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Liaison : 40 ans d'actualité
1979 : Le projet Enerbois face au choc pétrolier
Au tournant des
années 80, alors que sévit une importante crise énergétique, un projet
pilote est envisagé à l'Université afin de trouver des alternatives à la
consommation de mazout. Le but du projet est de brûler les stocks de bois
résiduels qui peuvent être disponibles dans la région de l'Estrie, tout en
cherchant des moyens de maximiser l'efficacité énergétique de ce
combustible. Au chapitre de l'environnement, le projet visait également à
donner un coup de pouce aux producteurs de bois. On leur permettait de mieux
aménager la forêt en les débarrassant des espèces moins rentables. Voici ce
que les lecteurs de
Liaison
pouvaient lire en 1979.
Brûler du bois pour en récupérer toute son énergie est évidemment moins
dispendieux que du mazout.
Ce truisme, aillé à l'énorme quantité de bois inutilisée en Estrie, est à
la base du projet Enerbois, projet qui sera réalisé au cours des prochains
mois par le groupe d'énergie de l'Université dirigé par le professeur
Esteban Chornet, docteur en génie chimique. Il permettra à la chaufferie de
l'Université de Sherbrooke de consommer du bois, remplaçant ainsi une partie
du mazout utilisé.
Subventionné par la Direction générale de l'énergie du ministère des
Ressources naturelles (50 000 $), le Syndicat des producteurs de bois de
l'Estrie et l'Université de Sherbrooke, Enerbois est une étude des
différentes solutions de rechange que le groupe d'énergie doit analyser une
à une compte tenu des facteurs économiques. Faut-il le pulvériser avant de
le brûler, l'envoyer en gaz dans les chaudières existantes ou dans des
chaudières modifiées... telle est, en substance, l'étude.
«Au préalable, explique le professeur Chornet, on a demandé à un groupe
de chercheurs de l'Université d'examiner s'il y avait quelques applications
potentielles pour le bois non commercial de la région. J'ai suggéré, à cause
de la crise énergétique qui prévaut, d'analyser la possibilité de
transformer ce bois en source d'énergie directe ou indirecte. Un premier
projet, dans le cadre d'ENFOR (Energie Forêt), a été refusé par le
gouvernement fédéral, non à cause de sa non-applicabilité, mais plutôt à
cause de la qualité des projets qui lui faisaient concurrence. Ensuite,
c'est à Québec, à la Direction générale de l'énergie, qu'un autre projet,
Enerbois, a refait surface. C'est une étude de possibilité de production
d'une partie de nos besoins énergétiques dans la chaufferie de l'Université
de Sherbrooke moyennant l'utilisation du bols», ajoute le professeur Chornet.
Actuellement, la chaufferie consomme un million et demi de gallons de
mazout annuellement, ce qui représente une jolie facture (sans compter que
les prix sont à la hausse).
A priori,
ça ne me semble pas une bêtise économique d'aller à une réalisation totale
du projet. Cependant pour prouver les points technologique et économique on
débutera par une première phase qui vise une analyse méthodique des
possibilités, des alternatives technologiques, pour atteindre notre
objectif, c'est-à-dire remplacer partiellement le mazout par le bois. (…)
Le projet se référera, par soumission, à un groupe d'ingénieurs-conseils
du Québec, de façon à ce que l'expertise ne soit pas uniquement
universitaire, mais rayonne sur le Québec tout entier.
Si cette étude s'avère intéressante, et les réponses
a priori sont
justifiables, la deuxième phase sera déclenchée. On procédera alors à un
design définitif d'une installation qui sera considérée comme prototype.
S'ensuivra la troisième phase, soit la construction et la mise en service
pendant une année, de ce prototype. L'Université agirait alors comme centre
de démonstration de ce type de technologie, de dire le professeur Chornet.
L'Université, sa chaufferie plus précisément, serait un grand laboratoire
de démonstration. Le projet vise à remplacer systématiquement 20 à 25 % du
mazout par du bois. Les opérations consistent à aller chercher le bois, à le
préparer convenablement (comment? l'étude le dira), à le stocker et à le
transformer directement ou indirectement... Enerbois analyse la possibilité
d'utiliser le potentiel forestier de la région comme source énergétique pour
le marché institutionnel, donc de créer une situation économique
d'exploitation des forêts, de préparation du bois, de transformation qui
serait tout à fait nouvelle car à l'heure actuelle rien du genre n'est
utilisé.
«Une substitution totale du mazout est impensable. Mais par contre il est
possible, si je transforme mon intuition en chiffres, d'aller chercher de
20 à 25 % de nos besoins énergétiques dans le bois», ajoute le professeur
Chornet. Cette solution permettrait une économie annuelle de 300 000 à
400 000 gallons, soit entre 250 000 $ et 300 000 $. «Pas une économie,
spécifie le professeur Chornet, mais plutôt une injection financière du même
ordre dans la région.»
Il ne faut surtout pas penser, dans la vie courante, à une substitution
totale du mazout par le bois. Le combustible (gaz, propane, pétrole ou
mazout) est là pour demeurer. «Dans les maisons? Non. Je ne le pense pas.
Les combustibles actuels sont excellents, occupent peu de place et ont un
réseau de distribution bien établi. Il n'y a pas vraiment (actuellement)
d'application possible dans le petit marché. On peut déjà mettre 15 %
d'alcool dans les moteurs des voitures sans changer la performance. Au-delà
de 15 %, les changements de performances se font sentir. Je cite le cas de
l'alcool, mais on pourrait éventuellement produire des hydrocarbures sans
passer directement par l'alcool.»
Dans 20 ans, 30 ans peut-être, de tels mélanges seront nécessaires, car
les ressources de pétrole ne sont pas intarissables. Les nouvelles
découvertes de nappes de pétrole ne font que retarder l'échéance. On sait,
d'ores et déjà, qu'il faut s'orienter vers des ressources renouvelables.
Le bois ne sera jamais en fait un substitut complet. Même au Canada nous
ne pourrions l'utiliser parce qu'il n'y en a pas assez. «Au Québec, nous
visons que 2 % de nos énergies proviennent de ressources renouvelables d'ici
les années 90, enchaîne le professeur Chornet. Ceci implique qu'environ 3 %
de nos hydrocarbures seront, en fait, remplacés par le bois d'une part et la
tourbe également.»
Ce projet est un élément important dans le renouvellement du bois. En
extirpant des forêts les mauvaises essences, il sera désormais possible, si
Enerbois se révèle concluant et rentable, de former une sylviculture
intelligente.
«On peut certes faire une démonstration intéressante avec
Enerbois au niveau de la chaufferie, mais le projet aurait des répercussions
fort importantes au niveau de l'aménagement forestier de la région», de
conclure Esteban Chornet.
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