Une première en Amérique du Nord
Une clinique pour le dépistage précoce
du diabète gestationnel en Estrie
Karine Vachon
Une première clinique de dépistage précoce du diabète gestationnel verra
le jour à Sherbrooke dès le printemps. L'Estrie fournit les conditions
idéales pour ce projet, estime l'endocrinologue Jean-Luc Ardilouze. En
effet, 98 % des femmes de la région accouchent au département de
gynéco-obstétrique du CHUS et ces femmes sont suivies par un petit groupe de
médecins pendant leur grossesse. Ceci assure la faisabilité du projet.
L'avenir de la femme et de l'enfant
Le diabète de grossesse, nommé diabète gestationnel, est l'expression de
la résistance à l'insuline due à la grossesse, au poids excessif et à l'âge
de la patiente, explique le professeur Ardilouze. À Sherbrooke, parmi les
2780 femmes qui ont accouché l'année dernière, 53 % étaient obèses ou en
surpoids avant leur grossesse, soit 20 % de plus que la moyenne canadienne.
Néanmoins, les femmes ayant un poids normal peuvent également développer un
diabète gestationnel. Le projet de Jean-Luc Ardilouze consiste à faire le
dépistage très tôt, dès le premier trimestre de leur grossesse, chez toutes
les femmes enceintes de l'Estrie. «Partout ailleurs, et depuis les
années 70, le dépistage se fait trop tard, au début du troisième trimestre.»
C'est un tout nouveau Centre de dépistage des maladies de la grossesse
qui accueillera les femmes enceintes de l'Estrie dès ce printemps au CHUS;
une seconde antenne verra le jour au centre-ville. «Finies les attentes de
deux heures dans les centres de prélèvements», dit le professeur. En plus de
dépister le diabète gestationnel, le personnel médical évaluera les autres
risques de maladies de la grossesse, hypertension, produits toxiques,
hypothyroïdie, etc. Le professeur Ardilouze prévoit que le centre pourrait
également proposer des diètes et des exercices physiques, en plus d'offrir
un module d'éducation au traitement de la maladie. La région de l'Estrie
pourrait devenir un modèle dans la prévention et le traitement du diabète
gestationnel.
Une femme présentant des signes de diabète gestationnel pourra donc être
traitée rapidement afin d'éviter les complications pouvant survenir pendant
la grossesse et après l'accouchement. Sa progéniture pourra également être
suivie à long terme, car on commence à se préoccuper des enfants du diabète
gestationnel; ils semblent plus à risque de développer des maladies
métaboliques et cardiovasculaires, de faire de l'obésité et du diabète de
type 2, avant même l'adolescence. Par ailleurs, alors que les associations
du diabète en Amérique du Nord recommandent de rechercher un diabète de
type 2 chez la mère qui a eu un diabète de grossesse dans les six semaines à
six mois qui suivent l'accouchement, le professeur Ardilouze et ses
confrères gynéco-obstétriciens vont proposer d'effectuer un premier
dépistage deux jours après l'accouchement.
Au-delà du dépistage
Jean-Luc Ardilouze s'intéresse au diabète gestationnel, mais la nature
principale de ses travaux traite de la régulation du flot sanguin dans les
tissus adipeux. Il a inventé une méthode pour le mesurer. Seulement cinq ou
six équipes dans le monde travaillent dans le domaine; celle du professeur
Ardilouze est la seule au Canada.
«Mon but ultime serait de trouver un marqueur du diabète que l'on serait
capable de mesurer très tôt dans la vie, dit-il. Avec ce marqueur, on
pourrait identifier celui ou celle qui sera malade au cours de sa vie.» Une
approche plutôt révolutionnaire qui va au-delà du dépistage et du
traitement.
Les projets de recherche du professeur ont généralement la
caractéristique d'être basés sur des problèmes réels et d'avoir des
applications médicales immédiates. N'ayant terminé son doctorat que tout
récemment, on peut dire qu'il est médecin d'expérience devenu chercheur.
L'appel de la recherche
Jean-Luc Ardilouze dit avoir été formé en France à une époque où la
recherche n'était pas très à la mode. «La recherche, c'était professeur
Tournesol dans le fond du laboratoire! On ne savait pas trop bien ce que les
chercheurs faisaient et à quoi ils pouvaient servir», dit-il à la blague.
Il avait tout de même fait une maîtrise avant d'être recruté à Sherbrooke
en 1989. Il n'y avait alors qu'un seul endocrinologue (ils sont
aujourd'hui 13). Le professeur a participé au développement de la
diabétologie aussi bien à Sherbrooke qu'au Québec, par la création de
centres de jour où les diabétiques vont se faire soigner tout en apprenant à
gérer leur traitement.
Après avoir contribué à former plusieurs jeunes spécialistes qui ont
quitté Sherbrooke quelque temps pour s'entraîner à la recherche dans
d'autres universités, Jean-Luc Ardilouze décide à son tour de faire un
doctorat. À près de 50 ans, il est accepté par la
prestigieuse université d'Oxford. Quatre
ans et demi de travail seront nécessaires pour obtenir son grade, soit deux
années sabbatiques passées là-bas et deux ans et demi à faire la navette
entre le Canada et l'Angleterre.
«Comme je suis né français, certains collègues de Sherbrooke croyaient
qu'en effectuant mon Ph.D. en Europe, je serais tenté de rester là-bas
après, raconte le chercheur, mais je suis évidemment revenu!»
Le retour au bercail
En effet, Jean-Luc Ardilouze estime que l'UdeS offre un milieu très
stimulant en matière de recherche. «Les équipes qui travaillent sur le
diabète utilisent des modèles et des techniques de pointe diversifiés. C'est
incroyable la densité de connaissances et d'idées nouvelles qui sont agitées
devant les étudiants lors des séminaires d'endocrinologie.»
Depuis deux ans, Jean-Luc Ardilouze a travaillé d'arrache-pied pour
obtenir des subventions et aller de l'avant dans ses projets. Il a reçu le
titre de nouveau chercheur 2006 des Instituts de recherche en santé du
Canada et le prix Junior 1 des Fonds de recherche en santé du Québec. «C'est
assez rigolo de voir un homme de 50 ans obtenir ces bourses», ajoute-t-il en
riant.
Quelques membres de l'équipe qui mène le projet sur le diabète de
grossesse : Maude Gagnon-Auger, Jean-Luc Ardilouze, Elizabeth Martin,
Julie Ménard et Pascal Brassard.
Photo : Robert Dumont
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Jean-Luc Ardilouze |
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