis que les autres cellules
de l'organisme semblent avoir une durée de vie prédéterminée. «Il y a
400 ans, ce qui n'est rien en termes évolutifs, notre organisme était fait
pour vivre 40 ou 45 ans, explique-t-il. L'hygiène et les avancées en
médecine ont aidé à prolonger l'espérance de vie, mais à la base, le système
biologique n'est pas conçu pour optimiser la vie après ses années
reproductives.»
Une sommité mondiale
Dans son domaine de recherche, Raymund Wellinger est incontestablement un
leader mondial, comme en font foi ses nombreuses conférences à l'étranger,
son implication au sein de divers comités et ses publications dans les
journaux scientifiques les plus prestigieux comme Cell, Nature et Science.
D'ailleurs, il existe dans son labo une fière tradition : pour chaque
communication publiée dans un ouvrage de renom, on ouvre une bonne bouteille
que l'on conserve par la suite et sur laquelle s'inscrivent la date et le
nom de la revue en question.
Si Raymund Wellinger fait figure de leader, il s'impose également comme
un homme d'équipe qui a la collaboration à cœur. «Si j'ai des idées, je les
partage. L'objectif final, ce n'est pas la gloire personnelle, c'est de
faire avancer notre compréhension de la science», explique-t-il. En plus de
participer à des projets collectifs, tel le projet Génome, il a fondé une
société de biotechnologie appelée Télogène en 1999 avec Benoît Chabot,
directeur du Département de microbiologie et d'infectiologie. C'était l'une
des premières du genre à la Faculté de médecine.
Le vert du décor
Comme tout bon bureau de chercheur qui se respecte, celui du professeur
Wellinger a tout un rayon de livres de référence et de documents
scientifiques. Toutefois, c'est le nombre impressionnant de plantes qui
donne le ton et teinte l'ambiance, telle une invitation au calme. «Comme je
ne peux pas installer mon bureau dans la forêt, j'ai amené la forêt dans mon
bureau. Je ne suis pas un spécialiste des plantes, pas du tout, mais le vert
est une couleur tranquillisante, alors je m'en entoure», dit-il. Son espace
est harmonieux et sa logique, implacable.
Matière à réflexion…
En terminant, Professeur, une dernière question sur l'espérance de vie…
«Surtout, ne me demandez pas si je vais inventer quelque chose pour
l'immortalité humaine!» dit-il en riant. En fait, ma question était plutôt :
est-ce que vous croyez que l'immortalité humaine serait souhaitable?
S'ensuit un grand silence, puis ces mots bien pesés : «En fait, moi je crois
que non. Je crois que l'avancement de l'humanité et de la société dépend
aussi d'un renouvellement d'esprits.»
Et sa réponse ouvre vers d'autres questions. La quête est sans fin. La
fin nous ramène au début. N'est-ce pas fantastique?
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