Plus que jamais, les spécialistes de la Faculté de théologie, d'éthique et
de philosophie (FATEP) sont appelés à intervenir sur la place publique,
estime le doyen Marc Dumas. Son équipe mène depuis plus de deux ans un vaste
chantier afin de rendre les programmes de formation encore mieux ciblés pour
les besoins de la collectivité. Parallèlement, le doyen mise sur les
collaborations interfacultaires pour développer sa faculté. Mieux
déployer les programmes
Après les années intenses de développement, une importante
restructuration facultaire a été entreprise depuis plus de deux ans pour
reconfigurer l'offre de formation de la FATEP. «On imagine souvent la
théologie comme une discipline réservée aux religieuses et aux futurs
prêtres; on l'imagine empoussiérée et cléricale, alors qu'elle est
dynamique, ouverte et à l'écoute de la vie et du réel. C'est ce qui avait
conduit à jumeler les activités du département de philosophie à celles de la
faculté. Or, la création de la FATEP a entraîné une stratégie de
développement tout azimut. Plusieurs projets ont été mis en marche.
Actuellement, nous devons valider si on doit ou non continuer certains
partenariats», dit le doyen Dumas. Il précise du même souffle que la FATEP
souhaite continuer de se développer et qu'il ne faut pas voir dans cette
remise en question un recul.
«Notre but est de mieux comprendre notre identité et notre orientation.
Il faut davantage cibler notre développement. Nous comptons ajuster nos
programmes pour qu'ils répondent davantage aux personnes qu'ils attirent.
Par exemple, nous offrions une maîtrise en théologie et en anthropologie
spirituelle. Or, on s'est aperçu qu'un microprogramme et un diplôme de 2e
cycle en formation continue correspondaient davantage à ce que les gens
recherchent. Nous avions un programme original dans le réseau québécois,
mais il était proposé dans le mauvais contenant, ce qui frustrait nos
étudiants, qui n'étaient pas nécessairement disposés à suivre un cheminement
maîtrise avec un essai», explique le doyen.
La Faculté a également décidé de miser sur des programmes offerts en
partenariat pour assurer son développement. Avec quatre autres facultés,
elle prévoit bientôt offrir une maîtrise en intervention interculturelle.
«Il s'agirait d'un mastère international interculturel proposé en
association avec les facultés des Lettres et sciences humaines, d'Éducation,
de Droit et d'Administration. Cela permettrait d'aborder différents points
de vue pour mieux intervenir dans des problèmes interculturels. Avec ce
projet, la FATEP a renoncé à certains de ses propres programmes. Mais je
fais le pari que nous deviendrons plus forts en nous associant aux autres»,
dit Marc Dumas.
Étudier le religieux contemporain
La création de programmes entièrement nouveaux est également à l'agenda
de la FATEP. Sous réserve d'approbation ministérielle, la Faculté doit
bientôt offrir un doctorat en études du religieux contemporain. À la
différence des doctorats disciplinaires (en théologie ou philosophie, par
exemple), il s'agirait d'un doctorat thématique, unique au Québec.
«Si on regarde ce qui a nourri l'actualité des derniers mois, on constate
l'importance que prend le religieux dans la société, avec les cas
d'accommodements raisonnables, comme l'histoire du YMCA, le port du hidjab
ou du kirpan. Le SODRUS, qui regroupe des spécialistes de la Faculté de
droit et de la FATEP, est déjà habilité à étudier comment s'intègrent les
gens de différentes communautés ethniques et religieuses chez nous.
L'originalité de notre programme sera de dessiner les nouvelles trajectoires
du religieux contemporain dans la société», explique Marc Dumas.
Ce programme aura donc recours à une équipe interdisciplinaire et
s'adressera à des gens également issus de différentes spécialités. «De plus
en plus de gens sont intéressés par le religieux contemporain, dit le doyen.
Autrefois très institutionnalisé et organisé, le religieux devient
aujourd'hui beaucoup plus individuel, moins dogmatique. On croit pouvoir
attirer des étudiants provenant de divers domaines : des gens de
communications, de ministères, du réseau de la santé. Le programme doit
susciter une réflexion articulée interdisciplinaire. Cela peut inclure
également le milieu ecclésial intéressé à trouver des moyens de redire
l'Évangile dans les nouvelles conditions sociales.»
La mise en place d'un tel programme permettra à l'UdeS d'être vraiment
novatrice. Au pays, seules les universités ontariennes de Queens à Kingston
et Wilfrid Laurier à Waterloo ont des programmes de ce type. «Notre
intention est de bien arrimer la recherche à l'action sur le terrain et à
l'enseignement. Cela dit, nous allons continuer d'offrir le doctorat en
théologie (en extension avec l'Université Laval) aux intéressés. Nous
souhaitons simplement offrir un créneau original au Québec», précise le
doyen de la FATEP.
L'éthique comme formation transversale
Au cours des 10 dernières années, les programmes de formation en éthique
ont occupé une place de plus en plus importante à la Faculté. Ces programmes
amènent les étudiantes et étudiants à développer leurs capacités d'analyse,
pour ensuite proposer une intervention face à des situations complexes.
Certains de ces programmes s'adressent à des professionnels de divers
milieux de travail. «Nous formons notamment des policiers ainsi que des
fonctionnaires de certains ministères, bref, des gens qui sont confrontés à
des problématiques spécifiques, explique le doyen. Cela répond à la volonté
de la Faculté de travailler en expérience, sur le terrain.» Partant de cet
exemple, Marc Dumas exprime le souhait de voir sa faculté offrir
éventuellement des cours d'éthique comme formation transversale à l'ensemble
des facultés de l'Université.
Il évoque que l'UdeS pourrait se donner une couleur particulière si elle
décidait d'offrir des cours d'éthique dans ses divers programmes, à l'image
d'universités américaines qui rendent obligatoires des cours de philosophie
: «Que ce soit pour les médecins, les avocats ou les ingénieurs, l'éthique
est une formation qui donnerait une valeur ajoutée à leur bagage
académique.»
Au sujet des programmes en éthique, Marc Dumas signale qu'à Longueuil, la
Faculté souhaite relancer la Chaire d'éthique appliquée. Des nouvelles sont
attendues quant au financement des activités. La FATEP est également en lien
avec le Centre universitaire de formation continue afin de s'ouvrir à
d'autres types de clientèles dans des formations non créditées.
Le luxe de réfléchir
En redéployant ses programmes, la FATEP souhaite se donner les moyens de
renforcer ses programmes de formation fondamentale, et éventuellement,
attirer plus d'étudiants.
«Comme je l'ai dit à la collation des grades, nous accueillons des
étudiants courageux qui s'offrent le luxe de réfléchir. Peu de gens savent
toutefois qu'on trouve de nos diplômés dans les médias, en politique, dans
la fonction publique, dans le monde hospitalier. Ils ont en commun d'être
des gens qui ont appris à gérer et à penser. La théologie, l'éthique et la
philosophie sont des disciplines fondamentales pour aborder et comprendre le
monde dans lequel on vit» , conclut le doyen.
Enjeux d'actualité
En complément au texte ci-dessus, nous avons demandé au doyen Marc
Dumas de commenter quelques enjeux sociaux touchant le domaine
d'intervention des spécialistes de la Faculté de théologie, d'éthique et
de philosophie.
Liaison : La société québécoise va-t-elle trop loin avec les
accommodements raisonnables qu'elle accorde à certaines communautés?
Marc Dumas : On a vu dans les derniers mois des exemples
d'accommodements qui sont non raisonnables. Dans plusieurs cas, c'est
exagéré, on dépasse les bornes dans les exigences. Il semble qu'on
devient gêné de s'afficher comme croyant dans notre propre société, on a
peur de souhaiter Joyeux Noël pour ne pas offenser certaines personnes.
Nous y voyons là certainement un malaise à gérer la différence, ce qui
nous conduit à prendre des décisions discutables.
Liaison : Les Québécois semblent avoir peur du débat. Pourquoi
débattons-nous si peu? Est-ce que les intellectuels sont suffisamment
présents dans les grands débats sociaux?
M. Dumas : Quand une personne provoque un débat, elle est
souvent considérée comme «hérétique». Une telle personne dérange,
provoque, bref remet en question la pensée commune. Il y a quelques
personnalités en vue qui soulèvent des questions, comme par exemple
Denise Bombardier, mais c'est toujours une minorité. Plusieurs préfèrent
se taire au nom d'une société ouverte et tolérante. Je crois que
plusieurs intellectuels restent à l'écart du débat public en raison de
ce que je perçois comme un problème de la surspécialisation des gens.
S'ils ne maîtrisent pas parfaitement une question, ils refusent de
l'aborder publiquement.
Enfin, on constate aussi une certaine gêne des gens à entrer en
débat. Le Québécois a de la difficulté à dissocier sa pensée de sa
personne. Les gens craignent d'être détestés personnellement s'ils
avancent des idées controversées.
Liaison : Que pensez-vous de l'enseignement des grandes religions
au primaire et au secondaire?
M. Dumas : La difficulté est de savoir jusqu'à quel point les
enfants auront l'occasion de découvrir leurs propres racines religieuses
dans un tel cadre. Si tout est présenté sur un pied d'égalité et de
manière superficielle, les jeunes auront-ils des repères pour comprendre
l'univers dans lequel ils vont grandir? Se couper de ses racines n'est
jamais très bon pour faire un arbre fort. Certes, les jeunes auront à
côtoyer des camarades de diverses origines, mais je m'interroge à savoir
comment un enfant de sept ans va interpréter l'enseignement sur les
différentes religions. Va-t-il gober tout cela comme une éponge et
développer une pensée sur des bases plus théoriques qu'existentielles?
Dans le cas d'un adolescent, le problème se pose moins parce qu'il a une
meilleure capacité de réflexion et de discernement.
Liaison : La religion catholique est en perte de vitesse, et des
scandales comme les procès de prêtres pédophiles contribuent à nuire à
son image. De telles questions sont-elles abordées de front à la FATEP?
M. Dumas : Nous avons eu un étudiant qui a fait sa thèse de
doctorat sur les prêtres pédophiles. Ce n'est qu'un exemple qui montre
bien qu'on aborde ces questions de manière frontale. Cependant, je crois
que l'Église au Québec est à se redéfinir. L'Église qui devra germer ne
sera plus celle qu'on a connue. Les gens doivent inventer un autre
modèle ecclésial de rassemblement pour échanger, intelliger leur foi.
Des communautés nouvelles émergent depuis Vatican II, des modèles plus
de gauche, où les croyants peuvent se retrouver dans un milieu qui leur
ressemble plus. Plusieurs de nos étudiants sont très sensibles à ces
questions. L'Église, ça commence par un souffle qui passe entre des gens
qui trouvent signifiant de se rencontrer et de se rassembler. |
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