Aider les personnes sourdes à mieux communiquer
GABRIELLE GRANGER
Selon ses créateurs, l'avaglyphe permettra d'offrir à la communauté
sourde un accès inégalé à l'information. Pour créer ce signeur nouveau
genre, Denis Belisle et Joanne Deschênes ont développé une méthode de
tournage en fluorescence où seulement certains éléments sont visibles : les
mains, les sourcils, la limite inférieure des yeux, la bouche et les
avant-bras, en dégradé. En cette phase de développement, c'est Joanne
Deschênes qui joue le rôle du signeur. Avant chaque séance de tournage, elle
place des points phosphorescents à des endroits bien précis sur son visage.
Elle enfile aussi un chandail noir et des gants fluorescents. Sur les vidéos
produites de cette façon, on observe donc des points et des éléments
lumineux d'une silhouette qui se meuvent sur fond noir.
Le résultat est clair et surprenant et il dépasse en qualité les
animations actuellement développées en langage des signes. «En effet, bien
que les concepteurs manifestent le souci de réalisme, les mouvements de
leurs signeurs manquent de fluidité et d'authenticité, affirme Denis Belisle.
Pour les sourds, ces signeurs provoquent une impression inconfortable
lorsqu'ils les regardent, et pour comprendre le message, ils doivent faire
un effort soutenu pour ignorer certains aspects de l'animation, comme le
décor, le chandail et les caractéristiques physiques du signeur.»
Les deux chercheurs se sont basés sur ces commentaires pour développer
leur signeur : «Nous avons mené plusieurs expérimentations pour établir les
éléments superflus qui risquaient de nuire à la communication. Nous avons
donc gardé le minimum nécessaire à la compréhension du message, explique le
professeur Belisle. Un des avantages de notre signeur est qu'il n'est ni
homme ni femme, ni jeune ni vieux. Le véhicule de message reste donc
neutre.»
Accueil chaleureux de la communauté sourde
L'été dernier, Joanne Deschênes et Denis Belisle ont testé leur signeur
auprès des sourds. «Pour eux, les signes étaient clairs, reposants à
regarder et faciles à comprendre, révèle Denis Belisle. Les observateurs
affirmaient que le signeur était tellement épuré qu'ils arrivaient
facilement à se concentrer sur ce qui est important, évocateur.»
Les recherches de Denis Belisle et Joanne Deschênes tombent à point. «La
majorité des sourds sont des analphabètes fonctionnels. Quand ils sont
jeunes enfants, les sourds sont exposés à la langue des signes et cela
façonne leurs habiletés cognitives d'une manière particulière, explique le
professeur. Il s'agit d'une langue spatiale et non linéaire comme celle des
entendants. Pour eux, apprendre notre syntaxe et notre grammaire s'avère
ardu. C'est encore plus difficile que d'apprendre une seconde langue.» L'avaglyphe
pourrait donc répondre aux besoins communicationnels des personnes sourdes.
Il leur donnerait accès à des sources d'information comme des dictionnaires,
des lexiques, des balados (podcasts), etc.
De grandes ambitions pour une jeune entreprise
Avec leur concept de signeur, les deux collaborateurs ont démarré
l'entreprise Semetex Communications, avec laquelle l'Université est en voie
de conclure une entente pour l'exploitation de cette nouvelle technologie
qui permettra d'offrir des services d'interprétation en langue des signes.
Une fois les preuves faites au Québec, les deux collaborateurs ont aussi
l'intention de percer les marchés canadien anglophone et américain en
faisant appel à des interprètes en American Sign Language. «Nous comptons
engager des sourds chaque fois que cela sera possible, ajoute Denis Belisle.
C'est très important qu'ils se sentent engagés dans le fonctionnement même
de l'entreprise. C'est pour nous un gage de succès.»
L'avaglyphe pourrait également jouer un rôle important dans les
communications entre l'État et les citoyens sourds. En effet, dès le
17 décembre, les gouvernements provinciaux et fédéraux devront déposer un
plan d'action afin de rendre leur documentation disponible en langage des
signes. L'avaglyphe pourrait donc trouver dans cette opportunité sa première
application pratique.
Dynamiser les activités de recherche
Denis Bélisle et Joanne Deschênes proposent, par ce premier brevet, une
nouvelle façon d'aborder les sciences humaines. «Breveter des idées, des
concepts, c'est une nouveauté ici au Département, explique le professeur. Il
faut voir cela comme une manière de dynamiser nos activités de recherche.
Notre avaglyphe s'inscrit pleinement dans le mandat de recherche et
d'enseignement du Département des lettres et communications : il touche à la
fois aux communications, au langage et au multimédia.»
À la Faculté des lettres et sciences humaines, les deux collaborateurs
ont bénéficié du soutien de plusieurs personnes qui croyaient en
l'innovation. «Notre projet a pris un envol sensationnel grâce au support
des gens autour de nous, comme Thérèse Audet, vice-doyenne aux études
supérieures et à la recherche, souligne le professeur. Nous avons grandement
apprécié son appui lors des activités de recherche qui ont constitué un
jalon capital dans le trajet ayant mené au dépôt de la demande de brevet
concernant l'avaglyphe.»
L'avaglyphe présente le langage signé de manière très épurée. Quelques
exemples sont présentés ici avec les signes «ne pas connaître»,
«érable», «manger» et «bicyclette». |
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