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Liaison, 26 octobre 2006
ANDRÉ NORMANDEAU
Retraité – Département de psychologie et Service de soutien à la formation
Long
Beach, Louis-Bernard Robitaille
Ce roman,
que j'ai lu presque d'une traite en deux jours, n'a rien d'un
thriller,
au sens usuel du terme. Il reste qu'on se fait prendre par cette histoire
complexe et magnifiquement architecturée. Le rythme est soutenu, malgré
quelques rares longueurs, et on reste accroché jusqu'au dernier mot de la
dernière page. Pur plaisir… j'ai adoré.
Long Beach
est le 4e roman de Louis Bernard Robitaille, correspondant de
La Presse
à Paris depuis de nombreuses années. Celui-ci a aussi publié quelques
essais.
Amusantes en surface, les mésaventures d'Anthony Terreblanche s'avèrent
une fable plutôt sombre sur l'identité et l'authenticité : on ne sait
jamais trop, finalement, qui se cache derrière les paroles ou les visages
des gens que l'on côtoie.
Car qui est Anthony Terreblanche? Un écrivain de talent en panne
d'inspiration ou un imposteur (il avoue avoir plagié le roman qui l'a
rendu célèbre)? Un indécrottable macho misogyne? Un cynique fini, un
tantinet suicidaire? Ou simplement, sous des dehors sophistiqués, un
pauvre type qui se cherche («Les gens suivent le chemin qui a été tracé
pour eux. J'ai suivi le mien qui, partant de nulle part, ne menait à nulle
part et ne passait par aucune agglomération connue.»)? Un peu de tout ça
et plus encore.
Professeur déchu de la Giovanni Caboto University, petit établissement
huppé situé au nord de Boston, Anthony s'installe à Long Beach dans un
appartement prêté par un collègue. Déchu, parce qu'on a découvert du
matériel porno pédophile sur son ordinateur. On laisse vite tomber toute
accusation, mais l'événement fait lever des rumeurs scabreuses sur son
compte, plus une plainte pour tentative de viol portée par une collègue.
On fait alors comprendre à Anthony qu'il devrait se faire discret pour
quelque temps.
D'où son «exil» à Long Beach, station balnéaire oubliée et décatie, où
il passera plus d'un an dans un farniente un peu glauque. Long Beach est
un lieu étrange, investi par les mafias locales, et sert d'habitat à une
faune hétéroclite : «Long Beach est un lieu cardinal pour attendre la fin
du monde.»
Anthony raconte sa vie à John G. Fletcher, dépêché par le comité
d'éthique de la Giovanni Caboto University (GCU) pour enquêter sur son
passé. On apprendra que né en Louisiane, il a vécu son enfance et sa
jeunesse à Montréal chez un vieil oncle. À 20 ans il court à Paris à la
poursuite (infructueuse) de Marie Lou, son impossible amour de jeunesse.
Il restera en Europe une vingtaine d'années et publiera, à 40 ans, un
best-seller qui le rendra célèbre. Devenu «écrivain en résidence» puis
professeur à la GCU, il s'installe dans une vie confortable et sans
problème, vedette des salons où se croisent les intellos de la côte Est.
Jusqu'à ce que l'accusation de pédophilie lui tombe dessus, venant on ne
sait d'où.
Mais l'histoire d'Anthony, au-delà des faits, est tissée de ses
rapports avec les femmes. Marie Lou, bien sûr, mais aussi Carlotta, la
linguiste jet set,
avec qui il entretient une relation distante et perverse, tendance
sado-maso, mais mutuellement satisfaisante. Puis Morgane, «la plus
brillante stendhalienne de la côte Ouest»; et toutes ces autres qui
passent dans sa vie sans vraiment laisser de traces.
On voudrait le trouver antipathique, mais on finit par s'attacher à ce
personnage pathétique et touchant, on veut savoir jusqu'où le mènera son
karma. Comme le diront ses vieux voisins gais à l'enquêteur Fletcher :
«Anthony était un personnage fuyant, qui parlait d'abondance et ne se
livrait jamais. Il faut prendre les gens comme ils sont, nous l'aimions
beaucoup.»
Mais quelle que soit, finalement, la vraie nature d'Anthony, on
soupçonne vite que sa vie est un cul-de-sac. Référant à quelques
personnages célèbres (Vercingétorix, Al Capone…) il déclare, dès le début
de son récit : «Ils ignoraient qu'il faut éviter de se laisser prendre
vivant.»
Écrit à la première personne, le récit s'arrête abruptement, à deux
semaines du moment où Anthony doit retourner à la GCU pour comparaître
devant le comité d'éthique. On ne sait s'il le fera ou s'il s'embarquera
plutôt sur un cargo qui mouille dans le port de Long Beach. Ce n'est qu'en
lisant, placé en épilogue, cet
Avertissement au
comité, rédigé par Fletcher, qu'on apprendra que… et qu'on
comprendra que… Bon, je ne vous donnerai quand même pas la clé, ça
gâcherait tout votre plaisir!
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