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Tournée des facultés
Entrevue avec le doyen de la Faculté d'administration
«Consolider et continuer de développer la recherche»
– Roger Noël
Propos recueillis par ROBIN RENAUD
La Faculté d'administration a connu un fort développement ces dernières
années. Les activités de recherche ont explosé, tandis que le nombre de
professeurs a doublé depuis cinq ans, passant de 40 à 80. Une croissance
rapide qui commande maintenant un certain répit et qui appelle l'équipe de
la direction à tabler sur les acquis. À l'aube de son second mandat, le
doyen Roger Noël et son équipe ont amorcé une phase de consolidation, tout
en avançant quelques nouveaux projets au cours des prochains mois, notamment
sur la scène internationale.
Du côté international
Le premier de ces projets est la concrétisation d'un nouveau programme de
MBA pour cadres en exercice à Alger. «La création d'un tel programme nous a
été demandée par le gouvernement algérien et la Sonatrac, compagnie
nationale des pétroles de ce pays. Le programme que nous proposerons vise à
former des cadres dans les domaines du pétrole, de l'énergie, de la banque
et des assurances», dit le doyen. Il ajoute que ce programme reprendra une
structure similaire au MBA pour cadres en exercice qui existe chez nous,
mais qu'il sera adapté à la réalité des affaires en Algérie.
La Faculté d'administration est aussi à la recherche d'un partenaire
européen pour réaliser un nouveau projet de partenariat à l'étranger. Le
doyen évoque la création d'un programme bipartite de 1er cycle,
dans un contexte international de gestion. «Il ne s'agirait pas d'un
programme international à proprement parler puisqu'on ne prévoit pas
d'enseignement portant sur l'ensemble des régions du monde, nuance-t-il. On
souhaite plutôt que les étudiants puissent se familiariser à deux contextes
précis, soit l'espace nord-américain, en recevant la formation chez nous, et
l'espace européen, en suivant la formation là-bas.» Le doyen explique par
ailleurs que l'établissement d'un tel programme comporte certaines
difficultés, puisque les étudiants étrangers sont généralement plus nombreux
à vouloir venir chez nous que l'inverse. «Dans certaines spécialités comme
la comptabilité, nos étudiants n'ont pas vraiment l'intérêt d'aller passer
une session en Europe, parce que les notions qu'ils y apprennent ne seront
pas liées directement à leur pratique professionnelle ici. Il faut donc
trouver un créneau où la formation sera attirante. Ce pourrait être le cas
en management ou en gestion générale», explique le doyen. Il ajoute que le
projet à l'étude prévoit la double diplomation des finissants.
La recherche
L'arrivée d'une quarantaine de nouveaux professeurs ces dernières années
a eu un effet d'entraînement sur la croissance des activités de recherche.
«Il y a encore 10 ou 15 ans, nous étions perçus comme une école
d'administration. Le développement du programme de DBA et l'arrivée de
jeunes professeurs, la plupart titulaires de doctorats, a propulsé la
recherche au premier plan à la Faculté. Cette situation a entraîné une
activité débordante en recherche, et il faut maintenant stabiliser le tout
avant de pousser plus loin le développement», dit Roger Noël. Pour mettre en
relief cette croissance, le doyen rappelle qu'il y a six ans, la Faculté
d'administration ne comptait que trois chaires de recherche. «Nous allons
bientôt annoncer une 9e chaire, enchaîne-t-il. C'est emballant,
mais cela génère des contraintes pour l'organisation du travail. Les
chercheurs ont moins de temps pour enseigner, il faut voir à ce que les
activités se fassent dans un cadre éthique, et les professeurs doivent
continuer de consacrer du temps à leurs étudiantes et étudiants», dit le
doyen.
Roger Noël ne cache pas que l'Université de Sherbrooke n'a pas le bagage
historique d'institutions centenaires comme l'Université Laval ou les HEC,
mais déjà, la Faculté d'administration se distingue en occupant des créneaux
que les autres n'ont pas investis. C'est le cas avec les chaires de
recherche sur l'intégrité financière, la fiscalité ou la gestion du
développement durable. «Nous avons aussi des projets pour développer le
secteur de la
business intelligence, incluant la veille stratégique permettant
de prévenir les contrecoups de l'économie et d'aider des décideurs à mieux
se préparer à certains événements qui marquent le monde des affaires, dit
Roger Nöel. L'idée serait de rendre ces outils disponibles à de plus petites
organisations. En France, la Touraine a réussi à se doter d'un tel réseau,
et les résultats sont très concluants.»
Programmes à renouveler
Fidèle à sa réputation, la Faculté d'administration souhaite continuer
d'offrir des programmes de formation bien arrimés aux besoins de la société.
Selon le doyen, certains programmes actuels pourraient être bonifiés. C'est
le cas de diplômes d'études supérieures spécialisées – des programmes de
30 crédits au 2e cycle – qui pourraient éventuellement conduire au grade de
maîtrise. «Nous envisageons cela pour les programmes en audit et gouvernance
des technologies ainsi qu'en lutte contre la criminalité financière»,
laisse-t-il entendre. Des programmes en gestion de l'innovation et en veille
économique sont aussi sur la planche à dessin. Cependant, le doyen réitère
que son administration entend mettre la pédale douce en ce qui a trait au
développement : «L'an dernier, nous avons eu beaucoup d'absences pour
maladie et nous avons dû prendre une pause. Il faut certes proposer des
projets stimulants, mais sans surcharger nos équipes. La croissance des
dernières années a commandé beaucoup d'investissement et d'énergie de la
part des gens en place, et il faut continuer d'en être conscient.»
Une touche qui fait la différence
Selon Roger Noël, la Faculté d'administration continue de se distinguer
et d'attirer son lot d'inscriptions en raison de sa bonne réputation auprès
des étudiantes et étudiants. «Nous proposons une approche très pragmatique
et très collée à la réalité du terrain. Cela transparaît dans nos secteurs
de recherche, qui sont très liés aux besoins actuels de la société»,
indique-t-il. Cette volonté d'être près du terrain se ressent également dans
l'ambiance qui règne à la Faculté. «Ce qui nous distingue avant tout, c'est
l'encadrement que nous offrons à nos étudiantes et étudiants. Nos
professeurs y accordent une très grande importance. Nous avons des groupes
classes d'environ 50 à 55 étudiants au 1er cycle, ce qui est souvent la
moitié moins que d'autres institutions. En 2e année, les groupes oscillent
entre 35 et 40 personnes, alors qu'en 3e année, c'est environ 25 à 40. De
cette façon, on peut affirmer sans exagérer que nos professeurs connaissent
les étudiants par leur prénom», dit fièrement le doyen.
Enjeux d'actualité en administration
L'économie et l'administration publique ainsi que le partage de la
richesse sont des enjeux qui occupent une place de choix dans les débats
sociaux. Ces dernières années, des scandales ont éclaté, soulevant du
même coup des questions éthiques sur la saine gestion et ses mécanismes
de contrôle. En complément au texte ci-dessus, nous avons demandé au
doyen Roger Noël de commenter quelques enjeux touchant les domaines
d'études des spécialistes de la Faculté d'administration.
Liaison
: Les banques font-elles trop de profits?
Roger Noël :
Les banques font beaucoup de profits. Trop? Ça dépend. Si on regarde le
retour sur le capital, c'est correct. Si on regarde comment les banques
vont chercher l'argent pour le service qu'elles donnent en retour, c'est
trop.
Liaison :
L'éthique est-elle une dimension importante dans les cheminements
offerts à la Faculté d'administration?
R. Noël :
L'éthique est une notion importante pour tout le monde. Certains diront
que ce n'est pas une question de vie ou de mort, mais retenez que le
manque d'éthique peut affecter le confort d'une personne pendant
30 ou 40 ans, comme par exemple, le scandale Norbourg, qui affecte les
petits épargnants. Que ce soit en comptabilité, en marketing, en finance
ou en gestion des ressources humaines, l'éthique est une prémisse pour
bien fonctionner. La Faculté d'administration se préoccupe grandement de
l'éthique, notamment avec ses programmes en lutte à la criminalité
financière ainsi qu'en contrôle d'audit et gouvernance des technologies.
Liaison : Y
a-t-il davantage de cas de fraude ces dernières années, ou les cas
rapportés sont-ils simplement plus spectaculaires?
R. Noël :
Il y en a toujours eu. Il y a 40 ans, un scandale relié aux fonds
mutuels avait éclaté à New York. C'était à l'époque une fraude de
plusieurs centaines de millions de dollars. Le scandale Enron
aujourd'hui paraît plus gros, mais c'est essentiellement le même type de
crime. De plus en plus, les gens sont bien formés et les modèles
financiers sont de plus en plus complexes. Certaines personnes ont du
génie qu'ils utilisent à mauvais escient. Le monde de la finance
comporte une gestion très complexe qui permet parfois des écarts. Si
quelqu'un manque de vigilance dans la chaîne de décision, il peut
survenir des fraudes colossales.
Liaison :
Face aux délocalisations, aux fusions d'entreprises et aux licenciements
massifs, quelle place occupe l'humain dans le monde économique?
R. Noël : Je vais vous soumettre une réponse à deux volets.
Premièrement, l'humain est aujourd'hui synonyme de ressources. Un
employé qui possède une compétence à valeur ajoutée devient une richesse
pour l'entreprise et pour la société. Les problèmes surviennent au sein
d'usines de transformation où l'on vit une forte compétition. Pour
survivre et garder des produits à prix compétitifs, les manufacturiers
doivent délocaliser la production qui requiert des gens moins
spécialisés. Par exemple, BRP a délocalisé la fabrication de VTT au
Mexique; 800 personnes ont perdu leur emploi. Sans cela, l'entreprise
perdait toute rentabilité et risquait la fermeture complète de la
division. C'est pourquoi il faut créer ici des postes à valeur ajoutée
mieux rémunérés, que ce soit en design ou en recherche et développement.
J'arrive au 2e volet de ma réponse. Il faut clairement passer le message
que nos futurs emplois exigeront plus de connaissances et de
compétences. Il faut que les décrocheurs en soient conscients.
Actuellement, une large part de la population n'est pas prête à répondre
aux besoins du marché du travail. C'est un message que les parents
doivent aussi passer à leurs enfants.
Liaison :
Face à la mondialisation, est-ce que le Québec va forcément connaître
des années de vaches maigres et vivre des ajustements difficiles en
termes d'économie?
R. Noël :
La mondialisation représente à la fois un danger et une opportunité. Le
danger est toujours un élément qui nous pousse à faire mieux. C'est le
même phénomène qu'en finance : lorsqu'il n'y a pas de risque, il n'y a
pas d'occasion de profit. En revanche, plus c'est risqué, plus les
possibilités de gain sont élevées. Il faut donc trouver comment faire
face correctement à la mondialisation. Or on constate qu'il manque de
gens compétents. Face aux règles du marché, la société doit réagir en
termes de stratégie et de formation, afin de créer des emplois en
innovation. Il est certain que la mondialisation va créer des emplois.
Les Chinois veulent déjà acheter des autos de luxe. On estime que
250 millions de Chinois disposent d'un avoir net de 50 000 $. C'est donc
un marché rempli de possibilités, mais il faut cependant savoir gérer la
transition. En ce sens, mieux vaut contrôler le changement que le subir.
Je vous donne un exemple d'initiative gagnante. La compagnie BRP a pris
d'assaut le marché de la Russie. Là-bas, la motoneige est un produit
glamour.
Pour gagner ce marché, BRP et ses partenaires ont créé des sentiers
balisés de motoneige. Une initiative qui rapporte gros dans ce marché en
expansion. |
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