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Elle ne change pas le monde sauf que…
JOSÉE BEAUDOIN
En début d'année, cela a fait deux ans que Nicole St-Martin a pris sa
retraite. «Je suis en retraite officielle, mais les gens ne me croient pas
car je suis toujours à l'Université», raconte-t-elle en riant. Elle avait
pourtant planifié sa sortie, au point d'inviter ses étudiantes et étudiants
à prendre tous les livres qu'ils voulaient dans son bureau parce qu'elle ne
rapportait rien à la maison. Ils l'ont prise au mot et ils ont tout vidé.
Toutefois, le jour du départ venu, on avait encore besoin d'elle pour tel et
tel dossier. Et puis la directrice scientifique avait des projets de
recherche inachevés avec la chaire McConnell. Et puis la professeure avait
des directions de mémoire et de doctorat à poursuivre. Bref, le temps de
tout compléter, elle s'est installée dans un autre bureau avec un autre
ordinateur, coiffée d'un nouveau titre de professeure associée. Si elle y
est toujours, c'est parce qu'elle ne peut s'empêcher d'avoir de nouvelles
idées. Et de très bonnes de surcroît. À preuve, le programme unique qu'elle
a élaboré vient de recevoir un appui d'un million de dollars. Comme elle a
conçu le projet, vous comprenez qu'elle a le goût de rester encore un peu
pour le mettre sur les rails…
Former des citoyens engagés
Ce nouveau programme innovateur, c'est le Programme d'apprentissage
expérientiel par l'intervention communautaire, appuyé financièrement par la
Fondation McConnell, également maître d'œuvre de la chaire de recherche en
développement local. Avec son régime coopératif notamment, l'Université de
Sherbrooke s'inscrit déjà dans la philosophie d'apprentissage par l'action.
Ce que Nicole St-Martin et son équipe souhaitent faire avec ce programme,
c'est un pas de plus. Ainsi, le programme propose une plus grande
implication des étudiants et des professeurs dans le développement
communautaire, et ce, dans le cadre des travaux pratiques compris dans les
programmes d'études actuels. Pour faire exemple, imaginons un étudiant en
gestion des ressources humaines qui, plutôt que de faire son travail de
session de façon théorique, irait dans un milieu communautaire pour un
exercice d'intervention. Les bénéfices de ce programme sont multilatéraux.
L'étudiant est placé dans une situation de vrai savoir pratique. Le milieu
communautaire a accès à un savoir universitaire, où l'étudiant est supervisé
par son professeur dans une démarche de qualité. L'Université renforce son
implication dans son milieu et agit véritablement comme acteur de
développement.
Derrière le projet de Nicole St-Martin, il y a beaucoup de travail et,
elle l'avoue, une part de rêve. «Le rêve, c'est de former des citoyens
engagés, dit-elle. On veut que l'étudiant qui sort d'ici ait une tête bien
faite, l'intelligence du cœur et l'engagement communautaire. On espère que
le jour où il ne sera plus étudiant, il sera capable d'intégrer, dans sa vie
personnelle et professionnelle, une participation à son milieu. On vit dans
un monde complexe où l'on ne peut plus mettre de côté l'implication
citoyenne. Quand on a la chance de se dessiner une profession, on a le
devoir d'intégrer la contribution sociale dans sa vie.»
Sa passion s'accentue
Professeure et chercheuse à l'Université de Sherbrooke depuis maintenant
30 ans, Nicole St-Martin est la somme de ses études en trois temps : un 1er
cycle en éducation, un 2e en travail social puis un 3e en sociologie. La
ligne directrice de toutes ses actions : l'apprentissage et la formation.
Qu'elle parle de ses recherches sur le terrain ou de sa relation pédagogique
avec les étudiantes et étudiants, le plaisir est récurrent. Le plaisir de
découvrir et d'ajouter à son savoir et à son comportement des éléments
nouveaux. Le plaisir de guider les étudiantes et étudiants, de les
accompagner, de leur procurer des occasions d'apprendre, de varier les
stratégies pédagogiques pour que chacun y trouve son compte. Et ce plaisir,
visiblement, il ne se dément pas.
Parallèlement à ses fonctions professorales, Nicole St-Martin a dirigé
l'Institut de recherche et d'enseignement pour les coopératives de
l'Université de Sherbrooke durant une quinzaine d'années, soit de 1984
à 2000. C'est sous son impulsion que l'Institut s'est enrichi de sa
dimension internationale. «On a développé beaucoup de projets, d'abord en
Afrique puis en Amérique latine, dit-elle. On voulait apporter notre
contribution, mais aussi offrir à nos étudiants une lecture internationale
des problématiques.» Résultat? Des missions et des gens accomplis.
Sa formation continue
Depuis 1992, Nicole St-Martin préside ce qu'elle appelle la plus belle
organisation du monde, soit Oxfam-Québec, un organisme qui a pour mission
d'appuyer les populations
défavorisées des pays en développement qui luttent pour leur survie, pour
leur progrès, pour la justice sociale et pour le respect des droits humains.
«Oxfam, c'est mon programme d'éducation continue. J'y suis confrontée à des
problématiques universelles, à de nouvelles façons de faire, à des
transferts de compétences, à l'interdépendance des mondes.» À l'écouter
parler, on devine son implication très stimulante, mais aussi très prenante,
avec les conseils d'administration et les représentations répétées auprès de
différents interlocuteurs. «Chez Oxfam, on ne fait pas du lobbying, on fait
vraiment du plaidoyer, c'est-à-dire qu'on intervient auprès des grands
décideurs de ce monde sur des situations problématiques pour essayer de
changer les choses»,
explique-t-elle. Et vous n'avez jamais le goût d'abandonner ou de baisser
les bras? «Jamais! On ne changera pas le monde demain matin, on ne le
changera pas de mon vivant, on ne le changera pas avant des générations,
mais on doit y contribuer, on doit y croire et prendre de bonnes mesures en
faisant preuve d'éthique et de transparence.»
Rarement voit-on quelqu'un parler de ses projets, de ses idéaux et de son
travail avec autant de ferveur et de luminosité. Franchement, ça donne le
goût de prendre sa retraite.
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