Documentaire de James Cameron
Le tombeau de Jésus
Un film qui suscite intérêt et scepticisme
Propos recueillis par SANDRA BOISSÉ
Une thèse selon laquelle un des ossuaires découverts en 1980 au sud de
Jérusalem aurait pu contenir les os de Jésus a semé la controverse la
semaine dernière. Pourtant vieille de près de 30 ans, cette théorie a été
«ressuscitée» par James Cameron avec son documentaire
The Lost Tomb of Jesus.
Nous avons questionné Rodolfo Felices sur le sujet. Professeur associé à
la Faculté de théologie, d'éthique et de philosophie, Rodolfo Felices est
exégète du Nouveau Testament. Il concentre ses recherches sur les questions
d'interprétation des textes bibliques en lien avec l'histoire, entre autres,
à la signification théologique de la résurrection et à l'hypothèse que Jésus
ait été marié.
Liaison
: La semaine dernière, la diffusion du documentaire réalisé par James
Cameron a suscité bien des réactions. Comment, en tant qu'exégète,
réagissez-vous à ce genre de nouvelle?
Rofolfo Felices : Avec beaucoup d'intérêt et de scepticisme à la
fois. Les découvertes archéologiques sont une mine d'information sur le
passé et, en tant que chercheur, je suis toujours passionné de pouvoir en
apprendre plus. Cependant, tout ce qui brille n'est pas or. Dans le cas des
ossuaires de Talpiot, je doute fort que nous soyons en présence d'autre
chose que des reliques d'une famille juive inconnue par ailleurs. D'un point
de vue strictement scientifique, rien n'autorise à identifier ces restes à
ceux de Jésus de Nazareth, de Marie-Madeleine ou d'un fils de leur union.
Liaison
: Croyez-vous qu'après le grand succès entourant le
Code Da Vinci,
de même qu'après quelques polémiques entourant le christianisme, ce nouveau
documentaire viendra ébranler davantage nos croyances?
R.
Felices : Le documentaire de
James Cameron et Simcha Jacobovici paraît presque 30 ans après la découverte
des ossuaires, mais quelques mois à peine après la sortie du film
Da Vinci Code, en pleine
controverse suscitée par le roman à succès. Ceux et celles qui auront
accordé quelque crédit aux hypothèses romanesques de Dan Brown seront tentés
de voir dans les ossuaires une confirmation matérielle de leurs croyances.
Cela arrive à point nommé pour eux… et les producteurs du documentaire
tablent sans doute sur la rentabilité d'offrir de telles «preuves» en ce
moment. L'impact de pareil coup médiatique sur les croyances populaires
dépend de la naïveté ou de l'esprit critique de la population.
Liaison
: Comment évaluez-vous justement la sensibilité des gens face à ce genre
d'hypothèses?
R. Felices :
Je pense que l'esprit de nos contemporains se méfie des dogmes et des
vérités incontestées. Cela témoigne d'une émancipation de la raison dont
nous devrions nous réjouir. À l'affût de nouveaux éléments pouvant expliquer
autrement la tradition, les gens sont friands de controverse. Cela met du
piquant dans la routine et colore la banalité du quotidien. Cependant, pour
démentir une donnée bien établie, cela prend des preuves solides. Ce serait
ridicule de quitter un certain dogmatisme pour en épouser un autre…
Liaison
: Pourquoi, depuis plusieurs années, on tente de plus en plus d'attacher un
caractère très «terrestre» à Jésus?
R. Felices :
La théologie traditionnelle a beaucoup insisté sur la divinité du
Christ, au détriment de son humanité. Ce n'est que le juste retour du
balancier si depuis quelques décennies l'homme Jésus nous captive. De plus,
dans une société séculière, multiculturelle, où plusieurs croyances et
incroyances se côtoient, le Nazaréen, pris comme un grand homme de
l'histoire, intéresse et inspire un plus grand nombre de personnes. C'est
heureux que l'on s'intéresse au Jésus historique, quelles que soient nos
convictions!
Liaison
: Qu'on y croie ou non, toute cette polémique donne à réfléchir.
Qu'adviendrait-il de la foi chrétienne si toutes ces affirmations venaient à
être prouvées? Le dogme de la résurrection serait-il complètement détruit?
R.
Felices : Cela dépend de
comment nous concevons la résurrection. Si nous y voyons la réanimation d'un
cadavre, il est évident que l'identification éventuelle des supposés restes
de Jésus contredirait une telle croyance. Mais justement, le Nouveau
Testament chrétien ne conçoit pas la résurrection comme un fait charnel.
Saint Paul se moque des Corinthiens qui lui demandent «Avec quel corps les
morts ressuscitent-ils?» (1 Cor 15, 35-53). Il prend l'analogie du grain qui
meurt pour laisser place à une nouvelle pousse. La résurrection préserve
l'identité de l'individu, qui subit cependant une transformation radicale :
une sorte de naissance à une nouvelle vie, dans une autre dimension de
l'existence. À court de termes appropriés pour signifier cette réalité
d'outre-tombe, Paul parle d'un «corps spirituel».
Liaison
: Et si preuve était faite que Jésus avait été marié?
R. Felices :
La preuve d'une improbable vie maritale de Jésus, c'est là aussi un
scandale moderne, étranger à la foi biblique. Le Nouveau Testament
n'interdit absolument pas le célibat de Jésus. Les Évangiles n'abordent pas
le sujet parce que la foi qu'ils proposent n'est surtout pas basée sur des
liens familiaux ou sanguins. Que nous devenions frères et sœurs de Jésus,
voilà qui les intéresse! Quant à savoir si l'homme de Nazareth s'est marié
ou pas, s'il a eu des enfants ou pas, les évangélistes n'en ont rien à
cirer. S'ils n'en parlent pas, c'est probablement parce que leurs sources ne
le signalaient pas. Devant un tel silence des sources, on a donc véhiculé
l'histoire d'un homme célibataire…
Bref, pour ceux et celles qui trouvent l'inspiration de leur foi dans les
textes bibliques, l'improbable trouvaille des restes de Jésus n'empêcherait
pas la croyance dans une vie au delà de la mort, ni donc la foi chrétienne.
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