Une proposition de la doctorante Christiane Auray-Blais
retient l'attention de la revue
Science
Une clé pour résoudre les problèmes
éthiques liés à l'utilisation des biobanques
ROBIN RENAUD
De plus en plus, la recherche médicale utilise des informations provenant
de biobanques. Or, la gestion à long terme de ces banques de matériel
génétique soulève plusieurs enjeux éthiques. Comment assurer la
confidentialité des sujets ayant fourni des échantillons tout en assurant un
suivi auprès d'eux, des années plus tard? Christiane Auray-Blais vient de
soutenir sa thèse de doctorat en radiobiologie à la Faculté de médecine et
des sciences de la santé. Elle prône des moyens de gérer ces biobanques pour
assurer une participation informée des personnes. Sa proposition, élaborée
avec la professeure Johane Patenaude, a d'ailleurs intéressé la revue
Science qui a
publié une lettre à l'éditeur dans son numéro du 11 mai.
La thèse de Christiane Auray-Blais, qui est aussi professeure associée au
Service de génétique du Département de pédiatrie, portait également sur une
nouvelle méthode de dépistage de la maladie de Fabry. Très difficile à
diag-nostiquer, cette maladie héréditaire peut hypothéquer le fonctionnement
de plusieurs organes.
Éthique et biobanques
Christiane Auray-Blais travaille depuis plus de 30 ans
comme biochimiste responsable du programme de dépistage urinaire au Service
de génétique médicale du CHUS. Comme elle a été membre du comité d'éthique
de la recherche sur l'humain du CHUS et de la Faculté de médecine et des
sciences de la santé pendant cinq ans, elle est très au fait des questions
éthiques liées à la recherche. «En général, le recours à des échantillons
humains pour une étude définie est soumis à des règles éthiques, à des
protocoles et à des procédures claires, où le chercheur principal est
responsable du code d'identification des échantillons de l'étude, dit
Christiane Auray-Blais. De plus en plus, les compagnies
pharmaceutiques et les organismes
subventionnaires demandent à conserver des banques d'échantillons à long
terme pour pouvoir mener des recherches ultérieures. Or, comment faire en
sorte que la personne participante soit maintenue informée tout en gardant
confidentiels des informations et des renseignements personnels? Et si une
découverte d'utilité clinique majeure est faite plusieurs années plus tard,
comment communiquer avec le sujet participant?»
Ces questions travaillaient la chercheuse, et elle a remarqué que
plusieurs de ses collègues partageaient ses préoccupations :
«J'ai constaté qu'il y avait un réel malaise autour de cette question.»
Un modèle de gestion
La difficulté de gérer les biobanques vient notamment du fait que de plus
en plus, les compagnies souhaitent constituer des banques d'échantillons
codés, et non plus anonymes, ce qui pose souvent problème. «Plusieurs
projets de recherche ont été rejetés par des comités d'éthique ces dernières
années parce qu'on n'arrivait pas à résoudre la question de la gestion des
biobanques», signale Christiane Auray-Blais. Elle a donc proposé un modèle
de gestion pour la recherche institutionnelle où un archiviste médical joue
un rôle pivot : «La confidentialité est assurée
par deux séries de codes : le premier code des échantillons pour l'étude
principale est géré par l'investigateur principal, tandis que le second code
pour les échantillons de la biobanque est géré par l'archiviste qui en a la
clé. Par son statut, cette personne est tout à fait indépendante. Elle doit
se conformer à la loi sur les archives, relève de l'administration d'un
hôpital et est dissociée du projet de recherche. Si par exemple une
entreprise voulait savoir si un sujet a eu une récidive de cancer,
l'archiviste peut fournir la réponse sans dévoiler l'identité des personnes.
Ce modèle est relativement simple, n'entrave pas la recherche et permet de
protéger et de respecter l'intégrité des personnes.»
De plus, Christiane Auray-Blais propose de «revenir à la base» en donnant
une formation continue sur les conséquences et les implications liées aux
biobanques, à la fois au chercheur principal, à son personnel de recherche
et aux membres de comités d'éthique chargés d'encadrer ces questions. Ces
programmes de formation continue devraient toutefois être financés par les
entreprises qui souhaitent utiliser des biobanques, afin que le fardeau ne
revienne pas aux institutions. «Je crois que le résumé de ces propositions a
intéressé la revue Science parce que c'est une préoccupation pour plusieurs
chercheurs à travers le monde actuellement», dit Christiane Auray-Blais.
Mieux dépister la maladie de Fabry
Dans le cadre de son doctorat, Christiane Auray-Blais a également mis au
point une nouvelle méthode pour dépister la maladie de Fabry. «Cette maladie
héréditaire est causée par la déficience d'une enzyme, ce qui provoque
l'accumulation de macromolécules dans différents tissus, organes et
vaisseaux sanguins, explique-t-elle. Dans certains cas, cela peut attaquer
le fonctionnement du cœur ou des reins et causer un décès dans la jeune
quarantaine.»
Or, il arrive souvent qu'il faille plus d'une dizaine d'années et la
consultation de nombreux spécialistes avant de diagnostiquer cette maladie
chez un patient. «Vers l'âge de 10 ou 12 ans, un enfant peut ressentir de
forts brûlements dans les mains et les pieds, explique la chercheuse. La
maladie peut aussi se manifester par une opacité cornéenne. Malgré ces
indices, le dépistage est compliqué.»
Le projet de recherche a permis d'établir un moyen de dépister la maladie
grâce à des échantillons d'urine conservés sur papier filtre. «Pour
l'analyse, nous utilisons un appareil de haute technologie, soit un
spectromètre de masse en tandem, explique la chercheuse. Il est alors
possible de détecter la présence d'un biomarqueur prédominant chez les
personnes atteintes, le globotriaosylcéramide ou Gb3.»
Cette méthode simple offre un outil supplémentaire aux médecins, qui
peuvent diagnostiquer plus hâtivement cette maladie et prévoir les
traitements en conséquence avec des enzymes de remplacement avant que la
condition d'un patient ne se détériore de manière irréversible.
«Cela ne résout pas tous les problèmes, puisque la maladie de Fabry se
décline en plusieurs mutations et peut évoluer d'une manière très variable
d'un patient à l'autre, dit Christiane Auray-Blais. Cette recherche pourrait
toutefois ouvrir la porte à une étude de faisabilité pour évaluer la
pertinence de mener le dépistage de cette maladie chez les nouveaux-nés.»
Si ce projet se concrétise, il pourrait être possible de déterminer
l'incidence de cette maladie au Québec, une donnée qui échappe aux médecins
actuellement.
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