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Liaison, 31 août 2006
L'historien de la culture
JOSÉE BEAUDOIN
On m'avait pourtant prévenue qu'il était passionnant, cultivé, loquace et
très généreux, mais malgré les avertissements, j'ai tout de même été
impressionnée. C'est sa simplicité qui désarme, entre autres. Est-ce que je
dis Monsieur? Abbé? Professeur? «Tu dis Antoine Sirois, c'est tout.»
Semeur d'ambition
Au tout début de sa carrière, le jeune prêtre sillonnait les campagnes
pour répandre la bonne nouvelle : les études supérieures étaient accessibles
à un plus grand nombre grâce à l'Externat classique qu'il avait fondé à
Lac-Mégantic, avec la commission scolaire locale, et qu'il a dirigé de 1952
à 1958. Antoine Sirois partait recruter les jeunes sur sa moto, retenant sa
soutane sous son ceinturon. Bien humblement, il dit et il sait que ses
visites ont changé le cours de plus d'une vie.
Des chiffres…
Même s'il a pris sa retraite il y a 12 ans, il suffit de marcher à ses
côtés sur le campus de l'Université de Sherbrooke pour comprendre qu'il est
encore avantageusement connu. Autour de lui brille un halo de 34 années de
loyaux services. Fort de sa licence ès lettres fraîchement complétée,
Antoine Sirois est entré à l'Université en 1960 et il a cumulé les fonctions
de secrétaire général et de registraire durant cinq ans. «J'étais ici le
premier jour où l'Université s'est installée sur le campus, raconte-t-il.
Pour une bonne année, peut-être un peu plus, je couchais dans mon bureau. On
m'avait installé un petit lavabo, une penderie et un divan-lit.»
Des arts…
Lorsqu'il est question d'art et de culture, Antoine Sirois compte
toujours présent. La salle Maurice-O'Bready, initialement baptisée la
«grande salle», est d'ailleurs née de sa vision et de sa passion. Le recteur
de l'époque, Mgr Pinard, souhaitait aménager un endroit pour
tenir les collations des grades. Son secrétaire général l'a convaincu
d'élargir la vocation et de construire du même coup une salle de spectacle.
«On n'avait pas encore l'autorisation gouvernementale, alors on a pris sur
nous de la construire, raconte Antoine Sirois. La finition s'en est un peu
ressentie d'ailleurs; durant 15 ans, les murs ont été constitués seulement
d'isolant! À mon souvenir, le tout a coûté 500 000 $.» Pour la vie
culturelle de Sherbrooke, la salle vaut aujourd'hui son pesant d'or. Abonné
à la série théâtre, à la série danse et au Ciné-campus, Antoine Sirois est
le premier à avoir eu l'idée… et toujours le premier à en profiter.
Son amour de la peinture fait aussi image, puisqu'il a doté la collection
d'œuvres d'art de l'Université de ses premiers joyaux. «Ils m'ont donné
5000 $ afin que j'achète des peintures pour décorer le Pavillon central. Je
partais à Montréal le samedi matin et je faisais le tour des galeries.» Son
coup de maître? Une œuvre splendide de Marcelle Ferron.
Et des lettres…
En 1965, presque tous les prêtres ont quitté l'administration et les
laïcs ont fait leur entrée, une transition qu'Antoine Sirois qualifie de
facile et sans douleur. «Moi, j'aimais la littérature, alors l'Université
m'a envoyé à la Sorbonne de Paris pour un doctorat en littérature comparée,
un domaine d'études nouveau à l'époque au Canada, dit-il. C'était une vie
culturelle et intellectuelle intense. J'allais au théâtre deux soirs par
semaine, j'allais voir des expositions, j'allais au cinéma.» Il est revenu
de la Ville Lumière emballé à l'idée de transmettre son savoir à ses
nouveaux étudiants : «Ça peut sembler très égoïste, mais j'avais
l'impression d'avoir beaucoup de choses à leur apporter.»
Outre son rôle de professeur, Antoine Sirois a assuré la direction du
Département d'études françaises de 1968 à 1974 et agi comme vice-doyen à la
recherche et aux études supérieures de la Faculté des lettres et sciences
humaines de 1975 à 1983. En filigrane, toujours l'enseignement et les mots
de Gabrielle Roy, d'Anne Hébert et d'Émile Zola. Côté recherche, il est
l'initiateur, entre autres, d'une bibliographie en littérature comparée
nationale et internationale, projet que des collègues poursuivent toujours.
Membre du conseil d'administration du Conseil des arts du Canada de 1983
à 1986, Antoine Sirois a mérité les honneurs à bien des égards; il a été
nommé membre de la Société royale du Canada en 1993 et professeur émérite
en 1994, et il a reçu le Mérite estrien en 2004. Selon lui, ce sont
principalement ses livres, ses articles et ses lettres d'opinion qui sont au
cœur de son rayonnement. L'auteur a notamment donné à sa région trois
ouvrages importants, soit À l'ombre de DesRochers, écrit en
collaboration avec des collègues du Département des lettres et
communications, Histoire culturelle de Sherbrooke, rédigé avec
l'assistance d'André Tessier, et Sherbrooke, ville de cinéma-s,
coécrit avec Serge Malouin. Aujourd'hui, l'ancien président du conseil du
Musée des beaux-arts de Sherbrooke fait souvent figure de consultant pour
tout ce qui relève des arts, de la culture et du patrimoine. Très actif, il
est toujours membre du conseil d'administration du centre Anne-Hébert et
président du Service des archives du diocèse de Sherbrooke. Souvent invité à
exprimer ses opinions publiquement, Antoine Sirois ajoute qu'il le fait
aussi privément. «Il y a plusieurs façons de glisser nos idées», conclut-il
en souriant.
Soyez prévenu…
Si vous le croisez un jour, je vous préviens… Antoine Sirois est
passionnant, cultivé, loquace et très généreux. Mais malgré mes
avertissements, je suis certaine que vous serez impressionné vous aussi. On
n'y échappe pas.
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