Liaison, 14 septembre 2006
5 ans après le 11 septembre 2001
Les perturbations subsistent
et l'avenir est difficile à cerner
ROBIN RENAUD
Les médias du monde entier font grand cas ces jours-ci du 5e anniversaire
des attaques terroristes de septembre 2001. Après la disparition des tours
jumelles du World Trade Center et les ravages causés au Pentagone,
l'Amérique, touchée en plein cœur, allait riposter en annonçant une guerre à
finir au terrorisme. À l'heure des commémorations, Liaison a
rencontré deux professeurs du Département d'histoire et de sciences
politiques, Sami Aoun et Gilles Vandal. Respectivement spécialistes du
Moyen-Orient et des États-Unis, ceux-ci font le point sur les conséquences
encore bien présentes de cet épisode historique marquant.
États-Unis : humiliation et obsession sécuritaire
Liaison : Quelles sont les principales répercussions encore
visibles des événements de septembre 2001, pour les Américains?
Sami Aoun : L'un des seuls points positifs qui ressort depuis cinq ans,
c'est qu'aucune autre attaque n'a abouti sur le territoire continental
américain. Pour le reste, le bilan est assez négatif. Les attaques du
11 septembre visaient des symboles chers aux Américains, et ce, au cœur des
États-Unis. Pour le gouvernement en place, il fallait une riposte musclée à
cette humiliation de la grande puissance. La démocratie devait se défendre
et ne pas se montrer affaiblie et assiégée. En ce sens, elle ne pouvait pas
laisser les tenants d'idéologies fascistes dire que la démocratie est
peureuse. Cependant, l'extension de la guerre au terrorisme et le projet de
déloger certaines dictatures du monde musulman (en Afghanistan et en Irak)
n'a pas eu d'effets louables pour l'ensemble des concernés. Il est devenu
utopiste de vouloir imposer la démocratie par les chars.
Gilles Vandal : La démocratie américaine a perdu des plumes à la
suite des événements. Cette société ouverte et tolérante est devenue plus
suspicieuse. Avec le Patriot Act par exemple, les Américains ont
accepté de renoncer à certains de leurs droits fondamentaux pour faire
confiance à l'État et à son pouvoir arbitraire. Dans ce pays qui se définit
comme le grand flambeau de la démocratie, de tels changements représentent
paradoxalement une certaine victoire pour Al Qaïda. Sur la scène politique,
on assiste actuellement à un essoufflement de la droite américaine. Certains
pensent que le retour possible des démocrates en 2008 pourrait amener un
virage. Or, l'histoire montre que les gouvernements américains travaillent
dans la continuité. La marque de Bush risque de rester car les démocrates ne
voudront pas être accusés de mollesse dans la politique extérieure.
Moyen-Orient : un nouveau type de guerre
Liaison : Les Américains et leurs alliés sont embourbés en
Afghanistan et en Irak dans deux conflits dont on ne voit pas la fin, tandis
qu'Al Qaïda demeure actif. Quel est l'état des lieux actuellement dans le
monde arabo-musulman?
Gilles Vandal : Avant le 11 septembre, George Bush prévoyait un plan pour
redéfinir le Moyen-Orient en chassant les régimes non favorables aux
Américains, en Irak, en Syrie et en Iran. Les attaques terroristes lui ont
donné l'occasion de précipiter ce plan. Or, l'erreur des Américains en Irak
et en Afghanistan a été de crier victoire trop vite. Par exemple, la
situation de chaos en Irak a créé un terroir pour le banditisme et le
terrorisme. Les Américains n'ont pas le choix maintenant d'adopter une
stratégie plus défensive. Dans cette guerre d'un nouveau genre, qui n'a pas
de règles et où les combattants n'ont pas peur de la mort, les Américains ne
peuvent pas se contenter de déloger des chefs d'armée. Quand un chef est tué
ou capturé, des dizaines de remplaçants sont prêts à prendre la relève. Mais
les Américains qui veulent promouvoir la démocratie peuvent difficilement
agir en ignorant les règles habituelles de la guerre.
Sami Aoun : Dans la diplomatie conventionnelle les États font
affaire entre eux. Or, on ne peut pas faire une place aux organisations
terroristes aux tables de négociations. Elles n'ont pas de statut pour
négocier et on ne peut donner satisfaction à aucune de leurs demandes.
Pendant ce temps, il persiste un malaise profond dans l'espace musulman.
Plusieurs y voient une civilisation pillée et soumise à des injustices, ce
qui engendre des complexes de victimisation. Aux yeux d'une certaine
jeunesse désoeuvrée, instruite et idéaliste, certains chefs de camps sont
considérés comme des héros. Malgré cela, dans le monde musulman, on assiste
à un débat intéressant à savoir si le terrorisme est un moyen efficace pour
promouvoir les intérêts des musulmans. Toutefois, le courant qui appuie le
recours à la violence demeure toujours populaire malgré un recul de ses
appuis.
L'impossible hégémonie américaine
Liaison : En conclusion, quelles leçons faut-il tirer de la chaîne
d'événements ayant suivi le 11 septembre 2001?
Sami Aoun : Après le 11 septembre, le monde devient plus subordonné à une
militarisation des relations internationales. De plus, ces dernières années,
certaines légendes sont tombées : une puissance unique qui devient le César
du monde, c'est une impossibilité. Deuxième légende : il est utopique
d'affirmer que le libéralisme économique ou politique va s'imposer par ses
bienfaits et par ses clartés théoriques. On voit bien aujourd'hui que la
mondialisation n'avance pas d'une façon équitable. S'il y a des bienfaits
parmi les conséquences du 11 septembre, c'est que les gens se montrent plus
sensibles au multiculturalisme, au droit à la différence, et les libertés
individuelles sont plus acceptées. De ce fait, les régimes totalitaires sont
davantage pointés du doigt. Cependant, l'avenir demeure brouillé et
illisible. On a besoin de réécrire un glossaire pour mieux saisir le nouveau
langage de la guerre.
Gilles Vandal : Dans une perspective globale, les événements de
septembre 2001 ont conduit à un affrontement des civilisations. Mais les
gagnants de cet affrontement sont deux joueurs qui se trouvent hors de
l'Occident : l'Iran et la Chine. Cette dernière profite de l'essoufflement
économique des États-Unis. Dépendante du pétrole, la Chine peut profiter de
son droit de veto pour refuser des sanctions de l'ONU contre l'Iran
(qui souhaite développer un programme nucléaire). En conclusion, je dirais
qu'on s'ennuie de la guerre froide où deux superpuissances assuraient
l'équilibre du monde. Dans un monde morcelé, la puissance américaine est
aujourd'hui confrontée de toute part. Que ce soit en Chine, au Moyen-Orient
ou en Amérique latine, le néolibéralisme est remis en question.
Table ronde au Carrefour de l'information
Le mardi 26 septembre, les professeurs Vandal et Aoun, flanqués de leurs
collègues Pierre Binette, spécialiste des relations internationales, ainsi
que Dany Deschênes, spécialiste des politiques de sécurité et de défense,
présenteront une conférence conjointe sur la Politique américaine au
Moyen-Orient, cinq ans après le 11 septembre. Suivra une période
d'échanges avec l'auditoire. À l'Agora du Carrefour de l'information, situé
au Pavillon Georges-Cabana, dès 16 h.
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