Quand la grippe ne sera plus aviaire
GABRIELLE GRANGER
À l'heure où les médias sonnent l'alarme par rapport à la menace de la
grippe aviaire, le public peut se demander si les risques sont réels pour la
santé publique. Pour répondre à ces questions, l'immunologiste Viktor
Steimle, professeur au Département de biologie, a présenté le 30 mai une
conférence intitulée Grippe aviaire, qui a peur de la pandémie? C'est
avec humour et rigueur que le chercheur a traité de cette grippe causée par
le virus H5N1 et de la peur qu'elle génère.
Un air de famille avec la grippe espagnole
Pour situer la grippe aviaire par rapport aux épidémies du passé, Viktor
Steimle a entraîné le public dans un captivant historique, de la peste noire
au XIVe siècle à la grippe espagnole de 1918. L'immunologiste a
d'ailleurs fait le rapprochement entre la grippe aviaire et ce virus qui a
causé la mort d'environ 30 millions de personnes au début du XXe siècle.
Ces grippes, toutes deux extrêmement virulentes, partagent une souche virale
semblable.
C'est d'ailleurs ce qui crée des inquiétudes chez certains scientifiques.
Les virus de genre influenza, dont fait partie celui de la grippe aviaire,
ont la capacité de se muter facilement et rapidement : «Les différents virus
de l'influenza peuvent partager des informations génétiques pour faciliter
leur mutation. Aussi, lors de leur multiplication, le taux d'erreur est
élevé lors de la synthèse de leur ARN, explique le professeur Steimle. En
d'autres mots, lorsque le virus se réplique, des petites variations
génétiques se produisent et peu à peu, le virus change.» Voilà deux
stratégies que l'influenza utilise pour échapper au système immunitaire.
D'ailleurs, c'est pourquoi chaque année nous pouvons être infectés par la
grippe saisonnière. «Tous les ans, le virus nous revient avec un nouveau
déguisement et notre système immunitaire doit produire des anticorps pour
cette nouvelle variété de grippe.»
À quelques acides aminés près
Soulignons que la transmission du H5N1 d'humain à humain n'est pas
efficace pour l'instant. Mais il ne suffirait que de quelques changements
pour que ce virus s'adapte véritablement à l'homme et que la transmission
soit possible. L'immunologiste précise : «Mécaniquement, nous sommes à
quelques acides aminés près. Comme le virus a une facilité à se transformer,
la mutation critique est probable et facile.»
Viktor Steimle a aussi profité de sa conférence pour démystifier les
vaccins et les antiviraux. Il a d'ailleurs mis le public en garde contre les
arnaques sur le Web : «Attention au faux Tamiflu vendu sur Internet. Ne vous
laissez pas avoir par ces sites qui vous offrent d'en acheter. Au mieux,
c'est de la vitamine C qui se trouvera dans le flacon.»
Du côté des vaccins, comme on ne sait pas comment le virus se mutera, les
scientifiques ne peuvent en produire un qui serait efficace lors d'une
possible pandémie. Il leur faut un exemplaire du virus adapté à l'homme pour
créer un vaccin sûr. Au chapitre de cette production, le Canada a une
position avantageuse grâce à son industrie pharmaceutique développée. En
effet, si la pandémie touche notre pays, les entreprises pharmaceutiques
pourront produire localement et en quantité suffisante des vaccins pour la
population canadienne.
L'importance de se préparer
L'immunologiste a aussi exposé les grandes lignes du Plan québécois de
lutte à une pandémie d'influenza. Les prévisions réalistes mais
prudentes du ministère de la Santé et des Services sociaux avancent que la
première vague de la pandémie pourrait toucher environ 2,6 millions de
Québécois et que 8500 d'entre eux risqueraient d'en mourir. En somme, les
décès seraient trois fois plus élevés que ceux causés par l'influenza
ordinaire. Les chiffres avancés peuvent paraître importants, mais Viktor
Steimle tient à les relativiser : «Lorsqu'on se penche sur les 13 500 décès
causés par le tabac chaque année au Québec, ces prévisions peuvent paraître
moins alarmantes.»
Le professeur Steimle estime que ce plan préparé par le gouvernement
québécois est satisfaisant pour un plan A. «Mais ce n'est pas dit que la
pandémie empruntera cette voie, ajoute-t-il. Il faudrait qu'un plan B et un
plan C soient élaborés afin d'être prêts si le virus frappe avec plus
d'intensité.»
Pour l'heure, les scientifiques ne peuvent prédire quand, où et combien
de personnes frappera la pandémie. Toutefois, le public est invité à s'y
préparer. Viktor Steimle compare la pandémie de grippe aviaire à tout autre
sinistre. C'est en prenant des précautions qu'on limite les dommages. Le
chercheur suggère donc de garder chez soi le nécessaire : «Il serait
préférable de s'abstenir de sortir et d'éviter les contacts pour prévenir
les infections.» Par exemple, nous pouvons faire quelques provisions à la
maison des médicaments d'ordonnance pour éviter de sortir les chercher à la
pharmacie. «Ce n'est peut-être pas le moment encore de se préparer, mais ce
n'est plus le moment quand c'est la panique», conclut le professeur.
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