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Qui sont les irréductibles québécois?
Anne-Sophie
Bougeard
Étudiante française au doctorat en éducation
Été 2000, c'est l'effervescence dans la Cité corsaire pour la Transat du
millénaire, la course à la voile qui relie Saint-Malo à Québec. Sur les
quais des cahutes en bois contenant des plumes et bijoux Inuit, des produits
dérivés de sirop d'érable et des caribous en peluche invitent les Bretons au
voyage. Quand je pense que dans quelques journées les équipages auront relié
les deux villes, cela me donne envie de devenir passagère clandestine…,
hélas la dure réalité du mal de mer m'oblige à rester au port. Au milieu de
cette ambiance où la bière coule au rythme des accords celtes, je n'ai plus
qu'à rêver au moment où à mon tour je pourrai visiter cette Belle Province,
aux paysages grandioses et si attirants pour une grande majorité de
Français.
Finalement, deux années après, l'oiseau métallique (moins poétiquement
appelé Airbus) s'envolera et je serai à bord, destination Montréal.
L'occasion de participer à un échange dans le cadre d'un projet doctoral
entre les universités d'Angers et de Sherbrooke était trop belle pour que je
la laisse fondre comme neige au soleil. Alors sans hésitation, j'ai embarqué
dans un mélange de joie et d'appréhension, d'impatience et de curiosité.
À l'assaut du Québec, je vais enfin pouvoir profiter des couleurs de
l'été indien en me promenant au bord des lacs et découvrir la sympathie des
bûcherons aux chemises à carreaux qui, lorsqu'ils ne sont pas sur leur
motoneige ni à chasser les ours, observent les baleines tout en écoutant
Céline Dion ou Félix Leclerc.
Depuis quelques années que je connais Sherbrooke et que j'y séjourne
régulièrement, je suis toujours étonnée et émerveillée par les Québécois si
proches et si lointains des Français, si familiers et si exotiques à la
fois.
En ce qui concerne le mode de vie, je suis bien habituée désormais et peu
dépaysée hormis le fait que les soupers (l'équivalent de nos dîners) se
prennent vers 17 h 30. À l'exception des « mets » américains, je trouve la
cuisine québécoise excellente. Certes, elle tient au ventre et ceux qui en
doutent n'ont qu'à se précipiter pour dévorer une tourtière ou un pâté
chinois (de vrais étouffe-chrétiens à la saveur inoubliable mais qui ont au
moins le mérite de ne pas donner la tourista aux visiteurs, ça change des
pays méditerranéens).
Le cadre de vie est magnifique, les couchers de soleil sont merveilleux,
des moustiquaires aux fenêtres rendent les nuits paisibles, la propreté et
le calme des rues et des lieux publics incitent à sortir, bref, c'est le
paradis. Chose unique et incroyable, une table et quatre chaises de la
terrasse sont montés sur roues pour faire comme une balançoire. Trouver des
rocking-chairs ne m'aurait pas étonné mais les «balancelles», j'avoue
que j'importerais bien le concept pour les jardins français. Imaginez les
Gaulois en train de se bercer en buvant un verre de lait et en mangeant une
poutine au fromage grinçant en bouche ou des pelures de pommes de terre. Je
sais, j'exagère un peu, mais c'est tout de même un super programme.
Finalement, il existe un véritable art de vivre à la québécoise,
tranquille et généreux. Pour vous en convaincre, allez faire l'épicerie.
Comme moi, vous serez sans doute étonné de constater que tout est pensé pour
vous simplifier les achats : larges horaires d'ouverture, dépanneur à
proximité et conditionnement gros volume. Je sais, vous vivez dans un pays
froid et il vaut mieux avoir des réserves, mais à côté des vôtres, nos
frigos sont lilliputiens et nous vendons des portions d'anorexiques.
Seriez-vous plus consommateurs que nous? J'ignore la réponse mais la vie à
crédit semble davantage être admise dans vos mœurs que dans les nôtres.
Vous les Québécois, êtes libres. Un sentiment qui vous est cher et qui se
respire partout dès que l'on vous regarde. D'un individu à l'autre, tous les
styles se croisent et se conjuguent, des plus recherchés au plus déjantés,
des plus sobres au plus excentriques et rien ne semble vous choquer. La
cohabitation est d'ailleurs une de vos spécialités et beaucoup de nos
gouvernants pourraient s'en inspirer. Chez vous, les ethnies cohabitent sans
se taper dessus, les répliques se donnent dans de multiples langues et tout
le monde se comprend.
Comment faites vous pour ne pas perdre votre identité? D'ailleurs, qui
êtes-vous?
À la manière d'Astérix et d'Obélix, vous êtes irréductibles et prêts à
vous défendre des envahisseurs américains et lorsque c'est nécessaire, vous
savez conquérir les contrées lointaines et vous ouvrir sur le monde.
Accueillants et protectionnistes, comme le climat, vous êtes tout à la
fois neige et soleil, tantôt froids et réservés, c'est votre côté
anglo-saxon, tantôt chaleureux et festifs comme les latins.
Aujourd'hui, ayant chassé les stéréotypes, je dirais que, à la manière
des mosaïcultures de Montréal, vous vous assemblez les uns aux autres et
vous vous réinventez sans cesse, éphémères et permanents, cools et
formatés, ni vraiment Cow-boys, ni vraiment Fringants.
Le charme du Vieux-Québec opère toujours.
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