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Liaison, 6 juillet 2006

 

 

Un rigodon africain.
Un rigodon africain.

L'école est une réalité récente à Sirakoro.
L'école est une réalité récente à Sirakoro.

 


Des lunettes africaines pour comprendre le Mali

Au printemps dernier, quelques semaines après avoir complété son baccalauréat en mathématiques, Sébastien Labbé s'est rendu au Mali dans le cadre d'un stage d'initiation à la coopération internationale avec le Carrefour de solidarité internationale de Sherbrooke. Il présente ici un regard sensible sur certaines réalités locales, dont l'excision.tes africaines pour comprendre le Mali

SÉBASTIEN LABBÉ
Bachelier en mathématiques

irakoro au Mali est un village de 1000 personnes dont le nom signifie «au pied du baobab» en langue bambara et exprime l'emplacement. Un baobab géant se dresse au centre du village où on nous a accueillis le premier jour. Lors de mon stage en mars, c'était la saison sèche. Pas une goutte de pluie n'était tombée depuis des mois. Les villageois s'affairaient à la confection de briques et la construction de maisons. Il fallait aussi abreuver le bétail et accumuler le bois (de cuisson), car au retour de la pluie, il faut travailler aux champs.

L'école

L'école est une réalité récente pour le village. Fondée il y a cinq ans, elle dispense les niveaux de la première à la sixième année. C'est une école communautaire, c'est-à-dire financée par le village. Elle manque de matériel et n'a pas les moyens d'engager des enseignants ayant eu une formation à l'école des enseignants. Les enseignants reçoivent quand même des visites d'inspecteurs qui vérifient que le programme à suivre est respecté. Ils enseignent en français, langue seconde des élèves… et des enseignants. Au village, la langue parlée est le bambara. Au début du stage, nous avons rencontré les professeurs qui nous ont expliqué leur réalité et exprimé leurs besoins… matériels. Ils n'avaient pas bien compris nos objectifs. Nous leur avons dit que nous préférions les échanges durables. Pas facile à expliquer à un enseignant qui travaille avec des élèves n'ayant même pas de cahier.

Les échanges

Impliqué à la réfection de la maternité et à l'élaboration d'une culture maraîchère, chacun d'entre nous était associé à une famille et a participé aux tâches du village. Cela nous permet de faire plusieurs rencontres et échanges. Par exemple, je me rappelle une fois où les femmes du village nous montraient les étapes de la transformation du coton en fil. Les instruments de musique n'étant jamais trop loin, une femme a commencé à frapper sur une calebasse. Nous avons répondu avec un rythme de cuillère et le tout s'est transformé en un rigodon malien. Quand la langue ne nous le permet pas, la musique et les gestes deviennent notre moyen de communiquer.

Les enfants

Les familles sont tellement nombreuses que même les enfants s'occupent des enfants. À quatre ans, une fille porte sa petite sœur âgée de trois mois sur son dos comme le fait sa mère. Les enfants participent aux travaux du village. D'ailleurs, c'est en serrant leurs mains que je l'ai vraiment réalisé. Des mains charnues et déjà usées. C'est bien différent des miennes qui tapent le clavier d'ordinateur, griffonnent des formules mathématiques et lancent des frisbees.

L'excision au village

Lors de mon séjour au Mali, il y a eu l'excision au village. D'abord, je suis un gars et je n'en connais pas beaucoup sur le sujet. Il existe de meilleures sources pour en connaître plus. Par contre, je considère comme important d'au moins mentionner que les femmes du village de Sirakoro sont excisées et qu'en février 2006, les jeunes filles du village ont été excisées.

C'est impossible de vous rendre une image parfaite du village avec les mots, mais taire l'excision, ça aurait été mentir. J'ai retardé le moment d'en parler parce que je ne savais pas comment l'aborder. En fait, c'est justement ce qui s'est passé : ma façon de l'aborder a changé.

J'avais et j'ai encore des lunettes occidentales. Avec cette vision, on peut produire une belle argumentation : non à l'excision pour telle, telle et telle raison. Au Mali, on a jasé, on a fait des rencontres. Peu à peu, j'ai découvert l'existence d'une autre paire de lunettes. Des lunettes africaines. Je les ai essayées. Pas assez longtemps pour tout voir, mais assez pour comprendre que ce ne sera pas un système d'argumentation construit sur des bases occidentales qui changera les traditions de Sirakoro. Il faut adapter notre discours.

Vous allez me trouver drôle, mais ça me fait penser aux mathématiques. Quand on commence l'étude de la géométrie hyperbolique, on découvre des cercles qui deviennent des droites, des droites parallèles qui se croisent et des triangles dont la somme des angles n'est pas 180 degrés. Afin de comprendre ces nouveautés, il faut d'abord accepter de modifier le dernier des cinq axiomes d'Euclide sur lesquels repose toute la géométrie conventionnelle. Les cultures sont comme les géométries. On ne peut pas comprendre l'autre culture sans sortir de la sienne.

Par exemple, on ne parle pas de sexe de la même façon là-bas. C'est un sujet tabou au Mali. Il faut savoir adapter son discours. On ne peut donc pas parler d'excision sans tenir compte de la culture et des traditions.

Le 8 mars 2006. Journée internationale de la femme. On profite de cette journée pour faire quelques échanges culturels. Nous devions préparer un plat typiquement québécois... avec les moyens maliens. On a fait des patates pilées! Les villageois ont concocté des mets typiquement maliens. Nous avons rassemblé les plats. Les patates pilées sont parties très vite. Tout le monde était curieux d'y goûter. Toute la journée, les hommes devaient participer aux tâches quotidiennes des femmes du village. Je portais aussi le turban. Un truc qui n'est jamais porté par les hommes au village. Bref, brisons les petits tabous pour briser la glace...

Ensuite, Nako a pris la parole devant les femmes du village. Nako, c'est la Janette Bertrand de la région. Elle se promène de village en village pour discuter avec les femmes. Ce jour-là, elle portait une chemise d'un tissu déclarant en français et en bambara : «Ma fille ne sera pas excisée». Elle commença à parler au groupe de femmes. Les discussions étaient en bambara, alors j'essayais de lire sur les visages entre deux phrases traduites. Elle tourna autour du pot, aborda divers sujets, puis elle parla de l'excision. Les yeux des jeunes filles de 16, 17, 18 ans étaient fixés sur Nako comme si c'était la première fois qu'on leur en parlait. Comprenaient-elles les raisons de certaines douleurs ou des complications du dernier accouchement?

Au travers de la traduction, j'ai compris comment l'approche de Nako était adaptée au Mali. Elle intégrait les traditions et la culture dans son discours. Elle remettait en question la croyance que les femmes non excisées sont infidèles. Elle insistait sur le fait que l'excision ne sert à rien. Elle démontrait qu'on ne renie pas sa culture en ne faisant pas exciser sa fille. Quoi qu'il en soit, il faut du temps et beaucoup d'énergie pour changer les traditions. Mais ça se discute de plus en plus. Il y avait souvent des articles traitant de l'excision dans les journaux de Bamako. Pour en savoir plus sur mon séjour au Mali : www.polenafrique.blogspot.com.

Sébastien et des amies ont cueilli des mangues.
Sébastien et des amies ont cueilli des mangues.

De jeunes enfants s'occupent de plus jeunes encore.
De jeunes enfants s'occupent de plus jeunes encore.

Photos : Sébastien Labbé

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