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Liaison, 15 juin 2006
Découvertes livres
Critique invitée : ÈVE-MARIE TREMBLAY
Étudiante en études littéraires et culturelles
La rivière du loup, Andrée Laberge
L'arrivée d'Andrée Laberge dans le paysage littéraire québécois est
relativement récente. Son premier roman, Les oiseaux de verre, a été
publié en 2000 (La Courte Échelle), et L'Aguayo a suivi en 2001 chez
le même éditeur. L'auteure possède une solide formation en service social,
ainsi qu'un doctorat en épidémiologie. Depuis quelques années, elle combine
sa carrière de chercheuse en santé publique à celle d'écrivaine. Trois ans
d'écriture ont été nécessaires pour achever La rivière du loup, son
troisième roman. Andrée Laberge propose au lecteur une œuvre profonde et
déstabilisante qui oscille entre l'animalité et l'humanité.
Le climat romanesque est profondément soutenu par le mystère et
l'ambivalence. L'histoire se déroule dans un village sans nom où un père et
son fils de 15 ans habitent une tanière désaffectée au beau milieu d'une
forêt. Le fils semble plutôt normal, mais le père est vraiment très
inquiétant. Suite à une attaque, il a conservé des séquelles au cerveau,
mais sa déchéance s'est accentuée le jour où la mère de son fils, la
danseuse qui l'avait ensorcelé, l'a largué. Ces événements datent de six
ans, mais sont toujours vivants dans sa mémoire. L'homme est très violent et
va même un jour jusqu'à frapper son fils avec une faux, lui faisant une
profonde entaille au front. On croit à certains moments voir une victime qui
semble vouloir rester dans les griffes de son bourreau, mais on constate
rapidement que les liens entre les personnages dépassent la logique des
choses. Malgré la folie de son paternel, le fils conserve pour son père un
amour indestructible.
Le lecteur se trouve face à un monde dur où l'agressivité et le désespoir
sont dominants. Outre le père et le fils, plusieurs individus viennent
s'ajouter au tableau : l'intervenante en protection de la jeunesse qui est
malheureuse en amour, la nouvelle jeune fille à l'école qui bégaie, ainsi
qu'un adolescent rebelle et chef de bande qui cherche à dominer tout le
monde, mais souffre de l'absence d'amour de ses parents qui ne font que le
couvrir de biens matériels. Aucun des personnages du récit n'arrive à
trouver le bonheur, à l'exception du fils qui partage un quotidien misérable
avec un père malade auquel on colle les qualificatifs de «fêlé»,
«désaccordé», «déphasé» et «détraqué». Plusieurs n'acceptent pas ce bonheur
incompréhensible chez le garçon. On peut noter que le bagage de l'auteure en
tant qu'intervenante auprès des personnes en difficulté est probant dans son
récit.
Le personnage du père est sans doute le plus mystérieux du roman. Se
promenant nu dans la maison avec une peau de loup sur le dos, on le voit
rapidement comme une entité mi-homme mi-animal. La première de couverture du
roman est révélatrice à ce sujet. L'homme-loup dévoile autant des sentiments
humains comme la peur, la honte et l'amour qu'une importante bestialité par
la préservation de son territoire, la finesse de son instinct et son désir
de domination.
Les thèmes majeurs du roman sont l'acceptation de la différence, la
possibilité d'être heureux même dans les pires conditions et la recherche
d'équilibre et de sens à la vie. L'écriture d'Andrée Laberge est dense,
parfois complexe par la longueur des phrases qui peuvent s'étendre sur toute
une page, mais empreinte de sens et riche en nuances. Par contre, certaines
phrases auraient eu avantage à être écourtées pour préserver leur force.
Cette œuvre doit être lue par fragments et non en un seul souffle. Elle
demande une vive attention par la multiplication des voix narratives.
L'auteure donne la parole à ses personnages et adapte son style d'écriture
pour chacun d'eux. C'est par leur langage que le lecteur arrive à les
reconnaître, car ils ne portent pas de noms. Plusieurs scènes sont très
fortes, remplies de révolte et combinent force et fragilité. Le fils prend
la narration de 11 des 21 chapitres du récit et cherche à se protéger de
ceux qui tentent de salir son royaume et de démolir le château qu'il a
construit avec son père.
Bref, La rivière du loup s'adresse à ceux qui aiment la densité
des images et qui sont prêts à nager pendant plus de 200 pages dans des
réflexions psychologiques et sociales. À la fermeture du livre, on reste
emprisonné dans une bulle où se mélangent douceur et violence. Par la
puissance de sa plume, l'auteure signe une œuvre d'une grande sensibilité.
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