|
Liaison, 14 septembre 2006
Expert de l'atmosphère
JOSÉE BEAUDOIN
J'ai rencontré Norm T. O'Neill alors qu'il revenait d'un colloque de
quatre jours en Sibérie. Léger recul aidant, il est parvenu à rigoler en me
racontant que sa valise s'était perdue dans le transport et qu'il avait dû
s'acheter des vêtements de fortune là-bas, dans un magasin de souvenirs sur
le bord du lac Baïkal. Même un T-shirt flanqué d'un énorme «I love Siberia»
n'aurait pas réussi à miner sa crédibilité, car en matière de télédétection
de l'atmosphère, sa réputation le précède. Cela dit, rassurez-vous, il avait
tout de même dégoté plus discret.
S'il est allé jusqu'en Sibérie, ce n'est pas pour se baigner dans les
eaux glaciales du lac Baïkal, bien qu'il l'ait fait; il relevait ainsi le
défi de ses hôtes qui avaient bien hâte de voir si «le Canadien» allait oser
se mouiller. S'il est allé jusqu'en Sibérie, c'est pour partager son
expertise liée à la mesure et au comportement des aérosols, ces particules
microscopiques en suspension dans l'atmosphère. Si les chercheurs russes
l'ont invité, c'est qu'ils sont à implanter un réseau de lasers et de
radiomètres similaire à celui que Norm O'Neill gère ici au Canada avec ses
collègues Alain Royer, du Centre d'applications et de recherches en
télédétection (CARTEL), et Bruce McArthur, d'Environnement Canada. Ce
réseau, appelé AEROCAN, compte une quinzaine d'appareils de mesure à travers
le pays, dont un situé à Sherbrooke, sur le toit de la Faculté des lettres
et sciences humaines.
Pas de frontière pour la poussière
AEROCAN fait partie du grand réseau fédéré AERONET (Aerosol Robotic
Network) qui relève de la NASA. Chaque appareil mesure efficacement le
contenu et la taille des aérosols puis envoie les résultats vers un
satellite. Le signal rebondit vers la NASA pour ensuite s'inscrire dans une
base de données. De là, en avant l'analyse! De son bureau de l'Université de
Sherbrooke, le professeur O'Neill étudie, examine et compare : «Au
printemps 2005, on a détecté au-dessus de Vancouver de la poussière qui
provenait du désert algérien. Le voyage aura pris 14 jours.» Visiblement, il
n'y a pas de frontière pour la poussière et de moins en moins de limites à
la science. «Ce genre d'analyse est possible grâce à la véritable explosion
de données et de modèles qui permettent aux équipes de chercheurs de
partager et de comparer leurs informations en ligne dans un environnement
multi-interface, explique le chercheur. On peut, par exemple, comparer les
mesures d'AEROCAN et d'AERONET avec les modèles spatio-temporels de
dispersion des aérosols à travers le Canada et l'Amérique du Nord.» Un tel
modèle appelé NOMAD (Networked On-line Mapping of Aerosol Data) a été
développé au CARTEL, sous la direction du professeur O'Neill, par Martin
Aubé, un ancien étudiant au doctorat maintenant professeur au Collège de
Sherbrooke.
Très utiles en climatologie, les recherches sur les aérosols permettent
de comprendre d'où vient la pollution pour mieux savoir où la Terre s'en va.
«Le rôle des aérosols sur les changements climatiques est très important,
indique Norm O'Neill. Si on ne s'attarde qu'aux gaz à effet de serre, on
n'arrive pas à bien comprendre le réchauffement de la planète.» Est-ce que
la situation est réversible? «Oui, mais il faut se poser des questions comme
être humain», ajoute-t-il.
Des efforts dans la même direction
À la veille de l'Année polaire internationale 2007-2008, les membres de
la communauté scientifique se mobilisent et coopèrent. Le professeur O'Neill
sera parmi les chercheuses et chercheurs internationaux qui étudieront les
aérosols présents dans l'atmosphère arctique. «On ne cache rien, affirme le
professeur. On gagne beaucoup plus en partageant les informations. Perdre
son scoop, c'est pas si grave que ça. Si je ne comprends pas quelque chose,
je demande à un collègue, et vice-versa. C'est un processus normal et
naturel. C'est ça, la science!» Ainsi, la méthode qu'il a développée en
s'appuyant sur le comportement spectral des données d'AERONET fait
maintenant référence. Étroitement liée aux couleurs du ciel, cette méthode
permet de discriminer les aérosols plus petits qu'un micromètre, comme les
particules de fumée des feux de forêt, des aérosols plus grands qu'un
micromètre, comme les poussières qui proviennent des tempêtes désertiques.
Son esprit d'équipe, Norm T. O'Neill le déploie également à l'Université
où il travaille depuis 20 ans cette année. Professeur au Département de
géomatique appliquée, il compte parmi les chercheurs du CARTEL, affilié
notamment au Canadian Network for the Detection of Atmospheric Change. Ceux
qui font de la télédétection de surface, comme ses collègues du CARTEL,
voient l'atmosphère, les nuages et la brume comme des bruits à enlever. En
tant qu'expert de la télédétection de l'atmosphère, il élimine ce qui est
«nuisible» pour laisser le champ libre.
Le making of
Cette conclusion fait figure d'extra, comme sur un DVD. Je dois avouer
qu'il y a eu deux versions à cet article. Une première où je rapportais ce
que j'avais compris et une deuxième, celle-ci, où le professeur O'Neill
précise ce que je n'avais pas tout à fait saisi. À ma décharge, c'était
complexe! Après lecture de mon premier jet, il m'a demandé, du bout des
lèvres, s'il pouvait apporter quelques éclaircissements, ajoutant que, bien
sûr, c'est moi qui avais le dernier mot. Merci de votre indulgence et de
votre générosité, professeur O'Neill. Je devine fort bien que le jour où
vous m'avez revue et corrigée, vous aviez d'autres chats à fouetter.
Retour à la une |
|
|