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Entrevue avec le doyen Gérard Lachiver
La Faculté de génie innove et montre le chemin
Propos recueillis par ROBIN RENAUD
La Faculté de génie est depuis longtemps à l'avant-garde parmi les
universités du pays pour ses programmes innovateurs et ses méthodes
d'apprentissage originales. C'est d'ailleurs une grande source de fierté
pour le doyen Gérard Lachiver : «Nous proposons une combinaison
d'innovations pédagogiques comme l'approche par problèmes et par projet, et
nous insistons beaucoup sur le développement de compétences par des projets
d'intégration. C'est ainsi que nous nous démarquons, et nous constatons que
d'autres institutions canadiennes commencent à intégrer des dimensions qui
s'inspirent de nous. C'est agréable de voir qu'on joue un rôle de leader
très important.»
Bref, le doyen Lachiver parle d'une faculté qui se porte «très bien», et
dont l'un des défis de l'année à venir sera de bien concilier les axes de la
formation et de la recherche.
Innover en formation
Sur le thème de la formation, le doyen Lachiver rappelle que l'ensemble
des programmes de 1er cycle sont proposés au régime coopératif. Cela confère
aux étudiantes et étudiants un avantage marqué, puisqu'ils sont mieux
outillés pour le marché du travail. De plus, un 5e stage est maintenant
proposé dans le cheminement de plusieurs programmes, afin de bonifier
l'expérience terrain des étudiants.
Par ailleurs, la Faculté de génie vient d'ajouter un nouvel élément fort
au 1er cycle : tous les programmes comportent désormais un profil
international. Les étudiantes et étudiants peuvent ainsi passer jusqu'à une
année à l'étranger. «Actuellement, nous avons des partenariats surtout en
Europe, mais nous souhaitons aussi pouvoir placer des étudiants dans des
universités américaines, canadiennes ou mexicaines, explique Gérard Lachiver.
Une expérience à l'extérieur du Québec sera certainement un plus pour nos
diplômés.»
Parmi les autres nouveautés, les conditions d'admission ont été modifiées
«afin d'ouvrir certains programmes à d'autres familles d'étudiants», dit le
doyen. En décembre, une première cohorte d'étudiants aura terminé le nouveau
programme en génie biotechnologique, une première au Québec.
Aux 2e et 3e cycles, une forte augmentation du nombre d'inscriptions a
été constatée durant la dernière année. Là aussi des projets innovants ont
été initiés. Notamment, l'implantation du microprogramme en enrichissement
des compétences au doctorat en génie, sciences et médecine. Ce projet a été
piloté par le professeur Jean Nicolas, titulaire de la nouvelle Chaire pour
l'innovation dans la formation à la recherche dont la création a été
annoncée le 10 mai. (voir notre autre texte en page 7).
Hausse de la recherche
L'augmentation des activités aux cycles supérieurs coïncide avec une
hausse importante des activités de recherche. Ces dernières années,
plusieurs chaires ont été créées et de nouvelles verront le jour dans la
prochaine année. «Le dynamisme de la recherche est une manifestation de la
qualité du corps professoral, dit le doyen. D'importantes subventions
stratégiques ont été obtenues par des professeurs dans des concours réputés
difficiles. Notre taux de succès nous assure des ressources accrues et
supérieures à la moyenne. Nous mettons en place des initiatives qui vont
accélérer la capacité de mener de la recherche de qualité. Avec de nouvelles
infrastructures et de nouveaux professeurs, cela induit une augmentation de
demandes d'étudiants intéressés à venir chez nous. Tout cela génère plus
d'activité et plus de projets.» Cette croissance commande une attention
particulière et des analyses seront menées pour améliorer le parcours de
formation des chercheuses et chercheurs, dit Gérard Lachiver.
Un important défi de la direction de la faculté est également d'assurer
le renouvellement du corps professoral. Sur un horizon de cinq à dix ans,
25 % des professeurs devront être remplacés : une vingtaine d'entre eux
partiront à la retraite. «C'est à la fois un défi et une opportunité. Nous
aurons à recruter des jeunes qui vont arriver dans un contexte où les
orientations facultaires seront à définir correctement. Il faudra aussi les
aider à s'épanouir comme professeurs», dit le doyen.
À la croisée des chemins
Quand il aborde le développement de la Faculté de génie, Gérard Lachiver
parle de la nécessaire conciliation de deux tendances importantes. «La
première tendance vise d'abord la réussite de nos étudiants. Pour cela, nous
devons leur offrir un environnement d'études et de séjour de bonne qualité.
Les jeunes passent plusieurs années chez nous. Il faut donc tout mettre en
œuvre pour assurer leur succès et leur offrir une expérience de vie dont ils
vont se souvenir. Ultimement, on veut de plus en plus intéresser nos
étudiants à la recherche et aux études supérieures. D'un autre côté, on doit
aussi composer avec l'influence du modèle américain, beaucoup plus sensible
aux lois du marché, avec des programmes de formation qui sont très
professionnels. Le défi est de trouver une juste place entre ces deux
tendances», explique le doyen.
Il ajoute qu'il est assez facile de tomber dans les besoins immédiats du
marché et de répondre à des intérêts à court terme. «Or, poursuit-il, le
milieu dans lequel évoluent nos diplômés, c'est le monde entier. Ils doivent
développer des qualités personnelles qui vont bien au delà du simple fait
d'avoir un emploi. Bientôt, des pays émergents comme la Chine et l'Inde nous
feront concurrence dans des domaines comme le génie-conseil, par exemple.»
Avec un marché du travail qui devient mondial, les diplômés devront se
distinguer dans un environnement multiculturel et multilingue, c'est
pourquoi la dimension internationale – tout comme la recherche – compte
parmi les priorités facultaires.
Des recherches en lien avec l'industrie
Au cours des dernières années, la Faculté de génie a pu mettre sur pied
plusieurs chaires de recherche industrielles. Elle en compte présentement
quatre. Ce chiffre devrait pratiquement doubler d'ici deux ans. «On a
collectivement proposé des solutions innovatrices pour stimuler la recherche
avec des partenaires industriels, explique Gérard Lachiver. Le meilleur
exemple est la création du Parc innovation et le centre de technologie
avancée mis sur pied avec BRP. Nous avons convenu d'un mode d'opération et
d'un partenariat de cinq ans avec eux. Ce type de projet aura un effet
d'entraînement important pour la région.» Un projet semblable sera bientôt
dévoilé, glisse le doyen, qui se dit convaincu que de telles innovations
inciteront des étudiants à choisir l'Université de Sherbrooke.
Dynamisme étudiant
Gérard Lachiver a aussi de fort bons mots pour les étudiantes et
étudiants et leur enthousiasme évident. «On compte environ 140 étudiants au
baccalauréat impliqués dans des clubs comme le Mini Baja SAE, VAMUdeS ou les
canoë et toboggan de béton. Ils s'engagent autant dans des projets
humanitaires que techniques, par exemple en Amérique centrale et en Afrique.
Comme professeur, c'est très motivant d'avoir des jeunes qui nous poussent
dans le dos et qui atteignent des niveaux de réalisation remarquables. Tous
ces projets ont un effet d'émulation très constructif. Ces jeunes
comprennent que le métier d'ingénieur compte de nombreuses dimensions, comme
le sens des affaires, les communications ou le travail d'équipe. Il y a de
quoi être fier des succès tangibles de nos étudiants», conclut-il.
Enjeux d'actualité
En complément du texte ci-dessus, nous avons profité de l'entrevue
avec le doyen Lachiver pour aborder quelques sujets d'actualité qui
concernent certaines des spécialités de la Faculté de génie.
Liaison
: Pourquoi le Québec ne fait-il plus de grands chantiers?
Gérard Lachiver : D'une part, la conscience environnementale a
pris une place importante. Les gens craignent les impacts visuels ou les
effets sur la qualité de vie de certains projets, ce qui refroidit les
volontés politiques. Mais surtout, les Québécois ont été échaudés depuis
quelques années par des projets qui ont été très mal pilotés, et dont
les coûts ont été faramineux. On n'a qu'à penser au métro à Laval, au
CHUM ou au stade olympique. La façon de rattraper ça et d'initier de
grands projets sera de prôner le développement environnemental et des
réalisations responsables. Bref, de baser nos développements sur des
solutions propres. Ces technologies seront plus facilement acceptées par
la population.
Liaison
: Nos infrastructures routières sont en piètre état. Est-ce que ce
problème constitue une bombe à retardement?
G. Lachiver :
C'est un problème qui est déjà bien présent. Il y a eu des coupures
budgétaires énormes, et la maintenance des ouvrages est clairement
insuffisante. Le problème n'est pas qu'on construit plus mal au Québec :
la province exporte sa technologie. Le hic, c'est que l'entretien des
ouvrages est souvent reporté dans les priorités. Plus on attend pour
affronter ce problème, plus la solution sera coûteuse.
Liaison
: Pourquoi nos routes sont-elles si cabossées et parsemées de
nids-de-poule? Est-ce uniquement la faute du climat?
G. Lachiver :
Mes collègues spécialistes de la question vous diront qu'on a choisi de
construire des routes en asphalte plutôt qu'en béton. Le béton coûte
plus cher à l'installation, mais il est bien moins cher en entretien à
long terme. Les provinces et les États voisins construisent des routes
avec de meilleures fondations. Bref, le problème des nids-de-poule
pourrait être solutionné, mais ce n'est pas une priorité. On a vu aux
dernières élections provinciales que personne ne se préoccupait
réellement de notre patrimoine d'infrastructure routière.
Liaison
: Est-ce que le génie évolue à la même vitesse que les mentalités et les
besoins de la société? Parfois on dirait que les inventions arrivent
trop tôt pour le public; en revanche, des solutions espérées tardent à
être trouvées…
G. Lachiver :
Si on parle d'innovation technique, l'avancement des connaissances
évolue de plus en plus vite. Il est vrai que le public n'est pas
toujours prêt à adopter des technologies nouvelles, tout simplement
parce qu'il n'en a pas besoin. On a beau proposer des téléphones
multifonctions ou des magnétoscopes très sophistiqués, plusieurs
n'utiliseront que les fonctions
play et
record.
Aux 19e et 20e siècles, la technologie répondait à des besoins
fondamentaux (en énergie, en transport ou en communications).
Aujourd'hui les besoins sont plus diffus. Certaines inventions ont un
impact sur la qualité de vie et d'autres pas. Une prothèse en titane
peut changer la vie d'une personne; un câble de vélo en titane, c'est
moins sûr.
Liaison :
Sherbrooke s'est lancée dans une réflexion pour relancer son économie,
et ce, à l'enseigne de l'innovation. Qu'est-ce qui peut être fait pour
atteindre le statut de pôle d'innovation reconnu?
G. Lachiver :
Prenons l'exemple de la ville de Québec. En 20 ans, la capitale s'est
dotée d'un parc industriel imposant réunissant des industries
pharmaceutique et optique, et de haute technologie. Dans les années 80,
Québec cherchait à se sortir de l'étiquette de «ville de
fonctionnaires». Les acteurs économiques ont développé un parc
technologique. Ils ont su créer un environnement où il y a de la
main-d'œuvre qualifiée et des emplois diversifiés pour que deux
conjoints puissent travailler. Tout cela s'est construit à petits pas.
Les investisseurs ne viendront pas chez nous uniquement parce que
Sherbrooke s'annonce comme ville de l'innovation. Cependant, le succès
attire le succès. Le Parc innovation qui vient d'être lancé pourrait
attirer une masse critique de gens. Il y aura un premier bâtiment, puis
deux, puis trois. Plus tard, on pourra dire, venez, on va vous montrer
ce que veut dire «faire de l'innovation»; ce que veut dire «travailler
en partenariat avec l'Université». Souvent, les PME ne savent pas
comment y parvenir. C'est une culture qui doit être implantée dans le
sillage du Parc innovation. Ultimement, cela peut nous conduire vers une
niche de bons emplois bien rémunérés qui contribuera à une meilleure
qualité de vie dans la région. |
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