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Liaison, 23 novembre 2006
Elle ne change pas le monde sauf que…
JOSÉE BEAUDOIN
En janvier, cela fera deux ans que Nicole St-Martin a pris sa retraite.
«Je suis en retraite officielle, mais les gens ne me croient pas car je suis
toujours à l'Université», raconte-t-elle en riant. Elle avait pourtant
planifié sa sortie, au point d'inviter ses étudiantes et étudiants à prendre
tous les livres qu'ils voulaient dans son bureau parce qu'elle ne rapportait
rien à la maison. Ils l'ont prise au mot et ils ont tout vidé. Toutefois, le
jour du départ venu, on avait encore besoin d'elle pour tel et tel dossier.
Et puis la directrice scientifique avait des projets de recherche inachevés
avec la chaire McConnell. Et puis la professeure avait des directions de
mémoire et de doctorat à poursuivre. Bref, le temps de tout compléter, elle
s'est installée dans un autre bureau avec un autre ordinateur, coiffée d'un
nouveau titre de professeure associée. Si elle y est toujours, c'est parce
qu'elle ne peut s'empêcher d'avoir de nouvelles idées. Et de très bonnes de
surcroît. À preuve, le programme unique qu'elle a élaboré vient de recevoir
un appui d'un million de dollars. Comme elle a conçu le projet, vous
comprenez qu'elle a le goût de rester encore un peu pour le mettre sur les
rails…
Former des citoyens engagés
Ce nouveau programme innovateur,
c'est le Programme d'apprentissage expérientiel par l'intervention
communautaire, appuyé financièrement par la Fondation McConnell, également
maître d'œuvre de la chaire de recherche en développement local. Avec son
régime coopératif notamment, l'Université de Sherbrooke s'inscrit déjà dans
la philosophie d'apprentissage par l'action. Ce que Nicole St-Martin et son
équipe souhaitent faire avec le Programme, c'est un pas de plus. Ainsi, le
programme propose une plus grande implication des étudiants et des
professeurs dans le développement communautaire, et ce, dans le cadre des
travaux pratiques compris dans les programmes d'études actuels. Pour faire
exemple, imaginons un étudiant en gestion des ressources humaines qui,
plutôt que de faire son travail de session de façon théorique, irait dans un
milieu communautaire pour un exercice d'intervention. Les bénéfices de ce
programme sont multilatéraux. L'étudiant est placé dans une situation de
vrai savoir pratique. Le milieu communautaire a accès à un savoir
universitaire, où l'étudiant est supervisé par son professeur dans une
démarche de qualité. L'Université renforce son implication dans son milieu
et agit véritablement comme acteur de développement.
Derrière le projet de Nicole St-Martin, il y a beaucoup de travail et,
elle l'avoue, une part de rêve : «Le rêve, c'est de former des citoyens
engagés. On veut que l'étudiant qui sort d'ici ait une tête bien faite,
l'intelligence du cœur et l'engagement communautaire. On espère que le jour
où il ne sera plus étudiant, il sera capable d'intégrer, dans sa vie
personnelle et professionnelle, une participation à son milieu. On vit dans
un monde complexe où l'on ne peut plus mettre de côté l'implication
citoyenne. Quand on a la chance de se dessiner une profession, on a le
devoir d'intégrer la contribution sociale dans sa vie.»
Le Programme d'apprentissage expérientiel par l'intervention
communautaire vient d'amorcer sa phase de prédémarrage. «Tout est à définir!
On commence!» explique l'instigatrice, très enthousiaste. Mais du même
souffle, elle ajoute qu'environ 80 groupes communautaires ont déjà paraphé
une entente. Nommé coordonnateur de ce programme, Simon Bolduc confirme en
ces mots l'engagement total de sa colocataire de bureau : «Lorsqu'elle prend
un dossier en main, elle le porte et elle l'habite.»
Sa passion s'accentue
Professeure et chercheuse à l'Université depuis maintenant 30 ans, Nicole
St-Martin est la somme de ses études en trois temps : un 1er cycle en
éducation, un 2e en travail social puis un 3e en sociologie. La ligne
directrice de toutes ses actions : l'apprentissage et la formation. Qu'elle
parle de ses recherches sur le terrain ou de sa relation pédagogique avec
les étudiantes et étudiants, le plaisir est récurrent. Le plaisir de
découvrir et d'ajouter à son savoir et à son comportement des éléments
nouveaux. Le plaisir de guider les étudiants, de les accompagner, de leur
procurer des occasions d'apprendre, de varier les stratégies pédagogiques
pour que chacun y trouve son compte. Et ce plaisir, visiblement, il ne se
dément pas.
Parallèlement à ses fonctions professorales, Nicole St-Martin a dirigé
l'Institut de recherche et d'enseignement pour les coopératives de
l'Université de Sherbrooke durant une quinzaine d'années, soit de 1984
à 2000. C'est sous son impulsion que l'Institut s'est enrichi de sa
dimension internationale. «On a développé beaucoup de projets, d'abord en
Afrique puis en Amérique latine. On voulait apporter notre contribution,
mais aussi offrir à nos étudiants une lecture internationale des
problématiques.» Résultat? Des missions et des gens accomplis.
Sa formation continue
Depuis 1992, Nicole St-Martin préside ce qu'elle appelle la plus belle
organisation du monde, soit Oxfam-Québec, un organisme qui a pour mission
d'appuyer les populations défavorisées des pays en développement qui luttent
pour leur survie, pour leur progrès, pour la justice sociale et pour le
respect des droits humains. «Oxfam, c'est mon programme d'éducation
continue. J'y suis confrontée à des problématiques universelles, à de
nouvelles façons de faire, à des transferts de compétences, à
l'interdépendance des mondes.» À l'écouter parler, on devine son implication
très stimulante, mais aussi très prenante, avec les conseils
d'administration et les représentations répétées auprès de différents
interlocuteurs. «Chez Oxfam, on ne fait pas du lobbying, on fait vraiment du
plaidoyer, c'est-à-dire qu'on intervient auprès des grands décideurs de ce
monde sur des situations problématiques pour essayer de changer les choses.»
Et vous n'avez jamais le goût d'abandonner ou de baisser les bras? «Jamais!
On ne changera pas le monde demain matin, on ne le changera pas de mon
vivant, on ne le changera pas avant des générations, mais on doit y
contribuer, on doit y croire et prendre de bonnes mesures en faisant preuve
d'éthique et de transparence.»
En terminant…
Très sincèrement, j'ai rarement vu quelqu'un parler de ses projets, de
ses idéaux et de son travail avec autant de ferveur et de luminosité.
Franchement, ça donne le goût de prendre sa retraite.
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