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Liaison, 14 juin 2007
L'idéaliste pragmatique
JOSÉE BEAUDOIN
Tout juste avant que j'aille rencontrer Michel Montpetit, un informateur
privilégié m'a dit de lui, sans plus de détails, qu'il avait pris sa
retraite avant de commencer à travailler. J'avais donc la curiosité bien
piquée lorsque je suis arrivée à son bureau, et je n'étais pas encore assise
lorsque je lui ai demandé de m'expliquer comment il avait pris sa retraite
avant de commencer à travailler. Si je ne l'avais pas amené sur cette piste,
je ne crois pas qu'il m'aurait raconté d'emblée cette période, entre 18 et 32 ans,
où il a osé suivre sa propre voie. C'eût été bien dommage d'ailleurs, car
elle n'est pas banale, la vie de l'actuel directeur du Centre universitaire
de formation en environnement. Et si un jour il se cherche une biographe, ça
m'intéresse.
À la rencontre des ponts et des rivières
À côté de l'école secondaire que fréquentait Michel Montpetit, il y avait
un pont et une rivière. En les regardant, l'élève se disait que, des ponts
et des rivières, il y en avait des milliers d'autres à traverser partout
dans le monde. Une fois son diplôme d'études secondaires obtenu, il est
parti en Europe avec son sac à dos et 1000 $ en
poche. Son premier voyage a duré six mois; c'était le premier de plusieurs.
S'il revenait au bercail, c'était seulement pour mieux repartir. «Quand tu
es jeune et que tu voyages, tu ne veux pas revenir. Si tu reviens, c'est
parce que tu n'as plus d'argent», dit-il simplement. Il travaillait donc à
gauche, à droite, regarnissait sa besace et regagnait le large. Bien sûr, il
a aussi retenu l'option d'étirer ses séjours en travaillant sur place. Il a
donc fait des tournées de vendanges, il a cueilli des olives en Grèce, il a
appris à fabriquer des bijoux, les a vendus au coin des rues. En tout, le
cycle du voyageur a duré environ cinq ans.
Le retour à la terre
En plus de former la jeunesse, les voyages bousculent souvent les valeurs
et les priorités. Aussi, lorsque le bourlingueur a posé ses bagages, il
avait l'esprit de contestation très bien formé. Il a alors démarré son
entreprise dans l'unique dessein d'amasser le capital requis pour acheter
150 acres de terre à bois. Une fois le grand lot
gagné, il y a construit une maison et s'y est installé avec femme et enfant,
sans commodités ni électricité. «Je n'acceptais pas les valeurs du système
et je ne voulais pas embarquer dedans. J'ai donc décidé de m'isoler.» Son
autonomie passait par ses arbres, son cheval, ses poules, ses moutons, ses
immenses jardins, ses ruches, son système
D. Après cinq
ans d'isolement et de labeur, il avait fait le tour du grand jardin et le
quotidien comportait moins de création. «L'objectif était atteint pour moi.
Je savais comment fonctionner sans dépendre de rien. Je m'étais démontré à
moi-même que je n'avais pas besoin du système pour vivre.» Fort de ce
constat, il pouvait rembarquer.
Le retour aux études
C'est en Gaspésie qu'il a choisi de réintégrer la civilisation où, tout
en travaillant dans le domaine de la construction, il organisait des
randonnées dans les Chics-Chocs. C'est aussi là que son désir de retourner
aux études est devenu très fort dans un domaine très précis. À 32 ans,
après une année de cours d'appoint au cégep, il entrait à l'Université de
Sherbrooke pour faire son baccalauréat en écologie, une formation qu'il
coiffa ensuite d'une maîtrise en environnement. En 1992,
l'Université l'embauchait comme professionnel à mi-temps. Depuis cinq ans,
il est directeur du Centre universitaire de formation en environnement (CUFE).
Voilà pour la chronologie. Admettez que le parcours est fascinant.
L'environnement de travail
Sous l'impulsion de Michel Montpetit, les activités du CUFE se sont
développées à vitesse grand V,
fortes d'une approche pédagogique innovatrice orientée vers la pratique. Le
taux de croissance des activités d'enseignement est de 85 %
pour les cinq dernières années. «On a fait beaucoup de développement pour
axer la formation sur les besoins de la société, dit-il. L'étudiant est
préparé pour aller sur le marché du travail. Tous nos cours sont pensés en
ce sens-là et on fait des révisions constantes pour qu'ils soient toujours à
jour. C'est une de mes premières préoccupations.»
Au CUFE, l'environnement est abordé sous un angle multidisciplinaire et
dans une perspective de développement durable. Aussi, les étudiantes et
étudiants y arrivent de tous les champs d'études. Le Centre ne se limite pas
aux programmes réguliers de 2e cycle; il offre
aussi de la formation continue de 2e cycle pour
les professionnels en exercice, de la formation sur mesure non créditée pour
les entreprises et les organisations, et tout un volet recherche pour les
étudiants qui désirent se spécialiser.
Outre ses tâches de directeur, Michel Montpetit enseigne. Au-delà des
notions de gestion, il apprend aux étudiantes et étudiants à travailler en
équipe multidisciplinaire de façon structurée et il les invite à élargir
leurs horizons. «En environnement, ce n'est jamais noir et jamais blanc,
dit-il. On est tout le temps dans les zones grises. Avant de prendre
position, il faut regarder les deux côtés de la médaille.»
Un leader collaborateur
Est-ce que le directeur se voit lui-même comme un leader? «Je me vois
plutôt comme un bon collaborateur.» Chose certaine, au sein de son équipe,
son leadership ne fait aucun doute. «C'est un excellent gestionnaire, un
développeur, un visionnaire. Il sait mobiliser les gens en allant chercher
les forces de chacun. Avec lui, il n'y a pas de temps mort, il faut que ça
bouge», dit Madeleine Couture, secrétaire de direction. Et au risque de
créer une belle rivalité sur le campus, j'ajoute aussi sa conclusion :
«À l'Université, on doit avoir la plus belle équipe de travail!»
J'aimerais beaucoup que le titre du présent article soit de moi, mais le
crédit revient à Jean-François Comeau, directeur adjoint du CUFE et ami de
Michel Montpetit. «Je le taquine avec ça, mais c'est vrai… Michel, c'est un
idéaliste pragmatique. S'il a une idée en tête, même si elle a l'air
impossible à la base, il va suivre systématiquement les étapes et prendre
les moyens pour arriver à ses fins, quitte à faire changer des façons de
procéder ou des lois établies.»
Le mot de la fin
Curieux et passionné de tout, Michel Montpetit fait du vélo, approfondit
son intérêt pour l'écotourisme et voyage encore beaucoup. Est-il toujours
animé d'un esprit contestataire? En guise de mot de la fin, une réponse
empreinte d'idéalisme et de pragmatisme… «Je dis souvent à mes étudiants :
si vous contestez sur le bord d'une clôture, les effets ne seront pas si
grands. Par contre, faites votre maîtrise en environnement, allez de l'autre
côté de la clôture et entrez dans l'industrie qui pollue; là, vous allez
pouvoir faire des changements.»
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