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Le professionnel
Encore et toujours victimes
MARIE FERLAND
Belgrade 1990, c'est la fin d'une époque, la dislocation de l'ancienne
Yougoslavie, unie depuis 1945 par le Maréchal Tito; la fin du rôle dirigeant
de la Ligue des communistes et le nouveau pouvoir communiste de Slobodan
Milosevic. Aujourd'hui, le nationalisme et la xénophobie pourraient bien
conduire à un conflit… Voici le cadre de la pièce
Le professionnel,
une production du Groupe de La Veillée présentée au Centre culturel le 28
novembre.
«Tu ne sais pas qui je suis?» C'est sur ces mots que le professionnel
entre dans le bureau et la vie du narrateur, ce vague écrivain,
ex-contestataire maintenant directeur d'une maison d'édition. Pourtant, cela
fait près de 20 ans qu'ils se côtoient. Au point que l'un était devenu
l'ombre, le secrétaire, l'ange gardien de l'autre sans qu'il ne le sache…
Rétrogradé après le départ de Tito, le professionnel, devenu chauffeur de
taxi, témoigne de ces années d'un travail loyal et minutieux lors duquel,
engagé par la police secrète de Belgrade, il a suivi pas à pas cet
intellectuel aux idées dangereuses, rassemblant et consignant ses mots, ses
discours et ses souvenirs en plusieurs manuscrits. Son temps révolu, il
livre cette mémoire avant de se retirer.
Le professionnel
est une pièce qui résume les ambiguïtés d'une société communiste où
finalement, que l'on soit serviteur ou dissident du régime, on est victime.
Les victimes sont aussi, selon une réaction en chaîne, leurs fils, leurs
secrétaires, les ivrognes et les poètes ratés. La victime est aussi bien
celui qui a aveuglément servi ce régime pendant des années que celui qui s'y
est opposé, avec acharnement, jusqu'au bout.
Prophète en son pays
Texte de Dusan Kovasevic, la pièce
Le professionnel
a connu un succès retentissant à Belgrade pendant 12 ans, signe que cette
œuvre est totalement inscrite dans la lutte de ce peuple pour sa liberté.
Dramaturge, metteur en scène et scénariste, Kovasevic est né en Yougoslavie
en 1948. Il est l'auteur d'une vingtaine de pièces, traduites dans plus de
15 langues, dont Les
marathoniens
courent leur tour
d'honneur, Radovan III,
L'espion balkanique
ainsi que Le
printemps en janvier.
Ce spectacle donne l'occasion de voir sur scène Gabriel Arcand,
importante figure du théâtre au Québec, alors qu'il y incarne Teja, le cadre
d'édition. Quant à l'ex-policier, il prend les traits d'Onil Melançon, qui
personnifiait Ionesco dans la pièce
L'impromptu de l'Alma,
produite par le Groupe de la Veillée en 2003.
Cette confrontation incongrue nous entraîne dans un crescendo nuancé
allant de la pantalonnade au drame déchirant. Alliant la confession à une
surprenante mise en abyme, la narration au dialogue, Le professionnel
est une œuvre tragicomique : drôle, effrayante et bouleversante à la fois.
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