|
Liaison, 12 octobre 2006
Griffé ou dégriffé?
Psychologue invitée : STÉPHANIE LALANNE
«Dégriffe est le spécialiste de la fringue de marque fashion et
sportswear à prix discount.» Vous avez bien lu. J'ai trouvé cette perle,
made in
Paris, dans Google.
En plus du vocabulaire très mode, voilà un milieu où les marques et les
signatures prestigieuses comptent. On se définit par ce qu'on porte. On est
quelqu'un dans la mesure où nos vêtements, nos accessoires, notre maison,
notre déco, notre voiture sont griffés. On est certain d'être correct, on se
tient entre gens bien : on est du même monde.
Ma vie est monotone
De façon moins caricaturale, on peut parfois avoir le désir bien légitime
de sortir de l'ordinaire, de compenser le banal de sa vie quotidienne par la
recherche du «spécial». Avoir envie d'être vu, de se distinguer de la masse,
d'être reconnu enfin!
Quand mon amie Claire ressent ce besoin, elle se dit qu'il lui manque
sûrement quelque chose. Quelque chose d'important. Et elle cherche la source
de son ennui. Elle peut alors nourrir son vrai besoin plutôt que de se
distraire de façon provisoire. Récemment, Claire s'est aperçue qu'elle était
fatiguée de courir pour satisfaire les demandes de tous ceux qui
l'entourent. Elle avait besoin de temps pour elle. Pour respirer, écouter sa
musique, regarder ses fleurs. Pourquoi alors se laissait-elle envahir?
Claire a découvert sa tendance à plaire surtout à ceux qui sont importants
pour elle, de peur de ne pas être assez pour eux et d'en être abandonnée.
Avant, frustrée de ne pas remplir son rôle à la perfection, elle se
précipitait au magasin pour s'acheter une robe de prix proportionnel à son
besoin de compensation. C'est vrai que ça lui faisait du bien sur le coup,
«une soupape de sécurité», blaguait-elle. Puis, rapidement, Claire
redevenait insatisfaite. Maintenant, elle sait que sa valeur ne repose pas
sur ce qu'elle fait pour les autres, mais sur ce qu'elle est.
Progressivement elle intègre cette découverte dans sa vie. Elle identifie de
plus en plus ce qu'elle aime, ce qu'elle pense, ce qu'elle veut. Et elle
tente d'être en accord avec elle-même, ce qui lui apporte beaucoup de joie.
D'où vient cette motivation à se définir?
Faisons un saut dans le temps. Survol, d'abord, d'une première étape.
Appelons-la «salle des miroirs» : les années d'enfance où l'on est plus
souvent défini par le regard de l'autorité sur soi.
Puis, «la salle d'essayage» : l'adolescence. On a besoin de sortir de la
maison, de l'autorité parentale, et de se retrouver avec sa gang. Vous
souvenez-vous de cette période de votre vie où vous aimiez vous retrouver en
groupe? Certains de partager valeurs et comportements, sans discussion, tous
étaient à l'aise au milieu de leurs semblables : mêmes goûts, mêmes idées,
mêmes réactions. Mêmes idoles, mêmes modèles. Comme c'était simple et clair!
Le temps passant, l'excitation s'émoussant, la découverte des différences
et le désir de s'affranchir et de se définir ont pris le dessus. Écrire son
propre script : «la salle du scénario original». Ce désir a nourri la fierté
d'aller de l'avant dans l'exploration de sa propre identité. Une curiosité
très saine envers soi-même : qui suis-je? Quels sont mes intérêts? mes
valeurs? mes croyances? mes rêves? mes compétences? Avoir l'audace de me
commettre, parler en mon nom.
Le désir, porteur d'horizon
Comme le dit Claire : «Enlever des pelures, oser être moi, c'était aussi
me rendre vulnérable, perdre des couches de protection.» Oui, on doit
accepter de quitter quelque chose de confortable, de connu, de sécurisant
pour marcher vers son désir profond : être soi. Évoluer, c'est accepter de
perdre pour gagner. Se définir, unique, sans se couper des autres.
Aucune griffe, aucun prestige ne pourra m'apporter la satisfaction de
mieux me connaître, de me réaliser pleinement, ni de me sentir aimé comme je
suis.
Retour à la une |
|
Stéphanie Lalanne |