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Liaison, 17 août 2006
L'Afrique en solo et à vélo
Coordonnatrice de la maîtrise en environnement et chargée de cours,
Bénédicte Thérien a parcouru cet été 500 km à vélo au Burkina Faso et au
Bénin au cours du mois de juillet. Elle partage avec nous ses impressions et
parle du contact avec les Africains rencontrés sur son passage.
BÉNÉDICTE THÉRIEN
Pourquoi le Burkina et le Bénin? Pourquoi à vélo? Seule? Qu'est-ce que tu
cherches? J'espère que tu as trouvé!» Ces questions et commentaires, je les
ai entendus sous toutes leurs variantes et ce, autant au Québec que là-bas.
Déjà l'intérêt pour l'Afrique intrigue, c'est une terre lointaine dont on
entend souvent parler pour la misère de ses peuples et les guerres qui les
déchirent. Ensuite, choisir de découvrir cette partie du monde en partie à
vélo, et surtout, en solo, frise la folie, une douce folie, mais une folie
quand même. Pourquoi quitter son confort pour pédaler sur des routes dont
l'état est incertain, et sous une chaleur torride en pleine saison des
pluies? Bonne question!
Pour les Africains, le fait qu'en plus ça soit une femme qui pédale
impressionne encore davantage. Au Burkina, le vélo est l'un des principaux
moyens de transport et ce, même dans la capitale, mais pour des distances
généralement courtes. Mais qu'une femme décide de parcourir de grandes
distances et chargée comme une mule, cela déboulonne complètement. Une fois
la première stupeur passée, il est très intéressant de voir comment la
conversation évolue, sûrement sur des terrains différents que ceux empruntés
habituellement par les touristes traditionnels. Et c'est exactement pourquoi
j'ai fait le voyage de cette façon.
Heureusement, je n'ai pas eu de grave pépin. J'ai pédalé près de 500 km,
ce qui me satisfait entièrement, compte tenu de l'absence d'objectifs
précis. Il faut dire aussi que la santé a été durement mise à l'épreuve et
que j'ai perdu 7 kg à force de rejeter ma nourriture!
Avant le départ, j'avais pris contact avec des organisations œuvrant en
coopération et disposées à me présenter leurs projets. Je voulais mettre
toutes les chances de mon côté pour faire de belles rencontres inspirantes.
Également, je voulais, d'une façon bien limitée, donner un autre visage aux
Blancs auxquels les Africains sont habitués.
Venant d'un pays n'ayant aucun antécédent de colonisation aide grandement
à créer des liens. Les Africains n'aiment pas toujours les Français et les
Européens en général, et critiquent parfois leurs méthodes et le
laisser-aller affiché face au destin africain. Mais cela, ils ne me le
diront qu'une fois ayant appris que je ne suis pas Européenne! Lors de la
finale du Mondial – un incontournable ici – certains affichaient ouvertement
leur non-partisanerie face à la France. D'autres, nombreux, souhaitaient
ardemment une victoire des Français – les colonisateurs – grâce à qui
l'Afrique est où elle est. Ne sommes-nous pas tous issus de peuples
colonisateurs? Après tout, ils n'avaient pas tort.
Malheureusement, j'ai vu des comportements prétentieux, irrespectueux
d'Européens on ne peut plus «respectables». J'avais honte d'être de la même
couleur, de représenter à leurs yeux les mêmes valeurs. Heureusement j'en ai
aussi vu qui avaient un intérêt réel pour leurs frères noirs sans les
traiter comme des moins que rien. Les quelques Africains à qui j'ai parlé et
pour qui les Blancs sont des clients me disent qu'à la longue on s'y fait,
on rit et les paroles coulent sur nous sans nous atteindre. Mais quand même,
ne sommes-nous pas aussi tous issus de la même chair? Et en plus elle vient
d'Afrique!
Chaleur humaine
J'aime la chaleur et la simplicité sincère des gens rencontrés sur mon
passage. Se déplacer en vélo donne un tout autre rapport avec les gens. Les
hommes me font thumbs up quand je passe à vélo, les femmes répondent
systématiquement de leur voix aiguë à mes «bonjour, ça va?». Les sourires
d'enfants… il y en a des milliers, partout, ils me crient toubabou
(peau blanche) ou nassara, yovo, selon les dialectes. Les plus
scolarisés crient «le Blanc!» ou «la Blanche!». Mais dans tous les cas, ils
crient, saluent, hurlent. Quand j'arrête, on vient me saluer par dizaines
pour serrer la main de la Blanche en riant aux éclats. Par contre ils
n'aiment pas les photos, cela leur fait peur, peut-être de perdre leur âme.
Ils rêvent tous à différents degrés d'un correspondant d'un pays riche
car ils pensent que cela les aidera à avoir le visa et émigrer. La télé leur
montre tous les attraits des pays du Nord sans en montrer les inconvénients.
Ils ne croient pas que nous avons des pauvres et des mendiants dans nos
rues. Que dire au gentil Arouna, cultivateur de riz, 20 ans maximum, qui ne
sait ni écrire ni lire, mais rêve de venir chez nous pour y être mieux? Il
m'écrira par la plume de son ami.
J'essaie de prendre le temps de créer des liens, si petits soient-il,
avec les gens que je rencontre, autant ceux qui étaient sur ma liste de
rencontres que les autres, vendeurs de batik, jeunes de la rue, passants.
Certains sont tellement fascinés par la peau blanche, la richesse
personnifiée qu'ils sont toujours là à vouloir t'aider alors que tu n'as
besoin de rien, certains par souci réel, d'autres motivés par l'intérêt.
Discerner l'ivraie du bon grain n'est pas toujours facile. Pour exprimer la
même idée, les Africains disent : «Toutes les chèvres se promènent en
troupeau, mais chacune a son prix.»
Je prends un grand plaisir à faire des rencontres, à créer des liens,
pour aussi donner une autre image du Blanc, qui symbolise la richesse. Pour
plusieurs, «Blanc doit donner cadeau», c'est-à-dire, de l'argent… C'est trop
facile, je ne veux pas perpétuer ce cycle du «je-te-donne-tu-reçois». Je
tente, peut-être maladroitement, de montrer que les Blancs peuvent
réellement s'intéresser à eux individuellement. Je crois qu'avec certains
c'est réussi. J'en suis là dans mes réflexions, mais des fois, c'est pas
évident. Il y a un tel manque de tout que donner de l'argent serait
peut-être mieux que du temps ou des petits cadeaux. Les sourires satisfaits
de la plupart à qui je donne mes petites choses me disent qu'ils apprécient.
Mais cela demeure quand même une façon facile de se donner bonne conscience.
Un voyage très riche en rencontres et en expériences de toutes sortes. Je
ne peux dire que ces pays offrent des paysages extraordinaires, j'en ai vu
d'autres qui les dépassaient et de loin, mais c'est le contact humain
quotidien et répété qui domine. Je m'en doutais. C'est ce que je
recherchais. Mais le vivre est une tout autre histoire et la réalité a
dépassé mes plus folles représentations.
J'ai été accueillie, gâtée, protégée, par des gens qui souvent avaient
moins que rien. Que faire sinon accepter avec reconnaissance ce que la vie
nous apporte et nous dire qu'à notre façon, un jour, nous leur redonnerons
cet amour. Peut-être pas directement, mais comme nous formons une grande
chaîne, un jour cela leur reviendra sans qu'ils sachent d'où ni comment.
Paysage typique en région subsaharienne au Burkina, près de
Bobo-Dioulasso.
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Les enfants sont souriants et accueillants sur mon passage.
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Bénédicte Thérien. |
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Termitières cathédrales rencontrées tout au long de la route entre
Bobo et Banfora.
Photos : Bénédicte Thérien |